Texte intégral
France 3 - mardi 4 février 1997
E. Lucet : Pourquoi n’utilisez-vous pas le mot réforme ? Est-ce un terme qui fait peur à n’importe quel ministre de l’éducation de la Ve République ?
F. Bayrou : Non, pour une fois, le mot réforme est justifié. Mais je ne souhaite pas que le cortège d’oppositions qui d’habitude s’expriment autour de toute réforme de l’université le fassent ici. Depuis des années, on pensait que l’université n’était pas réformable, que chaque fois que quelqu’un proposerait quelque chose, ça entraînerait forcément l’opposition des étudiants et des universitaires, et que la réforme était vouée à l’échec forcément. On vient de montrer – c’était la volonté d’A. Juppé et celle du Gouvernement – pour la première fois depuis le début de la Ve République je crois, qu’on pouvait envisager une grande réforme en profondeur qui aborde tous les aspects de la vie de l’étudiant, sans qu’elle soit immédiatement rejetée. Donc il y a eu quelque chose de très important, concertation, travail en commun.
E. Lucet : On l’a compris, la concertation c’est votre recette. 18 mois de travail avec les étudiants ; ce n’est pas rien ! N’y a-t-il pas un revers de la médaille qui est la lenteur de la réforme ?
F. Bayrou : 18 mois pour faire la réforme de l’université, à mon avis, c’est le record des 50 dernières années. Qu’on soit allé vite ou lentement, on avait toujours échoué. Pour une fois, je crois qu’on est en situation de réussir et c’est le plus important.
E. Lucet : Vos propositions sont plutôt bien accueillies par les syndicats. Mais comment allez-vous les mettre en application, tout le monde parle du manque de moyens ?
F. Bayrou : Un mot d’abord. Les dispositions s’appliqueront à la rentrée pour les nouveaux étudiants. Je ne voudrais pas laisser croire qu’on va enlever à ceux qui ont déjà des aides, qu’on va leur enlever ces aides. Çà risquerait de les émouvoir, et ce n’est pas le but. Le but, c’est que les aides prochaines, les aides qui entreront en vigueur à la prochaine rentrée, pour les nouveaux étudiants, soient plus justes. Et de la même que, pour les nouveaux étudiants à la prochaine rentrée, on mette en place cette révolution tranquille qu’est le semestre initial.
E. Lucet : Et sur le manque de moyens ?
F. Bayrou : Je vais vous expliquer d’un mot ce qu’est le semestre initial. Aujourd’hui, quand on entre à l’université, on entre souvent au petit bonheur la chance, c’est-à-dire sans savoir exactement quelle orientation on veut prendre. Là, on va pendant un semestre, une demi-année universitaire, pour découvrir la discipline et découvrir l’université, et pouvoir encore changer d’orientation.
E. Lucet : On l’a bien compris, mais je reviens sur le manque de moyens que l’on vous reproche.
F. Bayrou : Je m’en suis occupé avant de faire la réforme. J’ai créé sur les deux rentrées, 7 000 emplois d’universitaires et de personnels sans augmentation du nombre des étudiants. C’est un effort sans précédent et qui fait que d’ailleurs, cette année, il n’y a pas eu de ces mouvements d’étudiants auxquels on était habitué. J’ai donné la priorité aux moyens et puis, maintenant, la priorité était à la réforme. Naturellement, cette réforme aura un coût à terme ; par exemple, à partir de 1999, un programme exceptionnel de construction. Mais cela sera pris en charge dans le cadre de la politique de l’enseignement supérieur et de l’université.
RTL - mercredi 5 février 1997
O. Mazerolle : Alors, nous sommes à l’école – si vous le voulez bien. Voilà les copies sur votre réforme universitaire : bien sur les principes, bonne note donnée par le monde universitaire, très bonne même dans certains cas ; en revanche, copie à revoir et à représenter sur la mise en œuvre effective de cette réforme par manque de moyens.
F. Bayrou : Non, pas du tout, la mise en œuvre de la réforme, c’est pour la rentrée prochaine. Quant aux moyens, on s’en était occupé avant. Je veux vous rappeler ceci : malgré le fit qu’il n’y a pas d’étudiants supplémentaire, j’ai créé, en deux rentrées, 7 000 postes à l’université parce qu’il y en avait besoin, parce qu’un grand nombre d’universités, notamment les universités nouvelles, étaient sous encadrées et parce qu’il fallait d’abord montrer au monde universitaire qu’on faisait l’effort nécessaire pour que les problèmes de moyens en crédits et en postes soient réglés.
