Articles de M. Jean-Claude Tricoche, conseiller fédéral de la FEN chargé de la formation professionnelle, dans "FEN hebdo" du 21 février 1997, sur le livre blanc sur la formation des chambres de commerce et d'industrie, et sur les orientations du sommet pour l'emploi des jeunes.

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Média : FEN Hebdo

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FEN-HEBDO - 21 février 1997

Formation professionnelle

Un livre pas très blanc

Dans un livre blanc les chambres de commerce et d’industrie procèdent à une attaque en règle contre l’Éducation nationale et les partenaires sociaux. Exercice grossier qui masque mal leur souci de conserver leur monopole sur la taxe d’apprentissage.

Les chambres de commerce et d’instrument (CCI) ont tenu à Poitiers leur 9e carrefour de la formation. Pour faire connaître leurs propositions elles ont publié un livre blanc intitulé « former autrement ».

Établissements publics, les chambres de commerce et d’industrie sont un organisme de formation disposant à cet effet d’un budget annuel de 5,5 milliards de francs, de 522 établissements de formation dont 117 CFA, de 31 000 enseignants pour accueillir annuellement 500 000 stagiaires, élèves ou apprentis. C’est donc en opérateur concurrent de l’Éducation Nationale et des organismes de formations privés que les CCI place le débat de la formation professionnelle. De ce fait leur livre blanc n’est qu’un long réquisitoire contre le service public d’Éducation et contre les partenaires sociaux.

Un système éducatif sous l’emprise de l’Éducation nationale.

Ressassant une fois de plus l’argument éculé du « manque de convergence entre le système éducatif et les besoins des entreprises » le livre blanc des CCI en pointe trois raisons.

La première tiendrait au dispositif d’information et d’orientation qui privilégient « une orientation vers des formations générales à finalité diplômantes au détriment des formations permettant l’apprentissage d’un métier ou l’acquisition d’une compétence professionnelle ». L’ONISEP pour ses brochures et les CIO pour leurs actions, sont nommément accusés de favoriser les « cursus scolaires, en vue d’obtenir le diplôme le plus élevé possible » et de négliger la « possibilité d’apprendre un métier et d’accéder à un premier emploi ». Vous avez dit responsable du chômage des jeunes ?

Deuxième raison, les modes de « reconnaissance ou de validation des savoirs presque exclusivement construits en fonction de référentiels de diplômes définis par l’Éducation nationale ».

Cette validation « trop académique des savoirs » est encouragée par la fonction publique qui exige « un diplôme d’un certain niveau » pour passer un concours « construit sur l’évaluation théorique de connaissances ». Pour les CCI il est urgent de « libérer la formation professionnelle des jeunes de la dictature des formations générales et des diplômes ». Dictature que le livre blanc reconnaît comme le fruit de l’histoire culturelle et sociale de la France mais qui est « sans cesse renforcé par l’emprise quasi monopolistique de l’Éducation nationale, qui détermine et réglemente pour elle et pour les autres ».

Enfin troisième raison, l’« illisibilité de nos systèmes d’éducation de formation », dont le livre blanc pense qu’elle est difficilement réductible. Même les efforts pratiqués dans ce sens ne trouvent grâce aux yeux des CCI qui constatent que « la course effrénée des administrations centrales pour adapter l’inadaptable, réduire l’irréductible, concilier l’inconciliable n’engendre que pléthore de règles, pousse à les ignorer, détruit l’autorité ».

Des partenaires sociaux responsable de la dérive de la formation continue

Dans le réquisitoire des consulaires, les partenaires sociaux rejoignent l’Éducation nationale sur le banc des accusés. Il ne faut pas chercher là des préoccupations liées à la formation, il s’agit en fait d’une affaire de gros sous.

Initiateur de la réforme du dispositif de collecte des fonds de la formation professionnelle, introduite par la loi quinquennale du 20 décembre 1993, les partenaires sociaux, organisations d’employeurs et organisations de salariés confondues, sont accusés de « tromperie »et de « volonté de nuire ».

