Article de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans "La Croix" le 19 janvier 1998 intitulé "La France et l'Allemagne ont des intérêts divergents" et interview dans "L'Union" de Reims le 26 février sur les divergences avec le PCF sur l'euro et le mouvement social, la participation de l'Italie à l'euro et le préalable de la réforme des institutions communautaires à l'élargissement de l'Union européenne .

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement de M. Moscovici à Rethel (Ardennes) dans le cadre de la campagne pour les élections régionales et cantonales 1998

Média : Journal de l'Union interparlementaire - L'Union - La Croix

Texte intégral

Source : La Croix
Date : 21 janvier 1998

Q. : Le parti communistes, votre partenaire au sein du gouvernement, demande un report de l’euro pour pouvoir mener pendant un an une politique de relance favorable à l’emploi. Comment réagissez-vous ?

Pierre Moscovici : Que les communistes aient sur l’euro des sentiments plus mitigés que les nôtres, ce n’est pas une nouveauté. Déjà, avant que nous n’arrivions au pouvoir, ils demandaient un référendum sur l’euro. Mais j’observe qu’il y a une évolution du Parti communiste. Pour reprendre une formule d’un de ses dirigeants, les communistes étaient euro-rébarbatifs, ils sont devenus euro-constructifs. Ils ne remettent pas en cause l’existence même de l’euro. Et Robert Hue a précisé que notre divergence sur cette question n’est pas un motif de rupture. Quant à moi, je continue de penser que le passage à l’euro est possible et nécessaire. Il faut répondre au phénomène social qu’est le mouvement des chômeurs, mais il n’est pas juste de dire que l’euro est responsable de leur situation. Je suis persuadé qu’on peut répondre à leurs préoccupations dans le cadre d’une politique économique qui reste tournée vers l’Europe.
Ce n’est pas parce qu’il y a les critères de Maastricht que les gouvernements successifs mènent depuis plusieurs années une politique de désendettement. C’est parce qu’on ne peut pas vivre durablement avec des déficits publics qui nourrissent des dettes publiques considérables. Par ailleurs, la solution au chômage passe d’abord par une réorientation des dépenses publiques vers l’emploi au moins autant que vers la résolution des dégâts du chômage. Certes, le gouvernement doit répondre dans l’urgence aux problèmes d’urgence. Mais les problèmes de l’emploi demandent du temps et une approche globale à travers la réduction du temps de travail, la relance de la croissance et le plan pour l’emploi des jeunes.

Q. : Il y a aujourd’hui un débat en Europe sur la participation de l’Italie à l’euro. Quelles sont ses chances ?

Pierre Moscovici : J’ai une conviction, étayée par des éléments d’analyse : l’euro ne peut pas se faire sans l’Italie. D’abord parce que c’est un des pays fondateurs de l’Union européenne – je n’ai pas besoin de vous dire où a été signé le traité de Rome. Ensuite parce qu’il est important que l’euro soit la monnaie de l’Europe tout entière, et non pas seulement d’une zone constituée autour du couple mark-franc. Cette conviction est aujourd’hui étayée par des faits : les Italiens ont fait des efforts considérables pour assainir leurs finances publiques. Ils y sont parvenus. La Commission européenne a encore, il y a peu de temps, enregistré le fait que les déficits publics italiens étaient contenus en deçà des 3 %. Ils répondent donc aux critères de Maastricht, et je pourrais même dire qu’ils y répondent aussi bien que nous ! Pourtant, personne ne discute la participation de la France à l’euro. Il n’y a aucune raison de faire un procès d’intention à l’Italie. Ce n’est pas parce que l’on est latin que l’on est laxiste.

Q. : L’an dernier, les Quinze n’ont pu s’entendre une réforme des institutions européennes chère à la France. Comment comptez-vous relancer ce projet ?

Pierre Moscovici : Au sommet d’Amsterdam, nous avons effectivement constaté 1’échec du processus de réformes institutionnelles, qui était pourtant l’objet principal de la Conférence intergouvernementale. Nous l’avons déploré. Nous sommes par la suite parvenus à signer une déclaration à trois, avec l’Italie et la Belgique, qui disait, en substance : « Il n’y aura pas de traité d’adhésion, pour nous, sans qu’il n’y ait au préalable de réforme institutionnelle ». Nous avons ensuite cherché à élargir le cercle et cette position a été inscrite dans les conclusions du Conseil européen de Luxembourg. Il est donc clair pour tout le monde qu’une réforme doit intervenir avant tout élargissement. Nous y travaillons, autour de trois sujets : la Commission, qui doit être moins nombreuse et plus collégiale ; la pondération des voix au Conseil, qui doit être plus représentative du poids des différents pays ; et l’extension du vote à la majorité qualifiée sur plusieurs questions. Ceci dit, il est clair que d’ici les élections générales de septembre prochain en Allemagne, l’Europe ne pourra se concentrer que sur deux objectifs : l’euro et l’élargissement. Il sera difficile d’innover sur des dossiers plus délicats comme le cadre financier ou la réforme des politiques structurelles.

