Texte intégral
Entretien avec France 3 – Extraits - 9 mars 1997
France 3 : Votre réaction à l’évolution de la situation en Albanie : est-ce que l’Europe a réellement joué un rôle important ?
Hervé de Charrette : Oui, l’Europe a joué un rôle. L’Union européenne a joué un rôle. C’est plutôt de bonnes nouvelles, mais attendons de voir, car, nous avons eu déjà pas mal de déceptions dans cette affaire de l’Albanie. Mais, c’est plutôt une bonne nouvelle. Et, il faut souhaiter que les problèmes en Europe, y compris dans ces pays qui sont des pays en transition, ne se règlent pas avec des chars, mais avec la démocratie.
Quand il y a un problème dans un pays en Europe, je l’ai dit aux Serbes, et je le dis clairement pour l’Albanie , il n’y a pas trente-six solutions : il faut aller devant les électeurs. Il faut qu’ils tranchent et décident. Mais, vous savez que l’Albanie sort d’une longue nuit. Elle en sort dans une situation économique, sociale, humaine, politique, qui est tragique.
France 3 : Revenons au Proche-Orient, brièvement. Israéliens et Palestiniens, on le voit sur le terrain, ne se font toujours pas confiance mutuellement.
Hervé de Charrette : C’est même le point le plus important. Il y a un an c’était avant les élections en Israël et la campagne législative, c’était avant le drame du Liban , nous pensions tous, le monde entier pensait, et les intéressés, les Israéliens, les Palestiniens, et même les Syriens, pensaient que la paix était à portée la main. On pensait que cela se ferait assez vite. Aujourd’hui, la confiance a disparu et de tous les côtés, en effet, on se méfie des autres.
France 3 : Alors justement, les Palestiniens déclarent je les cite avoir le sentiment que les Israéliens, avec l’appui des Américains, veulent dicter les termes de la paix et mettre en danger conséquemment le processus de paix. Est-ce votre avis ?
Hervé de Charrette : C’est vrai que dans l’attitude du nouveau gouvernement israélien, il y a eu des moments forts et des moments faibles. Je dirais que l’Accord d’Hébron était une bonne nouvelle, attendue depuis de nombreux mois. Depuis lors, il y a eu des incidents et des difficultés. Alors, dans cette affaire, que fait la Je suis allé au Proche-Orient, il y a quelques jours, en Syrie, en Israël, au Liban, pour essayer de renouer les fils de la paix. Là aussi, le changement est considérable : alors que nous étions pratiquement absents du Proche-Orient, il y a un an, maintenant notre rôle est reconnu. On nous interroge. On nous demande. C’est ce à quoi nous allons essayer de répondre.
France 3 : Brièvement, en matière de politique étrangère, les relations franco-américaines. On vous a vu, il n’y a pas très longtemps, faire la bise à Mme Albright. C’était fort sympathique, mais enfin les problèmes de fond franco-américains ne sont toujours pas résolus. Il y a l’OTAN, le Proche-Orient, l’Afrique. Que reprochez-vous, concrètement, aux Américains ?
Hervé de Charrette : Mais, je ne reproche rien. Pourquoi me posez-vous cette question ?
France 3 : Est-ce que vous leur reprochez de tout régenter ?
Hervé de Charrette : Non. L’Amérique est une grande nation. Elle a des intérêts nationaux que nous comprenons très bien. Nous avons des intérêts français, des intérêts européens, et nous les exprimons, et nous les défendons. Il faut faire tout cela, non pas dans un climat de tension et de confrontation. Les Américains sont des alliés et des amis depuis toujours. Il faut dialoguer, surtout en ayant à l’esprit les préoccupations de l’autre. Si vous voulez parler, si vous voulez négocier, dans la vie internationale, il faut commencer, croyez-moi, par comprendre ce que l’autre souhaite. Nous avons des souhaits, nous les exprimons. Nous négocions et nous discutons.
(…)
France 3 : Les politiques préparent l’Europe politique, mais là, on l’a vu avec Vilvoorde, est-ce que ce ne sont pas les salariés qui préparent l’Europe sociale ?