Raison de cette colère « la séparation des fonctions de collecteur de fonds de celles de dispenseur de formation » qui met en lumière la confusion des rôles collecteur-formateur des CCI et fait peser une menace sur leur monopole dans la collecte de la taxe d’apprentissage. À titre préventif le livre blanc annonce que « les chambres consulaires n’entendent en aucune façon abandonner cette mission qui leur a été confiée par le législateur ». Leur lobbing au parlement les a jusqu’à ce jour garanties de toute velléité des différents ministres du travail. Enfin dans une période où il est de bon ton de la part des libéraux de fustiger les contraintes réglementaires, le livre blanc dénonce « nombre de règles édictées par le code du travail » comme « la source de rigidités supplémentaires qui interdisent au dispositif de formation de s’adapter à l’évolution de l’économie et aux besoins des entreprises ».

Satisfecit pour les chambres consulaires

Après le réquisitoire, les propositions. Là aucune surprise, l’apprentissage tient la vedette. Sans fausse modestie, les CCI pense qu’elles possèdent « toutes les capacités nécessaires, à condition d’y être encouragée, pour constituer le noyau dur d’une filière apprentissage parallèle à la filière apprentissage parallèle à la filière de l’Éducation nationale ». Bonne âme elles concèdent à ce « Léviathan » le rôle de partenaire puisque l’Éducation nationale est « désormais plus ouverte à l’apprentissage ». Mais à deux conditions.

La première est la reconnaissance de la prédominance de leur savoir-faire qui « ne s’arrête pas à la délivrance d’une diplôme » et qui permet de placer « 80 % des jeunes en entreprise dans les trois mois qui suivent leur sortie de formation ».

Deuxième condition, que les établissements publics d’enseignement fasse « un très large effort d’amélioration de la qualité des formations, qualité des enseignants, des locaux, des équipements ». Bien évidemment cet effort n’est pas demandé exclusivement à l’Éducation nationale qui pour sa part doit « trouver à l’interne les ressources » et réaliser « les redéploiements » pour améliorer « sa productivité ».

En conclusion, un livre blanc qui occulte toute critique concernant les chambres de commerce et d’industrie dont pourtant un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (1) constate qu’elles bénéficient « des stagiaires de concentration des flux financiers » et jouent un « rôle de diffraction de la taxe vers leurs structures de formation ».

En somme, un livre pas très blanc en terme d’objectivité.

(1) Rapport annuel 1994

 

FEN-HEBDO - 21 février 1997

Emploi formation

L’emploi absent au Sommet

Après décembre 1995 et juin 1996, le troisième sommet pour l’emploi des jeunes de février 1997 n’a abordé l’emploi qu’au travers de la formation. Revue de détail des différentes mesures.

Les orientations annoncées par le Premier ministre, à l’issue de la Conférence Nationale sur l’emploi des jeunes réunie le 10 février 1997 à Matignon, s’articulent autour de la formation. Formation en alternance sans contrat de travail, avec une nouvelle relance de l’apprentissage. Formation en alternance pour certains étudiants avec la mise en œuvre des stages de première expérience professionnelle. Quasiment absent du sommet, l’emploi n’apparaît qu’au travers des mesures de déconcentration financière et sous la forme nouvelle du quota pour l’emploi des jeunes.

Alternance et première expérience professionnelle

Considérée par le gouvernement comme la panacée pour l’emploi des jeunes, la formation en alternance sous contrat de travail bénéficiera d’un nouvel effort financier de l’État. Objectif : 400 000 jeunes en apprentissage et en contrat de qualification en 1997.

Pour atteindre ce chiffre, les entrées en apprentissage devront progresser de 20 % et atteindre le nombre de 230 000.

À cet effet, les places dans les CFA augmenteront de 15 % notamment par l’ouverture de sections d’apprentissage dans les lycées professionnels de l’Éducation nationale.

Du côté financier, 70 millions de francs supplémentaires seront inscrits dans les contrats de plan État-régions. L’apprentissage dans le secteur public est mis à contribution. Les collectivités locales territoriales seront invitées à embaucher 10 000 jeunes en apprentissage. Pour les y aider les contrats d’apprentissage conclus dans le secteur public bénéficieront des mêmes avantages que le secteur privé : prime à l’embauche (6 000 Frs) et soutien à la formation (10 000 à 12 000 Frs).

