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Algemen Dagblad : Monsieur le Ministre, partagez-vous l’opinion de quelques pays, comme l’Espagne, selon laquelle les Pays-Bas ne sont pas très ambitieux à la présidence de l’Union européenne, à propos notamment du dossier de l’harmonisation de la politique judiciaire et policière ?
Hervé de Charrette : La France ne peut que se féliciter du dynamisme et de ma compétence de la présidence néerlandaise. On ne pouvait attendre moins de la part des six membres fondateurs de l’Union qui a su montrer depuis 40 ans toute la force de la conviction et de son engagement au service de la construction européenne.
Ceci vaut en particulier pour les travaux menés dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. La France, qui, ainsi que plusieurs autres partenaires, estime indispensable la mise en place progressive d’un espace de liberté, de sécurité et de justice répondant aux attentes des citoyens, n’a aucun doute sur la détermination de la présidence néerlandaise de mener à bien ses travaux.
Algemen Dagblad : Croyez-vous que la politique en matière de drogue des Pays-Bas pourrait-être un obstacle à la conclusion d’un accord en juin à Amsterdam ?
Hervé de Charrette : La politique en matière de lutte contre la drogue est un sujet important de préoccupation pour les autorités françaises. Une coopération bilatérale est engagée avec les Pays-Bas. Nous en attendons des résultats concrets (au-delà des points positifs déjà obtenus).
La France souhaite par ailleurs une harmonisation des législations et des pratiques européennes pour mieux lutter contre la consommation et le trafic de drogue. Elle a fait des propositions en ce sens dans le cadre de la CIG, qui sont soutenues par plusieurs États membres. Nous sommes certains que sur ce point également la présidence néerlandaise jouera son rôle.
Algemen Dagblad : La France a proposé de réformer les institutions de L’union européenne. L’une des propositions est de créer une Commission d’un maximum de dix membres. Pouvez-vous imaginer que la France et l’Allemagne ne prennent pas part à une période ? Ne craignez-vous pas que cela puisse porter préjudice à l’autorité de la Commission ?
Hervé de Charrette : Une réforme profonde des institutions est nécessaire pour rendre possible l’élargissement de l’Union. La France propose en effet de réduire le nombre de commissaires et de renforcer l’autorité du président de la Commission. Loin d’affaiblir la Commission, ces mesures permettront au contraire de renforcer son efficacité et de préserver sa fonction de gardienne de l‘intérêt général communautaire. S’agissant de la composition de la Commission, la France accepte bien entendu qu’il n’y ait pas en permanence un commissaire de nationalité française. Dans le cas d’une Commission réduite à 10 membres, il conviendra de prévoir une formule de rotation plaçant les États membres en situation égale.
Algemen Dagblad : Pourquoi votre gouvernement rejette-t-il les propositions de la Commission européenne ?
Hervé de Charrette : Tout en constatant la nécessité de se limiter à 10 ou 12 portefeuilles, la Commission refuse d’en tirer les conséquences qui s’imposent, à savoir la limitation du nombre de commissaires. Ses propositions, parce qu’elles ne peuvent pas à notre avis assurer un fonctionnement efficace de cette institution, ne peuvent être retenues.
Algemen Dagblad : Si l’Allemagne ne réussit pas à l’examen de l’Union monétaire européenne, à quoi donneriez-vous la préférence : à un délai de l’UEM, ou à une interprétation plus souple des critères ?
Hervé de Charrette : La décision sur les pays remplissant les critères de Maastricht sera prise en avril 1998 sur la base d’un rapport établi par la Commission. La France souhaite que l’euro réunisse le plus grand nombre de pays possible. Le problème d’un éventuel choix entre le respect du calendrier ou l’assouplissement des critères ne se pose pas. Il est clair que le Traité de Maastricht doit être appliqué scrupuleusement.
Algemen Dagblad : Vous avez condamné la méthode dont M. Schweitzer, de Renault, a présenté la fermeture de l’usine à Vilvorde. La colère qui a suivi cette décision ne montre-t-elle pas la nécessité pour l’Europe d’une charte sociale ?
