Texte intégral
Agence syrienne « Sana » - 4 mars 1997
Sana : Pouvez-vous nous rappeler, Monsieur le ministre, le but de votre visite en Syrie, qui se déroule une semaine à peine après celle du vice-président, M. Abdul Halim Khaddam et celle du ministre des affaires étrangères, M. Farouk Al Charaa ?
Hervé de Charrette : Vous connaissez la qualité des relations entre nos deux pays. Un partenariat politique fort a été mis en place, notamment à l’occasion de la visite officielle du Président de la République en octobre dernier. Aussi, la concertation entre la France et la Syrie demande que des visites régulières aient lieu.
Mais, cette visite répond à un objectif plus immédiat. La France est inquiète de l’impasse dans laquelle se trouvent les volets israélo-syrien et israélo-libanais du processus de paix et de la montée de la tension au Sud Liban. Ma tournée répond donc, pour une large part, à la volonté de contribuer à relancer les négociations sur ces deux volets.
Sana : À travers les différents échanges de visites au Moyen-Orient, la France est-elle porteuse d’éléments nouveaux, susceptibles de faire relancer le processus de paix ?
Hervé de Charrette : La France a reçu la visite de nombreux responsables des pays impliqués dans le processus de paix : le ministre israélien des affaires étrangères, M. David Levy, le président du conseil libanais, M. Hariri, et le ministre des affaires étrangères libanais, M. Farès Bouez, enfin, comme vous le releviez, le vice-président et le ministre des affaires étrangères syriens.
Mais, la France se concerte également avec ses partenaires occidentaux. En premier lieu l’Europe et son envoyé spécial pour le processus de paix, M. Miguel-Angel Moratinos, mais aussi les États-Unis. J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec le secrétaire d’État américain, Mme Madeleine Albright, très récemment à Paris.
Vous le voyez, la France a de multiples contacts avec les parties au processus de paix et je suis intimement convaincu que, de par son histoire et sa proximité avec cette région, elle a un rôle spécifique à jouer.
Sana : Quel jugement portez-vous sur le rô1e de la Syrie dans le processus de paix ?
Hervé de Charrette : La Syrie est un acteur essentiel du processus de paix.
Le président Assad a fait de la paix « un choix stratégique ». La Syrie réclame une paix « juste et globale » basée sur l’échange de la terre contre la paix. Pour nous, l’échange de la terre contre la paix doit guider les négociations.
Cependant, aujourd’hui, les négociations sont bloquées et nous pensons qu’il est maintenant essentiel de définir une perspective pour la négociation, de faire apparaître qu’il est de l’intérêt des autres parties de reprendre les discussions.
Sana : Considérez-vous que les volets syro-israéliens et libano-israélien soient prioritaires dans la prochaine étape du processus de paix ?
Hervé de Charrette : Je ne poserais pas la question de cette manière. Je crois que c’est le processus de paix dans son ensemble qui est prioritaire. Depuis le lancement de la Conférence de Madrid en 1991, les choses ont considérablement évolué. Il y a six ans, personne ne pensait que les avancées qui ont eu lieu, et qui n’étonnent plus personne aujourd’hui, étaient possibles.
Bien sûr, beaucoup reste à faire et c’est encore plus vrai pour ce qui concerne les volets syro-israélien et libano-israélien. Sur ces volets, le blocage est total depuis bientôt un an. Il est donc urgent et capital que les négociations reprennent et qu’elles aboutissent.
Sana : Est-ce que la France exige toujours une concomitance des volets israélo-syrien et israélo-libanais ?
Hervé de Charrette : Et est-ce que cette concomitance est une condition nécessaire et suffisante ?
Notre position est claire. Nous pensons que seul un règlement global peut amener une paix juste et durable dans la région. Je suis convaincu qu’il serait déraisonnable d’essayer de dissocier les volets syrien et libanais. Toute les tentatives en ce sens ont échoué. S’il s’agit vraiment d’aboutir à une paix globale, il faut que la négociation soit menée sur ces deux volets.
Sana : Comme je vous le disais, nous pensons effectivement que le principe de l’échange des territoires contre la paix ainsi que les résolutions pertinentes des Nations unies, doivent être à la base des négociations. Nous pensons qu’il doit être possible de rapprocher les points de vues. Il faudra sans doute beaucoup de travail et de persévérance. Nous souhaitons y contribuer.