Pour que ces dispositions issues de la loi du 6 mai 1996, relative au financement de l’apprentissage, s’appliquent au secteur public, il faut légiférer. En effet, si l’article 18 de la loi du 17 juillet 1992 (1) a autorisé le secteur public à conclure des contrats d’apprentissage et l’article 92 de la loi du 16 décembre (2) prorogé cette possibilité jusqu’au 31 décembre 1998, les employeurs publics ne bénéficient pas des aides de l’État. Le gouvernement soutiendra donc la proposition de loi « Jacquemin » le 20 février à l’Assemblée nationale.

En perte de vitesse, les contrats de qualification seront relancés. Pour atteindre les 130 000 contrats (+ 35 %) en 1997, l’aide forfaitaire aux employeurs (5 000 à 7 000 Frs) sera rétablie. Il en coûtera 750 millions de francs au budget de l’Etat.

Seule nouveauté de ce sommet « l’unité de première expérience professionnelle » sera mise en œuvre à titre expérimental, dès la rentrée universitaire 1997, dans les seconds cycles universitaires de l’enseignement général.

Remaniés et rebaptisés, les stages de Didier Pineau-Valencienne (CNPF), feront l’objet d’une convention tripartite entre l’étudiant, l’entreprise et l’université. Ils se dérouleront dans les entreprises privées ou publiques sous le double tutorat de l’université et de l’entreprise qui le valideront conjointement.

Son statut étudiant, les stagiaires rémunérés 30 % du SMIC exerceront leur activité en entreprise dans le cadre d’une « charte nationale des stages » élaborée d’ici le mois d’avril.

Toujours au titre de l’expérience professionnelle un contrat « avenir international » de 18 mois et un contrat de « volontariat » de 16 à 18 mois dans le cadre de la réforme du service national, devront permettre à 10 000 jeunes de 18 à 30 ans d’acquérir une expérience dans des entreprises françaises à l’étranger.

Déconcentration et quota jeune

Réduites à la portion congrue les propositions pour l’emploi des jeunes s’appuient sur les initiatives locales. À cet effet, les Préfets des départements disposeront d’un « fonds départemental pour l’emploi des jeunes ». Un milliard de francs sera dégagé pour alimenter ces fonds.

Dans les régions : Lorraine, Nord Pas-de-Calais, Auvergne, Limousin, Bretagne, Poitou-Charentes, l’ensemble des crédits d’aide à l’emploi seront déconcentrés. Les Préfets de ces 6 régions disposeront au total de 8 milliards de francs de crédit public pour les CES, CIE, stages d’insertion, emplois ville, emplois consolidés…

Entre mars et septembre 1997, les ANPE, les missions locales et PAIO devront proposer des parcours de formation et d’insertion à 100 000 jeunes chômeurs de longue durée.

Enfin les dispositifs d’aide publique pour l’emploi accorderont une priorité à l’embauche des jeunes : deux jeunes pour trois embauches. La loi Robien et le dispositif des préretraites progressives seront concernés par le quota jeune.

Parmi les orientations retenues par le gouvernement à l’issue de la Conférence Nationale, certaines nécessitent une négociation des partenaires sociaux et leur succès dépendra de la bonne volonté des employeurs. Mais pour l’essentiel, l’emploi était absent de ce sommet. Le constat vient des rangs mêmes de la majorité parlementaire. D’aucuns affirment que « la meilleure formation ne peut amener à des emplois qui n’existent pas »et d’autres que « le problème est ailleurs. Il est dans la création d’activités nouvelles » (3).

Faute d’avoir abordé le vrai problème, celui de la création d’emplois, le gouvernement en est une fois de plus, rendu à proposer la sélection des embauchés.

(1) Loi portant diverses dispositions relatives à l’apprentissage.
(2) Loi relative à l’emploi dans la fonction publique.
(3) Déclaration de P. Séguin et A. Madelin, journal Les Échos du 12 février 1997.