Texte intégral
Le Monde : Vous aviez fait de la lecture de l’illettrisme des dossiers prioritaires avant de devenir ministre de l’éducation, avec quelques idées arrêtées sur les bonnes et les méthodes de lecture. Votre opinion a-t-elle varié depuis que vous vous êtes arrivé Rue de Grenelle ?
François Bayrou : Nous avons un problème d’enseignement de la lecture qui n’est pas spécifique à la France. Il n’est pas non plus de la seule responsabilité de l’école. Mais le taux d’échec en lecture est trop lourd. Ma conviction n’a pas changé : une partie de ce problème est pédagogique. Certains enfants réagissent mal aux pratiques pédagogiques qui devraient leur donner à coup sûr l’arme de la lecture. Au lieu d’être sécurisés devant l’écrit, ils sont déstabilisés, et parfois pour toute la vie. Ma conviction est que les méthodes utilisées, la progression pédagogique y sont pour quelques choses. Beaucoup d’enseignants n’aiment pas que l’on mette en cause les méthodes. Ils ont le sentiment que c’est l’enseignant qui est ainsi mis en accusation. Or, ce n’est pas le cas.
Lorsque je vois l’investissement qui est le leur dans leur métier, je suis rempli d’admiration. Si la recherche pédagogique ne leur apporte pas les données nécessaires, s’ils ne reçoivent pas sur ce sujet la formation adaptée, ils n’en ont pas la responsabilité. Et ce n’est pas de leur responsabilité non plus si la société leur confie des enfants en difficulté scolaire, victimes de fragilités affectives ou de problèmes sociaux qu’il est plus difficile qu’autrefois d’enseigner.
Le Monde : Qu’est-il advenu de votre objectif de diminuer de moitié en cinq ans le pourcentage d’élèves qui entrent en sixième sans savoir lire ?
François Bayrou : J’espère que les changements intervenus dans les programmes et dans l’organisation de l’école ont un peu amélioré les choses. Mais l’objectif n’est pas encore atteint. Je n’ai pas réussi à faire naître le grand débat sur la lecture qui est le préalable à tout progrès. Or, ce débat est devenu urgent. Une chose est sûre : l’idée généreuse et rassurante selon laquelle un enfant qui ne réussirait pas à acquérir la lecture à l’âge normal y parviendra ultérieurement est une idée fausse. On croyait qu’en passant de classe en classe cet élève trouverait une réponse à ses problèmes. Or, ce n’est pas le cas. C’est précocement qu’il faut agir.
Le Monde : Est-ce contradictoire avec la politique des cycles ?
François Bayrou : Non, au contraire, puisqu’en théorie la création de cycles devait permettre de répondre de temps réel aux besoins des enfants qui se bloquaient devant la lecture. Mais l’institution s’est souvent mal adaptée à cette orientation.
Le Monde : La formation des maîtres vous paraît-elle satisfaisante ?
François Bayrou : Non. On me dit que dans beaucoup d’instituts universitaires de formations des maîtres (IUFM), il n’y a qu’un module optionnel sur l’apprentissage de la lecture. C’est insuffisant. Il y a là un impératif pour tous les futurs enseignants du premier degré, même s’ils ne se destinent pas tous au cours préparatoire. L’école réfléchit beaucoup au rapport avec le livre, à la littérature de jeunesse. Mais la réflexion et l’information sur les pratiques d’apprentissage de la lecture et leur évaluation restent insuffisantes.
Il faut donc un plan de mobilisation de l’école primaire autour de la lecture, qui est son exigence prioritaire. Ce plan doit toucher la formation initiale et continue. Je souhaite reprendre la réflexion avec tous les maîtres du premier degré et aboutir, d’ici au mois de juin, à un cahier des charges très précis pour les IUFM. Ensuite, la formation continue devra être associée. Les inspecteurs joueront dans ce travail un rôle clé. Mais, je le répète, il faut d’abord trouver le moyen d’observer ce qui marche et d’en assurer la diffusion.
Le Monde : Dans une école où les inégalités s’accroissent, qu’avez-vous fait pour les traquer au plus tôt ?
François Bayrou : Quand je suis arrivé, la moyenne du nombre d’élèves en maternelle dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP) était supérieure à trente. En quatre ans, j’ai l’ai fait descendre à vingt-cinq, et cette baisse sera achevée à la rentrée prochaine. On fermait plusieurs centaines d’écoles par an. Pas une seule n’a été fermée, sauf demande ou assentiment des élus. Le programme d’initiation aux langues vivantes a été généralisé dès le cours élémentaire et l’aide quotidienne aux devoirs aussi. Nous avons encore beaucoup de progrès à faire. Nous devons travailler sur les réseaux d’aide aux élèves en difficulté, qui représentent plus de dix mille postes…
Le Monde : Dont un certain nombre seront supprimés à la rentrée, puisque le budget 1997 prévoit 2900 postes de moins dans l’enseignement primaire…
François Bayrou : Il y a 311 000 enseignants dans le premier degré, comme en 1993. Pendant ces quatre ans, il y a près de 150 000 élèves en moins. Comment ne pas en tenir compte ? Mais le nombre de diminutions a été limité à cinq cent emplois d’enseignants sur le terrain. C’est dire que la sauvegarde de l’encadrement des élèves est une priorité.
Le Monde : Le président de la République s’est récemment saisi de la question de l’illettrisme, vous contraignant, en en quelque sorte, à reprendre ce dossier…
François Bayrou : Sur un sujet aussi complexe, l’engagement manifeste du chef de l’État est un atout et une force. Il aide à débloquer des résistances qui, sans lui, seraient trop fortes. Et c’est formidable qu’un président fasse de l’école sa priorité des priorités. Pour la nation, c’est rassurant, c’est un message heureux et positif.