Les positions sont aujourd’hui figées. Il faut que les parties reprennent les négociations sur des bases mutuellement acceptables.
Sana : Quelle est la nature de l’influence que la France peut exercer pour la relance du processus de paix ?
Hervé de Charrette : La France a de bonnes relations avec les pays arabes comme avec Israël. C’est un atout considérable. Nous voulons encourager les parties à reprendre langue et examiner avec elles les moyens d’y parvenir.
Il ne s’agit pas d’agir seul. Nous avons discuté avec nos partenaires. Nous voulons conjuguer nos efforts avec tous ceux qui ont une influence dans la région.
Sana : Est-ce que la coordination entre la France et les États-Unis est parfaite, concernant le processus de paix ?
Hervé de Charrette : Je viens de dire que nous conjuguons nos efforts avec nos partenaires. Il y a, sur l’essentiel, convergence d’objectifs entre la France et les États-Unis. Nous pouvons avoir parfois des différences d’approche mais cela n’est rien au regard de la concertation politique que nous entretenons. Les premiers contacts avec Mme Albright sont d’excellent augure et il n’y a aucune raison pour qu’il en aille autrement.
Je crois que la France et l’Europe, d’une part, les États-Unis d’autre part, ont des rôles complémentaires au Proche-Orient. L’expérience du groupe de surveillance au Liban est exemplaire à cet égard.
Sana : Croyez-vous que le Président Clinton qui débute un second mandat, soit en mesure de peser de tout le poids de son pays afin de relancer le processus de paix ?
Hervé de Charrette : Je fais confiance aux grandes qualités du Président Clinton et à sa volonté de promouvoir la paix dans la région. Les États-Unis sont très impliqués dans le processus de paix ; ils ont eu et ils auront encore un rôle très important à jouer.
Point presse à son arrivée à l'aéroport - 5 mars 1997
Q. : Quelles sont les nouvelles idées que vous apportez en Syrie ?
Hervé de Charrette : Je suis venu pour rendre visite au Président Hafez El Assad et à mon homologue syrien, M. Al-Charaa, dans le cadre des relations étroites qui existent entre la Syrie et la France. Nous avons reçu le vice-président syrien, M. Abdel Halim Khaddam, et M. Farouk AI-Charaa il y a quelques jours à Paris et nous poursuivons le même travail ensemble.
Q. : Avez-vous constaté une modification des positions israéliennes ?
Hervé de Charrette : Je crois que la situation du processus de paix est très compliquée et très difficile. C’est pourquoi je vais en parler avec les dirigeants syriens pour voir ce que nous pouvons faire ensemble.
Q. : Après les négociations que vous avez eues en Israël, est-ce que vous êtes optimiste et vous pensez qu’une reprise des négociations entre Damas et Israël sera possible prochainement ?
Hervé de Charrette : Je crois que, comme vous le savez, beaucoup d’obstacles demeurent sur le chemin du processus de paix. La France s’efforce naturellement de faciliter les choses. C’est pourquoi, j’attache beaucoup d’importance à la conversation que j’aurai avec le Président Assad et avec M. Farouk Al-Charaa.
France Inter - 5 mars 1997
La France considère que cette décision est contraire au droit international et que, par conséquent, loin de dégager la voie du processus de paix, elle constitue un obstacle dans ce sens.
C’est pourquoi, nous regrettons profondément cette décision. Entre deux pays proches, on peut comprendre qu’on ne soit pas d’accord sur tout. J’ai dit à mes amis israéliens que naturellement, je souhaitais que nous ayons une relation très proche entre nos deux pays et que dans ces conditions, les différences d’appréciation ne devaient pas tourner en conflit.
J’ai donc exprimé aux autorités israéliennes, le point de vue français sur la question qu’on venait d’évoquer, et en même temps, je maintiens qu’entre nos deux pays, il faut garder un dialogue très étroit. C’est d’ailleurs quand on veut se parler qu’on peut le mieux expliquer les différentes appréciations des uns et des autres.