Hervé de Charrette : La France est un ferme partisan de l’Europe sociale. Le mémorandum « Pour le modèle social européen », présenté par le président de la République au Conseil européen de Turin l’année dernière, contient plusieurs propositions qui, si elles étaient retenues, permettraient de faire des avances importantes dans ce domaine, y compris sans attendre la fin de la CIG. Le renforcement du dialogue social européen, notamment au niveau sectoriel, me paraît indispensable. La situation du secteur automobile européen me paraît justifier par ailleurs une réflexion globale. Nous souhaitons que la Commission s’y emploie sans tarder.
Algemen Dagblad : Ne craignez-vous pas que l’exemple de Vilvorde menace l’accord de la population en Europe pour la route de Maastricht ?
Hervé de Charrette : Les réactions sur l’annonce de la fermeture de l’usine de Vilvorde traduisent une émotion bien légitime. Sans méconnaître les réalités économiques ni les exigences de compétitivité qui s’imposent aux groupes industriels, il nous faut répondre aux préoccupations et aux attentes qui se sont exprimées. Le renforcement de la dimension sociale de la construction européenne dans tous ses aspects – dialogue social, services d’intérêt général, lutte contre l’exclusion… –constitue incontestablement un élément important des efforts à mener pour assurer une adhésion plus forte des populations à la construction européenne.
Algemen Dagblad : À Belgrade circule l’information que la France embauche des mercenaires pour supporter le président Mobutu du Zaïre dans le conflit avec les rebelles. Quel est votre commentaire et quelle est la politique officielle de la France à ce sujet ?
Hervé de Charrette : Je démens catégoriquement ces allégations. Comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, la France n’entretient pas de coopération militaire avec le Zaïre. Elle respecte de la façon la plus stricte et la plus scrupuleuse l’embargo de l’Union européenne sur les armes à destination de ce pays. S’il s’avérait exact que des ressortissants français, agissant à titre privé avaient un lien quelconque avec des mercenaires au Zaïre, de tels agissements seraient condamnés de la façon la plus nette car ils ne correspondent en rien à la politique de la France dans la région. La France condamne partout l’emploi de mercenaires.
L’urgence, dans la crise zaïroise, c’est l’arrêt des hostilités sans conditions préalables, car les vies des populations réfugiées et déplacées en dépendent. Notre but unique est le retour de la paix dans le pays. C’est pourquoi nous appuyons fermement le plan de paix en cinq points du Représentant spécial des Secrétaires généraux de l’ONU et de l’OUA, M. Sahnoun, qui prévoit la cessation des hostilités, le retrait des troupes étrangères, l’instauration du dialogue, la mise en œuvre du processus électoral et la tenue de la Conférence internationale des Grands lacs sous l’égide de l’ONU et de l’OUA…
Algemen Dagblad : La loi Debré entraîne peut-être moins d’immigration (clandestine) en France, mais plus dans les autres pays d’Europe. N’est-ce pas mieux d’harmoniser la politique d’immigration en Europe et espérez-vous que ce dossier pourra être réglé au Sommet d’Amsterdam ? Quels sont les points de différence les plus importants parmi les États membres ?
Hervé de Charrette : La définition d’une politique commune en matière d’immigration fait partie des questions traitées par la Conférence intergouvernementale dans le cadre des travaux relatifs à la mise en place d’un espace de liberté, de sécurité et de justice. Cette question fait l’objet d’un consensus assez large entre les États membres. Des discussions sont toutefois encore nécessaires pour préciser les procédures de décision et la délimitation des actions qui resteront de la compétence des autorités nationales.
Quant à la loi en cours d’adoption en France, qui a été présentée par le ministre de l’Intérieur M. Jean-Louis Debré, elle renforce certains moyens légaux pour lutter plus efficacement contre l’immigration clandestine en France, mais ceci ne facilitera en aucune façon l’immigration clandestine dans d’autres pays d’Europe et certains ont pris d’ailleurs des mesures plus sévères. Par ailleurs, la nouvelle loi comporte, ce qui est rarement mentionné dans le débat actuel, des dispositions permettant la régularisation de plusieurs catégories d’étrangers pour l’instant en situation irrégulière.