O. Mazerolle : Oui, mais vous prévoyez le tutorat : il faudra bien payer les étudiants qui vont faire du tutorat ?
F. Bayrou : C’est fait et cela a été mis en place à cette rentrée.
O. Mazerolle : Les enseignants vont devoir être plus proches des étudiants ?
F. Bayrou : Voulez-vous que l’on reprenne cela ? À partir de cette rentrée, c’est déjà fait, cela mérite d’être amélioré mais ce sera généralisé à la rentrée prochaine pour tous les étudiants, tout étudiant qui entrera à l’université entrera dans un petit groupe où il sera encadré par un étudiant confirmé qui est à l’université depuis cinq ou six ans, qui a l’expérience du travail universitaire et de la réussite universitaire et qui guidera ses premiers pas à l’université. C’est une réforme qui, me semble-t-il, change profondément l’esprit de l’université.
O. Mazerolle : Et là, il faut de l’argent.
F. Bayrou : Nous avons trouvé l’argent. Cela a déjà été fait. Et ce ne sont pas des sommes colossales. Cela a été fait parce qu’il fallait montrer que cette réforme, ce ne sont pas des principes, ce ne sont pas des grands mots, c’est d’abord des réalités. Encore une fois, tout ce que nous avons mis en place et sur quoi nous allons revenir, ce n’est pas fait seulement pour changer l’organisation ; c’est fait pour changer l’esprit.
O. Mazerolle : Le côté semestriel de l’organisation de l’année universitaire, avec tout de même une précision qui manque : un étudiant qui est en redoublement après son premier semestre, va-t-il pouvoir reprendre ses études dès le semestre qui suit immédiatement son échec, ou est-ce qu’il devra attendre six mois de plus ?
F. Bayrou : Rappelons ce que c’est pour que tout le monde comprenne. Aujourd’hui, on entre, on choisit sa discipline – le droit, les sciences économiques, les lettres, etc. - sans savoir ce que c’est. Un étudiant qui s’inscrit en droit n’a jamais fait de droit au lycée et donc, il découvre une discipline et découvre le travail universitaire et puis, il s’aperçoit souvent que cette discipline, il n’était pas fait pour elle ou elle n’était pas faite pour lui. Il n’a aucun moyen de changer, il a perdu son année et il vient grossir le chiffre considérable des échecs en premier cycle universitaire. Alors, nous avons mis en place un principe qui est que les études commenceront par ce que j’appelle "semestre initial". C’est-à-dire une découverte pendant la moitié de l’année – quatre mois et demi – de la discipline et du travail universitaire. Pour voir si ce qu’on imaginait était vrai et si son niveau correspond, si les attentes qu’on avait étaient justes. À l’issue de ce semestre, de ce premier semestre universitaires, l’étudiant pourra se réorienter s’il le souhaite ou bien confirmer son choix, ou bien choisir d’autres formations.
O. Mazerolle : S’il confirme son choix tout en étant en situation d’échec ?
F. Bayrou : Il recevra des cours de soutien.
O. Mazerolle : Immédiatement ?
F. Bayrou : Immédiatement, sans attendre le début de l’année suivante et il ne redoublera pas parce que ce premier semestre, c’est, en réalité, la première partie d’une année, et c’est l’année qui sera validée.
O. Mazerolle : Vous avez prévu une aide financière unique pour les étudiants désormais, en fonction de la situation personnelle de l’étudiant. Quel sera le montant ?
