Texte intégral
En l'absence de tout débat public et sans que les élus en soient informés, le gouvernement Jospin est en train de négocier un accord visant à instituer un cadre mondial en matière d’investissement, l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement). Ce nouveau traité liera irrévocablement tous les pays industrialisés, en mettant en place un régime universel de l'investissement, contraignant et définitif.
L’AMI couvrira tous les secteurs de l'économie, la notion d'investissement étant définie à l'extrême ; investissements directs, dans l'industrie, les services, la culture, les ressources naturelles… mais également les investissements immobiliers ou de portefeuille. L’AMI va donc éliminer toute forme de barrière à la mobilité internationale des capitaux, les obstacles à l'investissement devant être supprimés par les États, sans aucune possibilité de contrôle ou de régulation. Pour la première fois, on s'apprête à donner aux entreprises transnationales (sur les 100 premières économies du monde 49 sont des États, 51 sont des firmes transnationales) des droits et un statut supérieur à ceux des États. On pose notamment un principe simple, le droit absolu d'investir (et son pendant, celui de délocaliser), sans aucune restriction. Les entreprises et les investisseurs internationaux auront donc tous les droits, tandis que les gouvernements devront se soumettre à toutes les obligations, en garantissant par exemple la « pleine jouissance » de ces investissements.
Concrètement, lorsqu'une entreprise transnationale s’estimera lésée ou limitée dans sa capacité d'investir, elle pourra demander réparation et indemnisation auprès de l'État « incriminé ». En d'autres termes, chaque firme transnationale pourra, grâce à l'AMI, contester à peu près n'importe quel aspect de politique nationale - fiscal, social, environnemental… - qu’elle jugera comme une menace potentielle pour ses investissements. Le projet de traité va même jusqu'à accorder un droit à indemnisation contre les « troubles civils » qui pourraient surgir au sein des nations. De cette manière, les États deviendront de simples auxiliaires des entreprises transnationales, auxquelles ils sous-traiteront le maintien de l'ordre pendant qu'elles-mêmes auront toute latitude. Bien entendu, l'AMI ne prévoit aucune obligation pour ces entreprises transnationales, qui n'emploient que peu de main-d'œuvre et seulement là où elle est la moins chère…
En France, des voix s'élèvent pour demander le maintien de l'exception culturelle dans l’AMI. C'est indispensable, mais c'est loin d'être suffisant. L'expérience montre que ce type d'exceptions n’offre souvent qu'une garantie extrêmement fragile et limitée : l'OMC nous l’a rappelé récemment dans l'affaire des hormones dans la viande ou pour les producteurs de bananes des DOM-TOM.
Non, c'est la logique folle de cet accord qu'il faut totalement dénoncer et renverser. Avec l'AMI, la mondialisation économique, en dépit de ses effets désastreux, complète et parfait ses structures. La souveraineté des États aura ainsi subi un ultime assaut, qu'il aura vidé de toute substance. « Nous sommes en train d'écrire la Constitution d'une économie globale unifiée », déclarait Ranato Ruggerio, directeur général de l’OMC, en décembre 1996. Face au secret, à l'ignorance dans laquelle on veut maintenir les citoyens, il faut rejeter l’AMI. Brisons le mur du silence avant qu'il ne soit trop tard !