Texte intégral
La Tribune : Quand choisira-t-on les premiers pays participant à l’Union économique et monétaire (UEM) ?
Michel Barnier : La décision du conseil réuni au niveau des chefs d’État et de gouvernement c’est lui en effet qui doit sélectionner les pays aptes à entrer dans l’UEM sera prise probablement fin avril 1998. Techniquement, elle ne peut l’être avant puisque la commission doit collecter les données définitives des budgets 1997 de tous les pays afin de présenter un rapport au conseil. L’IME (Institut monétaire européen, préfiguration de la future Banque centrale européenne) doit également faire un rapport. Enfin, la procédure prévoit une décision conseil des ministres des finances et un avis du Parlement européen avant que le Conseil européen n’arrête la liste définitive des premiers participants.
La Tribune : Comment cette liste sera-t-elle arrêtée ?
Michel Barnier : Le Traité de Maastricht est précis. Ce sera au Conseil européen d’apprécier au vu de tous les chiffres. Mais, on ne peut les faire mentir et il faudra respecter le traité dans l’esprit et la lettre. Le calendrier d’un côté et les critères de l’autre sont indissociables.
La Tribune : Cela signifie donc que l’on peut envisager l’euro sans l’Europe du Sud ?
Michel Barnier : Seront dans l’euro les pays qui seront aptes. Cette règle du jeu, les quinze l’ont voulue et mise en œuvre. Le Gouvernement français souhaite que le plus grand nombre de pays soient dans l’euro dès 1999. Mais chaque candidature sera appréciée en fonction de ses mérites propres. Les pays du Sud font des efforts considérables pour être prêts, Il n’a jamais été question de retarder la mise en place de l’UEM pour attendre l’un ou l’autre. En revanche, on pourrait concevoir que dans tel ou tel pays du Sud ou du Nord de l’union qui ne serait pas prêt dès 1999, pièces et billets en euros soient mis en circulation comme chez nous dès 2002, même si cet État a besoin d’un délai supplémentaire, au-delà de 1997, pour satisfaire à l’ensemble des critères de convergence.
La Tribune : La France et l’Allemagne elles-mêmes n’auront-elles pas des difficultés à remplir pour 1997 les conditions exigées pour l’UEM ?
Michel Barnier : Il est évident que l’Allemagne et la France doivent être prêtes ensemble pour que l’euro ait un sens et soit crédible. Le chancelier allemand et le Président de la République française sont garants de l’engagement de ces deux pays. Chacun fait son propre effort et sera jugé sur ses résultats. Quand bien même n’existerait pas la perspective rapide de l’euro, nous sommes de toute façon tenus de réduire notre déficit et de maîtriser notre dette publique.
La Tribune : Abstraction faite du traité de Maastricht, y a-t-il urgence pour l’Europe à ce que l’euro se fasse en 1999 ?
Michel Barnier : Je crois que plus tôt nous créerons l’euro, mieux cela vaudra. C’est un instrument de stabilité au sein du grand marché. Les entreprises en ont besoin, les salariés également. Pour préserver l’emploi, il faut empêcher les dévaluations dites « compétitives » au sein de l’Europe. D’autre part, l’euro permettra aux entreprises mais aussi aux consommateurs de faire des économies considérables sur le change. Enfin, si nous avons accepté de partager et non d’abandonner notre souveraineté monétaire, c’est pour ne plus subir celle des autres. Avec l’euro, nous allons créer, face au dollar, une autre monnaie mondiale.
La Tribune : Une fois l’euro adopté, que se passera-t-il pour les pays sélectionnés et pour les autres ?
Michel Barnier : Les pays non sélectionnés seront liés à l’euro par un nouveau SME. Pour les autres, un conseil de stabilité et de croissance veillera à renforcer la coopération entre les gouvernements et à s’assurer que les politiques conduites sont bien au service de l’économie et de la croissance.
Le conseil informel sera aussi un lieu de dialogue la Banque centrale européenne à qui il revient, en toute indépendance, de conduire la politique monétaire.
La Tribune : L’euroscepticisme régresse dans les pays du Sud mais progresse dans ceux du Nord, en France, en Allemagne, en Belgique. Les politiques feraient-ils mal leur travail ?
Michel Barnier : Il a manqué, dans les pays les plus anciens de la communauté, un débat permanent sur les questions européennes. Il n’est ni normal, ni démocratique que les politiques ne parlent pas de ces sujets importants avec les citoyens. Naturellement, les crises et les secousses ont été exploitées par les eurosceptiques. Mais, les leçons que l’on peut tirer de toutes ces crises – « vache folle », Albanie, fermeture de Renault Vilvorde vont dans le même sens : il faut plus d’Europe. La CIG (Conférence intergouvernementale) y travaille. Et une certaine évolution se dessine en France : ce n’est plus Bruxelles qui est accusée mais le manque d’harmonisation européenne. Depuis quarante ans, nous avons fait un supermarché. Avec des chiffres, des réglementations techniques et des marchandises, on ne fait pas bouger les peuples. Nous sommes aujourd’hui dans un moment de vérité. Le temps est venu de l’Europe politique !