F. Bayrou : On verra pour le montant d’ici trois à quatre semaines.
O. Mazerolle : Vous voyez que sur les moyens...
F. Bayrou : Trois ou quatre "semaines", pas "années". Je rappelle encore de quoi il s’agit parce que, très souvent, les choses vont trop vite et on oublie les raisons. Les études que nous avons faites ont montré – c’est ce qu’avait dit le Président de la République pendant la campagne électorale – que les aides sociales à l’université concernaient deux catégories d’étudiants : les plus pauvres, ceux dont les familles étaient les moins favorisées, c’est normal, et surprise, les plus riches ! On aidait plus les plus riches que les plus pauvres ; on donnait plus, à famille égale, à une famille dont les revenus étaient supérieurs à un million de francs par an qu’à une famille qui gagnait le SMIC. Eh bien, on est là devant quelque chose qui n’est pas acceptable. On a décidé de mettre en place une allocation qui donnera, comme c’est normal, priorité aux plus défavorisés, ensuite aux moyens et, naturellement, seulement ensuite, à ceux qui sont les plus favorisés. C’est une allocation unique qui concentrera, la première année, les aides directes et la deuxième année, prendra en compte une partie des aides fiscales de manière à ce que l’on ait une situation plus juste et plus équilibrée, plus sociale, comme il est normal.
O. Mazerolle : Vous avez mis seize mois pour obtenir cette réforme. Le Président de la République, il y a un peu plus d’un an, avait manifesté son impatience. Est-il calmé aujourd’hui ?
F. Bayrou : Je crois que le Président de la République a suivi très attentivement ce que nous avons fait et le Premier ministre aussi. Je dois dire qu’A. Juppé m’a beaucoup aidé par sa confiance. Et comme on n’a pas souvent l’occasion de dire du bien d’un Premier ministre, on ne le fait pas naturellement au Gouvernement, mais, je crois que c’est bien de le dire aussi.
O. Mazerolle : L’idée de referendum s’éloigne ?
F. Bayrou : Attendez !
O. Mazerolle : L’idée de referendum s’éloigne ?
F. Bayrou : Ils ont...
O. Mazerolle : Monsieur le ministre !
F. Bayrou : Vous me permettez de finir ma phrase ?
O. Mazerolle : Oui, mais quand même !
F. Bayrou : Ils ont suivi tous les deux de près cette réforme parce que ce n’est pas seulement une promesse. Il faut mesurer que si cette réforme marche, c’est le visage de l’université qui va être changé dans tout le début du siècle qui vient. Maintenant, le referendum. Le Président de la République et le Premier ministre ont dit chacun ce qu’ils e pensent. Ils ont dit on verra. C’est mon sentiment aussi. »
O. Mazerolle : Dernière question qui concerne les vacances scolaires. Les Parisiens et les Bordelais s’en vont en milieu de semaine, quatre semaines seulement après avoir terminé leurs vacances de Noël. Les embouteillages restent les mêmes en fin de semaine sur les autoroutes ! Cela va durer longtemps ?
F. Bayrou : Les vacances d’hiver, ce n’est pas moi qui les aie inventées. Elles existaient avant moi ! Je crois que c’est une demande ancienne, qu’au milieu de l’année, on ait une pause parce que l’hiver est fatiguant quelquefois pour les élèves. Quant au départ au milieu de semaine, c’est la prévention routière qui l’a demandé parce que, lorsque vous concentrez les départs sur un week-end, il y a de très grands risques d’embouteillages Et s’il y a de la neige ou du verglas, les risques d’embouteillages comme il y a quelques années, peuvent devenir catastrophiques. C’est normal que la prévention routière ait quelque chose à dire pour ne pas avoir des milliers de famille bloquées dans des voitures, sur des routes, sans pouvoir savoir ce qu’elles doivent faire. Il faut aussi prendre cela en compte. Et si cela ne va pas, on changera !
Le Figaro - 5 février 1997
Le Figaro : Votre méthode de la « participation » a su, jusqu’à présente, éviter les manifestations d’étudiants. Mais n’est-ce pas au prix d’une politique trop prudente, voire trop conservatrice ?
François Bayrou : Vous avez maintenant la preuve par les faits ! La réforme de l’université souhaitée par Alain Juppé, lors de son discours de politique générale, fruit de cette méthode, n’est pas du conservatisme ou de la prudence. C’est une réforme de fond, qui engage tous les aspects de la vie universitaire.
Tout le monde affirmait que l’université n’était pas réformable. Il fallait en réalité rompre avec deux erreurs de méthode.
La première est celle de la réforme par surprise, cette vieille idée française selon laquelle seuls les experts sont des détenteurs d’une vérité, et qu’il suffit, après quelques rapports secrets publiés in extremis, de forcer les gens à appliquer la décision prise en haut. Or, quelques jours après chaque annonce de réforme, les manifestations commençaient. Il fallait alors, rapidement, tout retirer et faire largement marche arrière, en laissant une situation plus compromis et dégradée qu’avant la réforme.
