Texte intégral
D. Bilalian : Certains commentateurs disent que le programme économique et social du PS est un peu celui de Juppé en plus volontaire.
Alain Madelin : Moi, je suis consterné par le programme du PS présenté hier par Lionel Jospin. Pourquoi ? Parce qu’il me parait passer à côté de ce qui est l’essentiel de l’économie aujourd’hui pour créer véritablement des emplois, de bons salaires et la prospérité : il faut créer, il faut innover, il faut faire preuve d’initiative – ce que s’efforce de faire Alain Juppé avec sa politique. Et puis, il y a ce que propose Monsieur Jospin : partager, interventions administratives, redistribuer. Je crois que tout ceci correspond à un autre monde. Nous allons être bientôt à 1 000 jours de l’an 2000. Il faut regarder le nouveau monde avec un œil neuf et pas avec les vieilles solutions.
D. Bilalian : Tout de même 700 000 emplois.
Alain Madelin : Ce programme est très sympathique parce qu’on nous propose de gagner plus, de travailler moins et de créer des emplois pour les jeunes. Malheureusement, ça ne peut pas marcher comme ça.
D. Bilalian : Mais est-ce qu’on ne peut pas inciter à une forme de civisme les chefs d’entreprise ?
Alain Madelin : Je crois que tous les gens qui nous regardent comprennent qu’on ne crée pas des emplois. En réalité, on crée des activités qui elles-mêmes créent des emplois. C’est parce qu’on invente des produits nouveaux, des produits plus beaux, parce qu’on développe des marchés à l’exportation, parce qu’on produit autrement. C’est cet acte d’innovation, de création qui est au coeur de l’économie. L’économie n’est pas une photo, une photo que l’on redécoupe un peu comme le fait Monsieur Jospin. L’économie, c’est un film. Et quand je pense à ce que propose Monsieur Jospin, je pense à un train. Imaginez : le train est là, il y a du monde qui ne réussit pas à monter dans le train et puis il y a quelqu’un qui est un peu autoritaire, qui dit, on va partager les billets, les places, que ceux qui sont sur le quai montent dans le train, que ceux qui sont dans le train descendent du train. Ça c’est le programme Jospin. C’est formidable, malheureusement, on a oublié la locomotive. Et des gens resteront à quai.
D. Bilalian : Est-ce que malgré tout, on ne peut pas demander aux chefs d’entreprise de partager un peu les richesses ?
Alain Madelin : Il faut leur demander de créer des richesses. Leur métier, c’est de créer des richesses et des emplois nouveaux. C’est ce que comprennent tous les pays dans le monde, même les socialistes. Les sociaux-démocrates en Hollande, Tony Blair, socialiste travailliste, sont bien loin de proposer ce que propose Monsieur Jospin pour la France. Et je crois qu’il ne voit pas le nouveau monde qui est en train de se dessiner, qui sera vraiment le monde non pas de l’intervention étatique, du vieux dirigisme, mais qui va être le monde de l’initiative. Si l’on veut multiplier les emplois, il faut multiplier les initiatives et les entrepreneurs.
D. Bilalian : Ce monde-là c’est un peu le monde de Renault Vilvorde ?
Alain Madelin : Non pas du tout. Renault Vilvorde est un mauvais exemple. Je ne vais pas repolémiquer comme je l’ai fait avec Monsieur Schweitzer. Sans doute la décision était indispensable, mais je crois qu’il y a une brutalité sociale qui fait que trop souvent, les gens ignorent les hommes. Je dis peut-être ça parce que mon père était ouvrier chez Renault. Je crois que ce n’est pas l’idée que je me fais de Renault et de la façon de diriger une entreprise. Le problème est qu’à côté, on ne crée pas d’emplois, on ne crée pas d’entreprises. Qu’il y ait des usines qui ferment, qu’il y ait des gens licenciés, hélas ! cela arrive et cela arrivera encore. Le problème c’est qu’ailleurs, il y ait des chances nouvelles. Ce qui me frappe dans le projet socialiste, c’est qu’à aucun moment, on ne parle de la création d’entreprises et à aucun moment, on ne parle du développement des PME et PMI alors que tout le monde sait que c’est là que se trouvent les véritables gisements d’emplois.
D. Bilalian : François Léotard a renvoyé Front national et Front populaire dos à dos. Vous auriez pu dire cela ?
Alain Madelin : J’essaie, voyez-vous, de me tourner vers l’avenir et pas vers le passé. Mais je crois que les socialistes ont quand même une lourde responsabilité lorsqu’ils nous ont expliqué à propos des lois sur l’immigration – alors que nous sommes un État de droit, que nous avons un Conseil constitutionnel – que ce Gouvernement était en quelque sorte le gouvernement de Vichy. Je crois qu’aujourd’hui, sur le plan politique, François Léotard a eu raison de dire que socialistes et FN sont parfois alliés objectifs. D’ailleurs Monsieur Le Pen ne dit pas autre chose lorsqu’il dit : je préfère Monsieur Jospin à Monsieur Chirac. Alors nous avons les deux adversaires devant nous, on ne va pas les combattre par des invectives, on va essayer de les combattre par des propositions.