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Time Magazine : Washington et Paris paraissent s'opposer dans tous les domaines : l'OTAN, le Moyen-Orient, l'Afrique. Que se passe-t-il ?
Hervé de Charette : Il ne faut pas dramatiser la situation. Il y a eu cet incident à la suite d'un article paru dans la presse américaine, qui a été amplifié et aggravé, et qui a fini par créer un problème. À dire vrai, cela a été pour moi une surprise totale, car toute cette histoire était pur mensonge. Cela a révélé à l'opinion publique américaine comme à l'opinion publique française l'existence d'un problème. Mais nous ne devons pas laisser cette manœuvre douteuse faire oublier ce que Français et Américains ont construit ensemble. Depuis l'élection du président Chirac, les relations entre la France et l'Amérique ont été considérablement renforcées. L'Administration démocratique (sic !) a déclaré qu'une Europe forte et unie est dans l'intérêt des Etats-Unis, et la France a compris que l'Europe a besoin de ce que M. Chirac appelle " un nouveau partenariat transatlantique ". Il y a donc accord sur le fond.
Time Magazine : Pourtant, il existe manifestement des points de désaccord ?
Hervé de Charette : Cela est normal. Nous ne sommes pas nécessairement d'accord sur tout, c'est pourquoi nous en parlons ; tel est le rôle de la diplomatie. Nous avons l'ambition de voir l'Europe assumer pleinement ses responsabilités, jouer pleinement son rôle. Nous souhaiterions avec les États-Unis davantage de partenariat, moins de leadership : un dialogue d'égal à égal.
Time Magazine : Est-il vrai que vous ne vous entendez pas avec Warren Christopher ?
Hervé de Charette : Il ne faut pas accorder une trop grande importance aux problèmes personnels. Ces dix-huit derniers mois, Warren Christopher et moi-même avons connu des moments forts et nous avons traité toute une série de sujets importants. Dans l'ensemble, j'ai eu avec lui des relations très cordiales, des relations de confiance.
Time Magazine : Pourquoi la France insiste-t-elle tant pour obtenir le commandement Sud de l'OTAN à Naples ?
Hervé de Charette : Ce que j'ai proposé au Conseil atlantique en décembre 1995, c'est qu'un pilier de défense européen soit organisé dans le cadre de l'OTAN, comme le principe en avait déjà été accepté, et qu'à cette condition, la France réintégrerait une nouvelle alliance. Cette proposition a reçu chez nos alliés un accueil chaleureux, notamment chez les Américains. Nous avons alors soulevé un point essentiel : si une nouvelle alliance doit voir le jour, dans laquelle l'Europe ait un rôle à jouer, il faut redéfinir le partage des responsabilités. C'est pourquoi nous avons estimé, étant donné que les Américains insistaient pour recevoir les deux commandements stratégiques, qu'il était légitime que les Européens assument les deux commandements régionaux. Mais nous n'avons jamais exigé qu'un Européen commande la Sixième Flotte américaine et nous n'avons jamais demandé que le commandement Sud revienne à un officier français. Ce n'est pas une exigence française, mais une revendication européenne.
Time Magazine : Compte tenu du refus de Washington, il est peu probable que les Européens obtiennent Naples. N'y a-t-il pas un autre moyen « d'européaniser » la structure de commandement ?
Hervé de Charette : Nous sommes naturellement disposés à étudier toute autre proposition. Mais une situation dans laquelle les Américains détiennent trois commandements et l'Europe un seul n'est pas vraiment ce que nous considérons comme un partage des responsabilités.
Time Magazine : Vous dites qu’il s’agit d'une revendication européenne, mais tous vos partenaires ne sont pas aussi enthousiastes sur ce point. Il en va de même pour les initiatives françaises au Moyen-Orient. La France n'a-t-elle pas tendance à confondre ses propres objectifs avec ceux de l'Europe ?
Hervé de Charette : Lorsque les dirigeants de pays européens influents tels que l'Allemagne ou la France voyagent de par le monde, ils ont l'Europe collée à la semelle de leurs chaussures, si je peux m'exprimer ainsi. Je ne veux pas dire qu'à chaque fois que la France parle, elle exprime le point de vue de l'Europe. La France a sa politique étrangère propre, qu'elle définit seule, mais comme les autres pays européens, elle porte sa part de la responsabilité collective de l'Europe.
Time Magazine : Les responsables français et américains ont eu récemment des échanges très vifs au sujet de l'Afrique. Est-ce là le nouveau terrain de confrontation ?
Hervé de Charette : Je rejette totalement l'idée d'une confrontation franco-américaine en Afrique. Je ne parlerais même pas de concurrence. Nous avons des intérêts convergents : la stabilisation et le développement de l'Afrique, le règlement de la crise dans la région des Grands lacs. Il n'y a pas de domaine privé français ou américain en Afrique ou ailleurs.
Time Magazine : En fait, votre navette au Moyen-Orient et la visite du président Chirac dans la région l'an dernier ont dérangé. N'y a-t-il pas dans cette région une lutte d'influence entre Paris et Washington ?
Hervé de Charette : Il est clair que les Américains ont des intérêts très importants dans cette région, de même que nous, Européens. La région méditerranéenne est vitale pour l'Europe, pour sa sécurité, son approvisionnement énergétique et son développement. Actuellement, les Américains jouent un rôle dans le processus de paix entre Israël et la Palestine. C'est très bien, et très utile pour toutes les parties en cause. Mais nous pensons que l'Europe et les Etats-Unis doivent travailler la main dans la main.