Le Figaro : Et la deuxième erreur...
François Bayrou : La deuxième erreur était que l’on échouait parce que l’on voulait réformer par petites doses. En réalité, et cela explique le phénomène des grandes institutions bloquées, tout se tient. Par exemple, l’organisation des études est dépendante des carrières et des recrutements des enseignants, eux-mêmes dépendants de la recherche, etc.
Il fallait donc avoir le courage d’entreprendre l’autre démarche, que j’appelle de « démocratie de participation », qui consiste à aller au fond des problèmes avec les acteurs, en prenant l’ensemble de la situation à réformer sans craindre d’aller sur le terrain et sans s’effrayer de l’ampleur de la réforme.
Le Figaro : Il n’empêche que les « stages diplômants », proposés dernièrement par le CNPF, étaient une innovation intéressante qui n’a pas été retenue. Ce qu’il en reste est, en effet, très édulcoré.
François Bayrou : Ces stages ne seront pas édulcorés. J’ai toujours défendu l’idée que tout diplôme de deuxième cycle devrait à l’avenir, inclure une expérience professionnelle. Ces stages seront adaptés à la situation d’un public en formation. Seulement, ils n’auront pas comme conséquence de trop allonger les études. On va pouvoir concilier l’impératif de premier emploi professionnel et celui d’une véritable formation. On a réussi à rapprocher les points de vue des deux publics les plus intéressés qui sont les entreprises et, surtout, les jeunes.
Le Figaro : Qu’avez-vous reproché à ces stages, tels qu’ils vous ont été d’abord présentés ?
François Bayrou : J’ai vu des expressions très antagonistes chez les étudiants. Ils disaient : « neuf mois de stages payés 1 700 francs par mois pour un bac plus 3 ou 4, c’est de l’exploitation. Ce n’est pas respecter notre travail. » De plus, neuf mois représentent une année scolaire complète. C’est-à-dire qu’il fallait allonger les études d’un an. Les Allemands déplorent suffisamment les sorties tardives de leurs système scolaire pour que l’on réfléchisse aussi à cette question.
La nouvelle organisation en semestre de l’année universitaire va permettre de répondre en partie à ces questions. On va introduire l’alternance, y compris dans les diplômes généraux. Je trouve indispensable d’installer dans l’esprit d’un jeune le problème de la professionnalisation, en amont du diplôme.
Le Figaro : Cette nouvelle version conviendra-t-elle au CNPF ?
François Bayrou : J’ai bon espoir que les points de vue se rapprochent.
Le Figaro : Et l’éducation nationale, est-elle vraiment réceptive à ce nouveau discours de rapprochement entre l’école et l’entreprise ?
François Bayrou : Elle l’est. Il suffit de faire preuve d’un minimum de précautions dans le langage. Il faut éviter de donner aux jeunes le sentiment de leur formation universitaire ne vaut bien. La grande faute, vérifiée en 1994-95 avec le contrat d’insertion professionnelle (CIP), est de dire : vous avez un diplôme, eh bien, maintenant, on va vous former. Il est très important de respecter l’effort que les jeunes ont fait. Il faut veiller à ne pas dévaluer le contenu et l’image du diplôme.
Le Figaro : Mais n’est-ce pas là, justement, une des faiblesses du système éducatif français, qui privilégie à tout prix le diplôme même dévalué, au détriment d’une formation professionnelle efficace ?
François Bayrou : Ce serait vrai s’il y avait des centaines de milliers d’emplois non occupés. Mais d’emplois non occupés. Mais arrêtons de faire croire que l’éducation nationale est responsable du chômage ! Bien sûr, nous pouvons améliorer la formation des jeunes, mais tout le monde sait que le problème de l’emploi, c’est celui de l’économie. Si les jeunes sont au chômage, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas formés. C’est d’abord parce que l’économie ne crée pas suffisamment d’emplois.
Le Figaro : Avec la réforme de l’université, vous voulez convaincre des vertus de votre méthode de participation. Est-ce la seule qui soit, aujourd’hui, applicable ?
