Texte intégral
Le Figaro : La majorité semble tâtonner sur la stratégie à adopter face au Front national. Cette cacophonie fait un peu désordre...
Nicolas Sarkozy : Le moment est venu, en effet, de mettre un peu d’ordre dans tout cela. En affirmant, en premier lieu, qu’il est légitime et utile qu’il y ait un débat dans la majorité sur la stratégie à adopter face au Front national, même si on peut regretter qu’il ait lieu si tard. Si nous nous étions organisés plus tôt, nous aurions probablement été plus efficaces.
Le Figaro : À qui la faute ? Au Premier ministre, également président du RPR ?
Nicolas Sarkozy : Mais non ! Nous sommes tous également responsables de ce déficit de réflexion.
Le Figaro : Que pensez-vous des différentes stratégies proposées ?
Nicolas Sarkozy : Je ne partage en rien la stratégie du « mur du silence » proposée par certains, dans la majorité comme dans l’opposition. Pourquoi seuls les dirigeants de la majorité ne parleraient-ils pas du Front national ? C’est une conception pour le moins curieuse de refuser de participer à ce débat, alors que nous sommes les mieux placés pour faire rempart à ce parti, comme on le constate presque systématiquement sur le terrain. Se réfugier dans un silence pesant et consternant, c’est faillir à son devoir ! Ce serait le comble ! Un homme politique qui adopte une telle attitude face aux problèmes les plus difficiles n’est pas à hauteur de sa mission comme de sa fonction. La parole est notre première arme, pour peu que l’on ait le courage de l’utiliser.
Dans le même esprit, ceux qui proposent l’interdiction du FN, non seulement se trompent, mais renforcent ce parti. Ils participent ainsi du sentiment qu’ont les électeurs FN d’être placés dans une sorte de ghetto. Il est absurde de lutter contre le FN en voulant l’interdire, au moment où il prend des voix à gauche et à droite ! On ne combat pas l’intolérance par l’intolérance. On ne combat pas des adversaires politiques en les privant de la parole.
Le Figaro : Pensez-vous qu’il est tout aussi inutile d’aller manifester aujourd’hui dans les rues de Strasbourg ?
Nicolas Sarkozy : Je suis réservé sur ces manifestations qui ont pour seul résultat d’assurer la promotion de certains et qui sont totalement déconnectées de la réalité du terrain.
Le Figaro : Dans ces cas-là, on ne manifeste plus jamais...
Nicolas Sarkozy : Si on manifeste, c’est pour que cela serve à quelque chose. Or il est démontré que cette agitation n’est pas efficace. À mon sens, il est plus utile d’aller sur le terrain pour expliquer pourquoi on est contre le Front national plutôt que de défiler derrière des banderoles hétéroclites.
Le Figaro : Hétéroclites ?
Nicolas Sarkozy : Je veux dire que je suis opposé à la confusion des idées et des esprits qui fait défiler ensemble les gens qui, par ailleurs, sont en désaccord sur tout le reste. Cela ne peut conduire qu’à l’échec.
Le Figaro : En clair, que préconisez-vous ?
Nicolas Sarkozy : Je pense que c’est à juste raison que l’on dénonce ce qu’il y a de plus inadmissible dans les propos du FN. Par exemple, quand Jean-Marie Le Pen parle de l’inégalité des races, quand Bruno Gollnisch évoque les « moyens infaillibles » de reconnaissance ethnique. Si on ne peut accepter ce discours, il ne faut pas cependant s’en tenir à cette seule dénonciation. Il faut également souligner l’indigence des propositions du Front national, qui n’a pas la moindre idée sur la façon d’améliorer la vie des Français. En bref, on ne doit pas se contenter de répéter que les dirigeants du FN sont à diaboliser, il faut démontrer surtout qu’ils sont incapables de proposer des solutions aux problèmes de la France. Tous leurs propos ne sont qu’indigence !
Le Figaro : Plus précisément ?