Hervé de Charrette : Oui, et ils ont raison. Ils ont raison parce que lorsqu’il y a un problème comme celui que connaît Renault, on ne peut pas imaginer que la décision se prenne dans un bureau. L’entreprise n’appartient pas seulement à ses dirigeants. Elle n’appartient pas seulement à ses actionnaires. Elle appartient aussi, d’une certaine façon, à ses salariés. Et, je dirais que les dirigeants, les actionnaires et les salariés doivent apprendre une nouvelle façon de vivre ensemble dans l’entreprise. La question des frontières n’existe plus. Vous voyez bien que lorsqu’il s’agit du destin d’une grande entreprise comme Renault, qui est, elle-même, installée dans plusieurs pays d’Europe, le destin est commun. Notre destin économique, le destin de l’Europe, est un destin commun. Il faut donc se battre ensemble. Cela veut dire l’Europe économique. Cela veut dire la monnaie unique. Cela veut dire l’Europe sociale et cela veut dire une politique commerciale européenne dans le monde qui soit à la fois agressive et déterminée.
RMC - Lundi 10 mars 1997
P. Lapousterle : Un mot sur ce qui se passe maintenant en Albanie, qui connaît une situation insurrectionnelle : vous aviez demandé que le Président albanais fasse des gestes d’ouverture. Il vient de proposer amnistie et élection bientôt. Est-ce que ce sont là les gestes que vous attendiez ? Sont-ils suffisants et de nature à permettre le retour au calme ?
Hervé de Charrette : C’est un bon début. Il était temps. Vous savez, il faut qu’en Europe on s’habitue, où que ce soit et cela vaut pour la Serbie, cela vaut pour l’Albanie à ne pas régler les problèmes par les armes, par la guerre, par la guerre civile, mais simplement par l’élection.
P. Lapousterle : Et les opposants doivent saisir la perche qui leur est tendue ?
Hervé de Charrette : Oui, je crois qu’ils doivent la saisir, même si je comprends leur vigilance.
P. Lapousterle : Vous revenez du Proche-Orient. Vous avez vu pour reprendre les mots que vous avez utilisés – « un obstacle à la paix » dans le fait qu’Israël ait fait une colonie juive à Jérusalem-Est. Les États-Unis ont utilisé le lendemain leur droit de veto pour empêcher qu’Israël soit condamné pour ce geste. Est-ce que c’est un nouveau problème avec les États-Unis ?
Hervé de Charrette : D’abord, j’observe que le Président Clinton a employé exactement les mêmes mots que la France. Donc, on est bien du même avis. C’est un obstacle sur le chemin de la paix. Moyennant quoi, comme vous le savez, les États-Unis n’ont jamais accepté qu’il y ait une résolution du conseil de sécurité qui condamne Israël.
P. Lapousterle : Je vais vous poser une question qui est à cheval entre l’actualité française et l’image de la France à l’étranger. De nombreux pays d’Afrique du Nord, d’Afrique noire se plaignent que, pour obtenir un visa pour la France, cela devienne un parcours du combattant. Est-ce que vous pensez qu’après l’adoption de la loi Debré, la difficulté à avoir des visas, l’image de la France puisse être ternie dans des pays qui, traditionnellement, étaient des alliés ?
Hervé de Charrette : Non, je ne le crois pas. Prenez les États-Unis : ils ont un régime de visas avec la quasi-totalité des pays du monde et cela fait 40 ans que c’est comme cela. Nous-mêmes, nous avons adopté ce régime des visas tardivement. Il y a 20 ans, je pense, que nous devrions avoir ce régime de visas. Il est indispensable pour maîtriser l’immigration et c’est l’intérêt de tous les pays qui ont des ressortissants de chez eux chez nous, que ce régime permette de lutter efficacement contre l’immigration clandestine, qui est un malheur pour nous, un malheur pour eux et surtout un malheur pour les étrangers qui vivent régulièrement en France.
P. Lapousterle : Cela n’empêche pas les autorités officielles de ces pays de se plaindre.
Hervé de Charrette : Oui, mais cela ne changera pas la ligne française. Nous sommes décidés à maîtriser l’immigration, à lutter contre l’immigration clandestine et donc, il faut garder ce régime de visas.