François Bayrou : Telles que sont les sociétés modernes, dans toutes les situations bloquées où l’opinion est engagée, je crois que la participation est la seule méthode qui puisse fonctionner. C’était l’intuition du général de Gaulle quand il a tenté de faire entrer ce concept dans les institutions après 1968. Il a eu le premier l’intuition que les peuples ne se gouverneraient plus comme avant. Personne, depuis, n’a avancé réellement dans cette notion. Or, moi, je la crois fondatrice et fondamentale.
Le temps du « chèque en blanc » donné par des gouvernés aux gouvernants est fini. L’idée séduisante selon laquelle il suffit de décider pour que les gens obéissent ne correspond plus aux sociétés nouvelles. Aujourd’hui, les citoyens sont formés et surinformés. Chacun veut pouvoir participer directement à la mise sur pied des réformes.
Le Figaro : Si vous étiez ministre de la défense, ou de la justice, conduiriez-vous de la même manière les réformes en cours dans ces secteurs ?
François Bayrou : Je ne prétends pas que l’exemple de l’université vaille pour tout. Mais je sais que la méthode de participation marche. Des esprits rapides – en tout cas plus rapides dans la formulation que dans l’exécution - ont pu reprocher au gouvernement de ne pas aller assez vite sur la réforme universitaire. On aura fait la réforme de l’université en 18 mois. Qui dit mieux. ? Il y a des fois où prendre le temps, c’est gagner du temps.
Le Figaro : Quelle différence faites-vous entre la participation et la concertation ?
François Bayrou : La participation, c’est plus que la concertation. Cela consiste à reconnaître à votre interlocuteur un rôle de partenaire dans la définition du projet.
Le Figaro : Mais cela implique nécessairement des solutions de compromis.
François Bayrou : Pas du tout. Les gens sont souvent d’accord entre eux mais ils ne le savent pas. Il s’agit dès lors de les convaincre d’une solution.
Le Figaro : Comment cela s’est-il traduit dans votre réforme ?
François Bayrou : J’ai été nommé ministre de l’enseignement supérieur au printemps 1995. À la fin du mois d’octobre, j’ai évoqué, pour la première fois, la rénovation de l’université. Puis j’ai saisi l’occasion des événements de l’automne 95 pour engager le débat sur les questions fondamentales. De janvier à juin 1996, nous avons organisé les états généraux de l’université. Six mois pendant lesquels on a essayé d’écrire, établissement par établissement, les problèmes qui se posaient à l’université. Le 18 juin, avec Alain Juppé, nous avons annoncé, à la Sorbonne, les grands principes de la rénovation. Ensuite s’est posée la question de sa mise en œuvre. Depuis le 1er novembre, j’ai présidé moi-même, chaque jour, deux réunions de plus de deux heures chacune avec tous les acteurs de l’université. Tout le monde a été entendu.
Le Figaro : Malgré cette longue préparation, vous n’avez pas obtenu le consensus sur tous les points de la réforme ?
François Bayrou : Contrairement à tous les pronostics, les points de vue se sont rapprochés, le concret s’est imposé et on a pu annoncer une réforme qui touche à tous les aspects de l’enseignement supérieur. On ne peut réformer l’université qu’en respectant tous ses acteurs. Pas en faisant des choix partisans. Un tel ministère ne peut pas se diriger par une démarche partisane ou de parti-pris. L’universitaire n’appartient ni à la droite ni à la gauche. Elle appartient à la nation.
Le Figaro : Quelles améliorations votre projet va-t-il apporter ?
François Bayrou : Désormais, un étudiant entrera en faculté par un semestre initial d’orientation qui lui permettra de découvrir sa discipline de faire connaissance avec des matières proches ou compatibles, de recevoir une formation méthodologique. Et de se réorienter en cas d’échec au bout de quatre ou cinq mois seulement, au lieu de perdre une année.
Le Figaro : Un exemple ?
François Bayrou : Un étudiant qui s’inscrira en droit suivra trois unités d’enseignement : la première sera composée des fondamentaux de la discipline choisie ; la deuxième reposera sur la méthodologie, les méthodes de travail à l’université. La troisième concernera les disciplines proches, en l’occurrence l’économie, la gestion, les sciences politiques et l’administration. Au bout du semestre, l’étudient sera noté, il saura s’il est en passe de réussir ou d’échouer. Il sera donc à même de se réorienter. C’est lui qui prononcera la décision au vu de ses résultats. L’ensemble de l’université française va ainsi se semestrialiser comme toute les autres universités d’Europe.