Nicolas Sarkozy : Comment peut-on croire Jean-Marie Le Pen lorsqu’il propose 500 milliards de francs de suppression d’impôts ? Comment peut-on avoir confiance en un dirigeant qui explique que la mondialisation ne présente que des inconvénients dans un pays comme le nôtre, dont la croissance est presque exclusivement tirée par l’extérieur ? Ce discours économique absurde met en relief la vacuité du programme du FN. J’en veux pour preuve les premières décisions des nouveaux maires du FN, qui ont consisté en une augmentation des impôts locaux. J’y ajoute leur principale obsession : l’épuration culturelle. Dans ces villes, le « bon goût » se doit d’être défini par l’élu local FN de base. Quelles perspectives !
Il faut donc prendre le FN au mot. Il faut accepter de débattre avec ses représentants. Ils se prétendent être un parti de gouvernement ?
Eh bien, voyons comment ? Seule cette démarche permettra de découvrir que derrière le rideau des fantasmes il n’y a rien, toujours rien et encore rien.
Le Figaro : Quel rôle la majorité doit-elle jouer ?
Nicolas Sarkozy : Elle a une responsabilité particulière. Nous devons veiller à ce que certains de nos électeurs ne soient pas tentés de rejoindre le FN afin de nous « donner une leçon ». Elle doit veiller également à être plus ferme quant à l’affirmation de nos idées et de nos valeurs : la nation, la patrie, mais aussi l’identité libérale. En politique, le plus grave n’est pas tant la mobilisation de nos adversaires que la démobilisation de nos partisans.
Quand certains disent que, au fond, droite ou gauche ont plus de points communs que de différences, ils accroissent la confusion. Or les extrémismes se nourrissent de celle-ci. Il n’est que temps de redonner du sens et des couleurs au débat gauche-droite, à l’affrontement socialistes contre libéraux. Partout dans le monde, ce sont les idées libérales qui permettent le recul du chômage. La France ne doit pas s’exclure de ce mouvement.
Le Figaro : Vous êtes donc opposé à la stratégie dite de « front républicain » ?
Nicolas Sarkozy : Elle n’a aucune efficacité, mais aussi aucun sens. Je pense d’ailleurs que l’on a fait un procès injuste à François Léotard, qui a seulement voulu dire qu’il ne voulait ni du FN ni du PS. La démocratie n’est pas l’affirmation de valeurs consensuelles, mais, au contraire, l’organisation de la confrontation de valeurs différentes. L’atonie, la confusion des idées, les discours verbeux génèrent l’ennui et ouvrent des espaces à Jean-Marie Le Pen. Si la droite est trop frileuse, elle permettra au leader du FN de se draper dans des habits de respectabilité. Quant aux prochaines élections, je souhaite que la majorité ne retire plus ses candidats, y compris lorsqu’il y a une triangulaire avec le FN.
Le Figaro : Vous dites que la droite ne doit pas avoir honte de porter haut ses couleurs. Mais ne sont-elles pas déjà largement empruntées par le FN, qui n’hésite pas désormais à se poser en chantre du « libéralisme national » ?
Nicolas Sarkozy : Le Pen libéral ! C’est une escroquerie intellectuelle ! On ne peut pas se présenter sous cette étiquette et refuser l’Europe, l’économie de marché et la libre concurrence entre les pays. On ne peut pas se dire libéral lorsque l’on propose deux mesures contradictoires qui consisteraient à augmenter massivement la TVA et le Smic.
Le Figaro : Éstimez-vous, comme le démontre une enquête effectuée auprès des « leaders d’opinion », que Jacques Chirac est le meilleur rempart contre la progression du FN ?
Nicolas Sarkozy : Oui, c’est une réponse de bon sens, car Jacques Chirac a toujours eu en la matière une attitude claire et déterminée.
Le Figaro : Espérez-vous faire votre retour sur la scène nationale par le biais de la lutte contre le FN ?
Nicolas Sarkozy : J’ai d’autant moins le sentiment de revenir que je n’ai pas l’impression d’être parti. J’ai juste envie de prendre ma part d’un combat qui sera plus long que l’on ne l’imagine, mais qui me paraît essentiel.