Point presse - 6 mars 1997
Je voudrais vous confirmer combien j’ai été heureux de rencontrer le Président El Assad avec qui nous avons eu une très longue et très utile audience. Je voudrais remercier aussi mon ami, Farouk Al-Charaa, avec qui nous avons fait, je crois, du très bon travail ce matin. Nous avons d’abord parlé des relations bilatérales entre la France et la Syrie, dont je peux vous confirmer qu’elles sont très bien orientées. Nous constatons une progression très réelle des échanges économiques ; nous avons un dialogue très profond et très amical sur toutes les questions internationales et je constate de nombreuses convergences. Nous avons, bien sûr, parlé de la coopération technique et culturelle. Nous avons en particulier réglé une question très importante qui concernait l’avenir de l’École française de Damas, à laquelle nous attachons évidemment beaucoup d’importance, celle-ci étant l’un des moyens clés de cette coopération entre les deux pays.
Bien entendu, nous avons parlé du processus de paix. Nous y avons consacré de très longs moments. La situation actuelle est une situation de blocage, une situation d’attentisme. C’est évidemment préoccupant. J’ai exprimé l’inquiétude de la France devant ces blocages et les dangers que recèle le fait que les négociations n’aient pas encore repris. Naturellement, j’ai écouté avec beaucoup d’attention le point de vue du gouvernement et du Président syrien. Je vais en rendre compte très prochainement au Président de la République. J’en tire un certain nombre d’enseignements.
Je crois qu’il faut tout faire pour sortir de l’impasse que vient d’évoquer à l’instant Farouk Al-Charaa. Comme vous pouvez le constater, la France joue un rôle important au moment où les uns et les autres travaillent à la recherche de la bonne solution. Nous réfléchissons aux moyens de sortir de cette impasse et nous nous préparons à cette fin. Bien sûr, nous travaillerons avec toutes les parties, nous ferons toutes les concertations appropriées et je répète que la situation actuelle est préoccupante. Il est donc nécessaire que tous ceux qui sont décidés à parvenir à la paix travaillent ensemble dans la même direction. C’est ce à quoi je vais m’employer et ce à quoi la France va travailler.
Q. : Après les discussions que vous avez eues à Damas et en Israël, êtes-vous plus optimiste pour les relations bilatérales, entre la France et la Syrie, d’une part, et entre la France et Israël, d’autre part, ou pour le processus de paix ?
Hervé de Charrette : Pour les relations bilatérales de la France avec ses partenaires au Proche-Orient, je suis franchement heureux. Pour le processus de paix, Madame, j’aimerais être aussi heureux. Mais, la vérité m’oblige à dire que ce n’est pas le cas. C’est bien pour cela qu’il faut y consacrer des efforts sérieux et déterminés. C’est ce que je fais, et ce que fait et fera la France.
Q. : La Syrie dit qu’elle veut reprendre les négociations au point où elles se sont arrêtées. Il est naturel que la Syrie souhaite continuer les discussions. Mais, une opinion isolée ne dit pas cela. Est-ce qu’au cours de vos entretiens en Syrie et en Israël, vous avez présenté une initiative précise permettant aux parties de trouver une formule débouchant sur la reprise des négociations ?
Hervé de Charrette : Vous avez bien défini le problème. Il y a, entre les positions des parties, un écart très important. Vous avez évoqué le point de vue syrien. On peut comprendre, puisque des discussions avaient été menées pendant une longue période, ce qui illustre la difficulté dans laquelle nous sommes. S’il n’y avait pas de différences entre les points de vue des deux parties, la Syrie d’un côté, Israël de l’autre, tout irait bien : les négociations auraient repris et nous ne serions pas utiles. Cela serait une bonne chose puisqu’on irait dans la bonne direction. Mais, tel n’est pas le cas. Je crois donc qu’il est important que l’ensemble de tous ceux qui attachent le plus grand intérêt à la paix, et donc à la reprise du processus de paix, y consacrent tous leurs efforts. Je ne doute pas que les États-Unis le feront. Soyez assurés que la France, animée de toute sa bonne volonté, apportera sa contribution avec le souci et l’ambition de rapprocher les points de vue. Mais, Monsieur, il est vrai qu’il y a des obstacles.
Q. : Après les discussions que vous avez eues en Israël, est-ce que les Israéliens ont toujours en tête l’option « Liban d’abord » ?
Hervé de Charrette : Madame, je suis bien placé pour vous parler du jugement que porte la France sur la situation, mais je suis très mal placé pour vous parler du point de vue des autres. Et donc, si vous voulez avoir l’opinion de telle ou telle partie, le mieux est de vous adresser directement à la personne ou au pays concerné. Mais, je vous confirme que la paix avec la Syrie et le Liban exige une reprise complète et loyale du processus de paix. Nous l’avons toujours dit.