Le Figaro : Au fond, ce semestre d’orientation cache une sélection qui n’ose pas dire son nom.
François Bayrou : La sélection, c’est d’interdire à un jeune de tenter sa chance. L’orientation, c’est de lui donner les éléments nécessaires pour qu’il choisisse en toute connaissance de cause.
Le Figaro : Pourquoi avoir modifié les carrières des enseignants ?
François Bayrou : Pour mettre fin à un incroyable paradoxe : la nation considérait l’université comme un lieu d’enseignement alors que l’université était entièrement organisée comme un organisme de recherche. Jugés uniquement sur leurs publications, les universitaires étaient en fait incités à arbitrer contre l’enseignement et l’accompagnement des étudiants. On va maintenant prendre en compte l’enseignement et l’animation des universités dans les carrières des enseignants.
Le Figaro : Les diplômes universitaires resteront-ils nationaux ?
François Bayrou : Bien sûr, je ne change pas le modèle universitaire français. Mais la réforme va permettre aux universités de devenir propriétaires de leurs bâtiments, de gérer elles-mêmes leurs locaux.
Le Figaro : Ces mesures ne risquent pas de jeter les jeunes dans la rue. En revanche, le nouveau statut de l’étudiant est extrêmement sensible. Ne craignez-vous pas les réactions des syndicats ?
François Bayrou : Nos propositions sont des mesures de justice et de responsabilisation des étudiants. L’idée est de sortir d’une situation dans laquelle l’aide publique est réservée aux plus pauvres et aux plus riches, pas aux classes moyennes. Nous allons mettre l’ensemble des aides aux étudiants dans un pot commun avec des critères sociaux et universitaires. L’étudiant recevra une aide mensuelle en fonction des revenus de ses parents ou en fonction de sa situation propre s’il a quitté le cercle familial. Mais dans ce cas, ses parents n’auront plus droit à des avantages fiscaux. L’engagement du Président de la République est tenu : guichet unique, aide sociale unique sur des critères de justice. L’application de cette mesure sera progressive : à la prochaine rentrée, seuls les nouveaux étudiants seront concernés.
Je souhaite par ailleurs que les jeunes prennent davantage de responsabilités au sein de l’université, dans la gestion des œuvres universitaires notamment, et que cet engagement, et que cet engagement soit reconnu comme un stage professionnel.
Le Figaro : Autre dossier délicat, du point de vue des professeurs cette fois : l’évaluation des enseignements...
François Bayrou : L’an prochain, tous les étudiants rempliront un questionnaire dans lequel ils traduiront leur perception de l’enseignement qu’ils reçoivent, leurs attentes, éventuellement leur insatisfaction sur les cours qu’ils suivent. Comme dans les universités américaines et les grandes écoles françaises.
Le Figaro : Et les professeurs n’ont pas réagi ?
François Bayrou : Non. Toutes les précautions seront prises. L’évaluation ne sera transmise qu’à l’enseignant, pas à ses « supérieurs ». Elle ne sera pas affichée dans les couloirs. Simplement, celui-ci pourra mesurer le degré de compréhension et quelquefois d’incompréhension de son cours. L’avis des étudiants sera également transmis à la commission pédagogique, qui prendra ainsi connaissance des améliorations à apporter à l’organisation de l’université.
Le Figaro : Avez-vous les moyens financiers de vos ambitions ?
François Bayrou : L’essentiel de la réforme se fait à l’intérieur de l’enveloppe actuelle. Je ne crois pas qu’on puisse dépenser plus. Et de toute façon, la qualité d’une réforme ne se juge pas au nombre de milliards qu’elle implique. En revanche, nous avons prévu un plan d’investissement, à partir de 1999, pour prendra la suite d’université 2000.
Le Figaro : Quittons l’université. Dans l’enseignement primaire et secondaire, la violence et l’illettrisme attendent aussi des mesures d’urgence. Que prévoyez-vous ?