Q. : L’échec sur une réforme des institutions a été le révélateur de ratés apparu ces derniers mois dans le couple franco-allemand, considéré par beaucoup comme le moteur de la construction européenne. Quelles en sont les causes ?

Pierre Moscovici : Il n’y a pas de malaise. Les contacts entre dirigeants sont nombreux et bons. En revanche, il y a des différences d’intérêts fortes entre les Français et les Allemands sur les grands dossiers du moment. Sur l’élargissement : ils souhaitent aller vite, de façon souple, avec un petit nombre de pays ; nous voulons un cadre général et nous souhaitons que l’élargissement soit un processus global et inclusif. Sur les problèmes financiers – ils souhaitent payer moins, nous ne souhaitons pas payer davantage. Sur les questions institutionnelles – nous souhaitons une vraie relance de la construction politique. Ces trois débats existent et donnent cette impression de difficulté. J’ajoute qu’à Bonn, l’équipe actuelle est au pouvoir depuis seize ans. Quel que soit le vainqueur en septembre, il y aura besoin d’une relance. Cela pèse sur le contexte non pas franco-allemand mais sur le contexte européen tout entier.

Q. : L’élargissement de l’Union européenne à la Turquie est un sujet de dissension entre les Quinze, ce pays venant d’être écarté de la liste des candidats. Que faire de la Turquie en Europe ?

Pierre Moscovici : L’Europe n’est pas un « club chrétien ». Les critères d’adhésion sont ceux dits de Copenhague, c’est-à-dire : la Turquie est-elle un pays démocratique ? Remplit-elle les conditions économiques pour faire partie de l’Union européenne ? Il n’y a pas besoin d’être chrétien pour être européen. De façon générale, la France considère que la Turquie a une vocation européenne. L’affirmer est le meilleur moyen d’être très exigeant avec elle sur le plan politique.


Date : jeudi 26 février 1998
Source : L’union de Reims

Q. : En arrivant au gouvernement le PS a souhaité une réorientation de la politique européenne. Où en est-on ?

Pierre Moscovici : Cette réorientation est en cours. Nous souhaitons notamment que l’euro se déroule dans des conditions différentes, nous voulions une politique à la fois pour l’emploi et pour la croissance, ainsi qu’une monnaie européenne qui ne soit pas surévaluée.
Ces conditions sont remplies : nous aurons donc l’euro sur une base très large, avec des critères non plus financiers, mais tournés vers l’emploi, pour lutter contre le chômage des jeunes et le chômage de longue durée, et pour améliorer la formation des chômeurs. Des actions concrètes vont être mises en place après la réunion de juin à Cardiff. Nous adapterons des plans nationaux pour l’emploi.
Parallèlement, une réforme des fonds structurels européens et des objectifs est en cours, dont nous souhaitons qu’elle permette de maintenir et développer les aides particulières à nos régions. Le gouvernement veillera à ce que la couverture du territoire national soit convenablement assurée.
Construire l’Europe n’est pas contradictoire avec nos intérêts nationaux. Cette négociation n’est pas simple, notamment parce que les finances européennes ne sont pas inépuisables.

Q. : À moins d’un an de l’avènement de l’euro, avez-vous le sentiment que les Français sont prêts à ce changement ?

Pierre Moscovici : Les Français s’attendent à l’arrivée de l’euro, ils savent que c’est une perspective inscrite dans la réalité. Près des deux tiers lui sont favorables. Avec les prochaines décisions, le débat va y gagner concrètement. Les questions que se posent les Français touchent au quotidien : la feuille de paie en euros, les prix, les impôts, la Sécu en euros… L’opinion est prête intellectuellement. Le véritable travail est maintenant de réaliser l’euro.

Q. : Comment se situe la France par rapport à ses partenaires pour la mise en place de l’euro ?

Pierre Moscovici : En janvier 1999, les monnaies auront entre elles une parité fixe. Il restera trois années de phase transitoire. Toutes les opérations devront se réaliser d’ici à 2002 : cela demandera un immense effort d’adaptation pour les administrations, les entreprises et les ménages. Le bouquet final, en 2002, sera la disparition des billets et des pièces des monnaies nationales.

Trois ans et demi ne seront pas trop pour permettre cette conversion. La France n’est ni en avance, ni en retard par rapport à ses partenaires.