Article de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "Rzeczpospolita" du 7 mars 1997, sur la nouvelle architecture de défense européenne, l'élargissement de l'OTAN et la mise en place d'un partenariat entre l'OTAN, la Russie et les pays baltes.

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Média : Presse étrangère - Rzeczpospolita

Texte intégral

Pour l’ensemble de nos pays, 1997 sera une année charnière dans la définition d’une nouvelle architecture européenne de sécurité en Europe adaptée à la nouvelle situation stratégique en favorisant l’unité de la grande famille européenne. Elle sera décisive car trois processus importants vont déterminer l’avenir de notre continent :
    - La conclusion de la conférence inter-gouvernementale de l’Union européenne et l’engagement du processus d’élargissement de l’Union ;
    - L’adaptation des structures de l’Alliance atlantique, son élargissement et le développement de ses relations avec les États membres ;
    - Le renforcement de l’OSCE en tant que socle de l’architecture européenne de sécurité.

Les discussions en cours suscitent de fortes attentes parmi les démocraties d’Europe centrale et orientale.

La France est consciente de cette attente et entend y répondre pleinement. C’est la raison fondamentale pour laquelle elle est résolument en faveur de l’élargissement de l’Union européenne et considère l’entrée dans l’Otan de certains pays d’Europe centrale comme un fait positif. C’est un devoir moral. C’est également une nécessité politique.

La Pologne, en particulier, suscite beaucoup de sympathie et d’amitié en France, en raison de nos liens anciens mais aussi de sa vision de l’avenir qui est résolument européenne.

L’objectif de la France, dans ce contexte, est clair et précis : nous souhaitons que la reconstitution de la famille européenne se réalise de manière harmonieuse. Elle doit tenir compte des préoccupations de tous. Il n’est de l’intérêt de personne, dans l’Europe de coopération et de solidarité que nous appelons de nos vœux, que certains aient le sentiment d’avoir été laissés pour compte dans la réalisation de ce grand projet.

Il faut donc exploiter les occasions qu’offrent les différentes composantes de cette architecture européenne de sécurité, au premier chef, l’Alliance atlantique, l’Union européenne et l’UEO, ainsi que l’OSCE.

À nos yeux, ce souci d’harmonie est particulièrement important dans la gestion de l’élargissement de l’Alliance atlantique.

Les pays candidats font partie de la grande famille européenne. Certains seront invités dès le Sommet de Madrid à entamer les négociations d’adhésion. Lors de sa visite en Pologne, en septembre dernier, le président Jacques Chirac a clairement affirmé le soutien chaleureux de la France et de l’Otan.

L’élargissement de l’Alliance doit s’inscrire dans un processus global destiné à renforcer la sécurité de tous les pays européens. Il faut veiller à ce qu’une Alliance élargie ne soit pas perçue comme l’instrument d’une nouvelle fracture en Europe. Un supplément de sécurité pour les uns, ne doit pas se traduire par un sentiment de moindre sécurité pour les autres. Nous ne pouvons pas accepter l’idée d’un jeu à somme nulle dans l’Europe d’aujourd’hui. C’est pourquoi, nous estimons qu’il faut prendre en compte les intérêts de sécurité de tous les pays européens, particulièrement de ceux qui ne seront pas immédiatement invités à négocier leur adhésion à l’Alliance et de ceux qui souhaitent simplement renforcer leurs liens avec elle, sans désirer y adhérer, par le biais d’un partenariat pour la paix, renforcé.

L’élargissement est en particulier indissociable de la mise en place d’un partenariat de sécurité stable et confiant entre l’Otan et la Russie. L’établissement de nouvelles relations entre l’Otan et la Russie s’impose indépendamment même de la question de l’élargissement de l’Alliance. Il s’agit de reconnaître en la Russie un partenaire qui n’est pas la continuation de l’URSS, mais un État nouveau en transition vers la démocratie et l’économie de marché et qui est un élément déterminant de l’architecture européenne de sécurité.

La charte Otan-Russie, la négociation sur l’adaptation du Traité sur les forces conventionnelles en Europe et l’OSCE sont les principaux cadres où doivent être tracées les perspectives d’un avenir où la confrontation et la suspicion auront définitivement cédé la place à la coopération et la solidarité.

Dans le cadre des discussions entre alliés et la Russie, l’idée d’un sommet entre le président Eltsine et un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement alliés, a été suggérée. Il s’agit d’une simple idée, non d’une proposition française. Elle est une formule possible, parmi d’autres, pour témoigner à la Russie, d’ici le Sommet de l’Otan de Madrid, que l’élargissement n’est pas dirigé contre elle, et qu’elle est un partenaire à part entière de la sécurité européenne. Il n’est dans l’esprit de personne de créer un « directoire des grands » qui déciderait par-dessus la tête des autres États européens, ni de se substituer aux négociations menées avec la Russie par le Secrétaire général de l’Otan, M. Solana ; La France, pour sa part, attache beaucoup de prix à l’unité des alliés et la prise en compte des intérêts de tous dans ce processus.

Je voudrais également souligner l’importance que revêtent pour la France, dans le contexte du renforcement des liens de l’Alliance avec ses partenaires, les questions régionales, et plus particulièrement la région baltique.

Les inquiétudes que suscitent chez les États baltes le processus d’élargissement de l’Alliance doivent être comprises. Victimes, dans le passé, d’un partage décidé par d’autres, ils craignent naturellement de voir à nouveau leur destin décidé sans eux. La France considère qu’une réponse appropriée doit être apportée. Celle-ci passe, à nos yeux, par un ensemble de mesures, y compris une relation spéciale entre l’Alliance et les États baltes. Nous suggérons en particulier l’établissement d’une plate-forme de coopération spécifique qui pourrait concerner certains pays de l’Alliance atlantique, les États baltes et d’autres riverains de la mer baltique.

Français et Polonais partagent la même vision d’une Europe unie et réconciliée avec elle-même. Ils y ont également le même intérêt. Je forme le souhait que la France et la Pologne travaillent main dans la main pour aider à mettre en place sans tarder la nouvelle architecture de sécurité à laquelle aspire l’ensemble des peuples européens.