François Bayrou : Il y a quelques mois, on a débloqué un certain nombre de moyens pour lutter contre la violence. Mais, là encore, tout ne se résume pas à des problèmes de moyens. L’avenir se trouve entre les mains des lycéens eux-mêmes. Si les jeunes décident de ne plus accepter ce type de dérive, on pourra la combattre efficacement. Quand un jeune a un couteau ou un revolver dans son sac, qui peut s’en apercevoir ? Pas le professeur. Ce sont les autres élèves qui peuvent briser la loi du silence. Ils commencent d’ailleurs à le faire. Je trouve que la communauté scolaire se défend bien contre la violence cette année. Quant à l’illettrisme, je proposerai au mois de mars une démarche nouvelle.
Le Figaro : Une loi vous paraît-elle nécessaire pour régler le port du voile islamique à l’école ?
François Bayrou : Le gouvernement a fait preuve de fermeté dans le dossier. Depuis ma circulaire le nombre de voiles a baissé de 90 %. Elle suffit donc pour le moment. Tant que nous aurons les moyens administratifs et juridiques de convaincre. Il n’y aura pas besoin de renforcer l’arsenal actuel.
RMC - mardi 11 février 1997
P. Lapousterle : Avez-vous l’impression et le sentiment, ce matin, que tous les responsables politiques qui déplorent l’élection de C. Mégret à la mairie de Vitrolles ont tout fait pour l’empêcher ?
F. Bayrou : Oui, pour la plupart d’entre eux. Mais il est vrai que ce qui est un avertissement doit naturellement inviter les responsables politiques à s’interroger sur les raisons qui ont permis cette progression du Front national, c’est-à-dire d’un mouvement extrémiste dont la vision du monde est fondée sur des sentiments profondément négatif et le plus souvent sur la haine. Autrement dit, une vision du monde qui empêche de construire et qui empêche de préparer un avenir positif. C’est un avertissement mais cet avertissement n’est pas venu sans raison. Il est venu en particulier parce que soit des équipes, soit des hommes, soit les politiques suivies à Vitrolles ont été destructrices d’un certain lien social et ‘une certaine convivialité. Je crois que c’est un avertissement dont il faut prendre la mesure.
P. Lapousterle : Vous aller en tirer vous-même les conclusions dans votre action politique ?
F. Bayrou : Je suis persuadé que le Front national ne se combat pas par des insultes, des anathèmes, des mots excessifs. Le Front national se combat par une politique positive et en donnant à nos concitoyens le sentiment que ce qu’on fait est bien. C’est parce qu’ils ont trop souvent le sentiment de l’incapacité des politiques ou de l’incapacité des politiques mesurées à l’aune de leur propre vie qu’ils se tournent par un geste de désespoir et de protestation vers le Front national. Donc, ce n’est pas par des injures mais en agissant que l’on combat le Front national.
P. Lapousterle : Un mot sur un point précis : le fait que M. Mégret, avec dis amis, ait pris possession de la mairie de Vitrolles, de son bureau alors que c’est sa femme qui a été élue. C’est une ruse ?
F. Bayrou : Qui pourrait être surpris ? Qui ?
P. Lapousterle : Un mot sur le mode de scrutin. Vous savez que pour les régionales, certaines régions sont paralysées à cause de la forte présence du Front national. Est-ce que vous êtes pour un changement de mode de scrutin pour les élections qui auront lieu l’an prochain ?
F. Bayrou : Moi, non. Je pense qu'il est trop tard et je pense que les désordres qui seraient causés par un changement du mode de scrutin l'emporteraient de beaucoup sur les avantages.
P. Lapousterle : Est-ce que vous avez le sentiment que les responsables ont pris la mesure du problème cette fois, en ce qui concerne le chômage des jeune ? Est-ce que les choses vont changer ?
F. Bayrou : J’ai été très frappé par la qualité du Sommet. Tous ceux qui étaient là, c’est-à-dire les organisations représentant les entreprises, les salariés, les étudiants, bref tous ceux qui étaient là étaient sérieux. Ils avaient le sentiment de participer à quelque chose de très important et de surcroît, j’ai trouvé que l’ambiance était extrêmement constructive. C’était même pour moi une surprise de voir à quel point les esprits avaient mûri. J’avais à traiter, pour ma part, de ce qu’on avait appelé "les stages diplômants". C’était un mauvais mot parce que ce n’est pas un stage qui donne un diplôme, évidemment ! C’est plutôt une expérience professionnelle pendant la formation, avant le diplôme, pour que les jeunes ne soient pas sans rien lorsqu’ils sortent de l’université et qu’ils puissent dire à leur employeur qu’en effet, ils ont une première expérience, et qu’ils aient aussi à se poser eux-mêmes la question de savoir de quelle manière, ils préparent leur avenir professionnel avant le diplôme. Il y a quelques semaines encore, cette idée avait fait beaucoup d’agitation. Et puis on s’est aperçu que les points de vue s’étaient beaucoup rapprochés et que finalement, tout le monde était profondément d’accord sur les principes qui ont été arrêtés. C’était une réunion très encourageante et qui montre que quelque chose à changer dans le climat social français.
P. Lapousterle : On a vu qu’il y avait énormément de stages mais il n’y a pas d’emplois au bout du compte ? Est-ce que tout cela va changer les chiffres, à savoir le fait qu’un jeune sur quatre est au chômage ?
F. Bayrou : Attendez, un jeune sur quatre parmi ceux qui ne font pas d’études ! Donc, cela fait beaucoup moins qu’un jeune sur quatre ! Alors évidemment, ce n’est pas en claquant des doigts que l’on décrète l’emploi, mais à voir les entreprises et à voir les syndicats qui étaient là hier, on avait le sentiment que l’emploi devenait la priorité des priorités. Bien sûr, une entreprise est faite d’abord pour avoir un équilibre économique, pour qu’elle soit en bonne santé, pour qu’elle gagne de l’argent et c’est tout à fait normal, mais on avait l’impression, hier, que la composante emploi, la composante humaine était en train de gagner du terrain, comme si une prise de conscience très vaste était en train de mûrir en France. Et cela donnait l’impression que l’emploi n’était pas loin, pour peu que la croissance vienne ! Il faut que vous sachiez que l’on a, en plusieurs années, beaucoup travaillé et que l’on est arrivé à une situation française où on fait plus d’emplois même si la croissance n’est pas tout à fait au rendez-vous. Avec 1,5 point de croissance, hier, détruisait de l’emploi, aujourd’hui on construit de l’emploi. C’est un petit progrès et je crois qu’il présage d’autres progrès.
P. Lapousterle : Tout le monde a salué – gauche, droite, centre, étudiants, professeurs – votre réforme de l’enseignement. Un mot sur ce qui a été décidé hier concernant les UPEP, unités de première expérience professionnelle. Est-ce que cela va changer la vie des étudiants en les empêchant d’attendre des mois et des mois un emploi après qu’ils aient eu leur diplôme ?
F. Bayrou : Je déteste les sigles en général, donc disons : « unités de première expérience professionnelle ». Et c’est très simple. Cela va changer une partie des relations des jeunes avec l’emploi. Jusqu’à maintenant pour une jeune, lorsqu’il préparait un diplôme, le diplôme était un seul horizon. Or c’est avant qu’il convient de se poser la question des débouchés. À partir de la rentrée prochaine, des étudiants et j’espère de nombreux étudiants pourront se voir offrir quelque chose de plus, autrement dit une vraie rencontre avec l’entreprise avant le diplôme et en liaison avec la formation qu’ils suivent. Je crois que c’est un grand progrès. C’était jusqu’à présent réservé aux formations professionnelles et cela va pouvoir être ouvert à des formations générales.
P. Lapousterle : Est-ce que ce qui a été décidé à la Conférence pour l’emploi, comme les premiers cycles, l’allocation sociale d’étude, les stages de première expérience, tout cela va-t-il rentrer en fonction en septembre prochain ?
F. Bayrou : Tout. Pas pour tous les étudiants mais pour les nouveaux étudiants et une partie substantielle des étudiants qi sont déjà en cours d’études. Si nous avions décidé d’attendre, les étudiants qui sont actuellement dans l’université auraient eu l’impression que d’une certaine manière, on se moquait d’eux, c’est-à-dire que l’on décrivait des grands principes mais que ces principes étaient tellement repoussés dans le temps qu’ils n’en bénéficieraient pas et que les petits frères ou sœurs non plus. On a le devoir d’être prudent mais il ne faut pas attendre lorsque l’on veut changer profondément les choses.