P. Lapousterle : Autre problème qui a des conséquences internationales : l’affaire de Renault. Est-ce que vous pensez que le Gouvernement, dans cette affaire, porte une responsabilité, quand même, de laisser le PDG d’une entreprise, certes privée mais dans laquelle l’État a une participation importante, commettre des actes que le Président de la République a qualifiés de choquants ? Est-ce qu’il n’y a pas eu un retard à l’allumage de la part du gouvernement auquel vous appartenez ?
Hervé de Charrette : C’est-à-dire que l’État est actionnaire de Renault, et actionnaire important. Par conséquent, bien entendu, l’actionnaire ne peut pas se désintéresser de ce que fait le chef d’entreprise. Mais, c’est surtout un problème qui est posé aux Européens. Il y a maintenant de plus en plus de groupes industriels qui sont transnationaux, qui sont présents dans plusieurs pays d’Europe et d’ailleurs aussi à l’étranger. Et donc, on voit bien qu’il faut franchir une nouvelle étape, il faut l’Europe sociale. Nous avons besoin d’une Europe sociale qui définisse les règles de la vie collective, de la vie sociale ensemble.
P. Lapousterle : Vous avez accusé l’actuelle majorité de l’UDF d’être un peu possessive, dans un récent entretien. De quelles transformations avez-vous besoin ?
Hervé de Charrette : C’est tout simple. L’UDF est une des deux grandes familles de la majorité et je souhaite qu’elle soit rassemblée et unie. Je ne veux pas qu’il y ait des clans, je ne veux pas qu’il y ait une majorité et une opposition. On n’est pas assez nombreux pour cela. Je veux que l’on travaille tous ensemble dans la même voie. C’est tout ce que je demande. C’est ce que je demande à F. Léotard, c’est ce que je demande à F. Bayrou : soyez plus ouverts, plus amicaux, soyons davantage ensemble. C’est utile pour le pays car, nous abordons en effet une période franchement électorale. Dans moins d’un an maintenant, Il y aura les élections législatives et les élections régionales. C’est important. Ce sont des grands choix pour le pays. On voit beaucoup de régions paralysées. Est-ce qu’il y aura demain une majorité dans les régions ? Est-ce que demain, on va changer de majorité à l’Assemblée nationale ou garder la même ? Donc, changer de politique ou continuer la politique engagée ? Voilà le débat et en cela, j’espère que l’UDF va jouer pleinement son rôle. Je peux vous dire que le parti populaire sera au premier rang.
P. Lapousterle : Vous avez dit : « davantage ensemble ». Quels sont les gestes qui vous permettraient de penser que les promesses d’être davantage ensemble risquent d’être efficaces ?
Hervé de Charrette : Je trouve que l’on pourrait maintenant franchir un nouveau pas vers plus de fusion au sein de l’UDF. Je dirige une des composantes, je serais prêt à diriger plutôt une sensibilité, un courant au sein de l’UDF. Soyons plus unitaires, ayons l’idée que l’UDF doit aller de plus en plus vers son unité. Je crois que cela plaira à nos électeurs et cela leur paraîtra plus clair et plus simple.
P. Lapousterle : Je voudrais que l’on revienne sur l’affaire de Vitrolles, où vous avez eu avec votre composante, le PPDF, une attitude singulière puisque vous avez refusé de participer au mouvement général qui conseillait aux électeurs de la majorité de reporter leur vote sur quelqu’un qui appartenait à l’opposition. Les faits vous ayant donné raison, est-ce que vous pensez qu’en 1998, la majorité ne devrait pas répéter l’erreur de Vitrolles, c’est-à-dire, demander à ses électeurs de voter au deuxième tour pour un candidat de l’actuelle opposition, même au risque de faire passer quelqu’un du Front national ?
Hervé de Charrette : Cela ne se passe pas comme cela. À Vitrolles, le problème n’a pas été de faire passer ou pas Mme Mégret ; elle a été élue. Le problème était de savoir si elle serait élue avec la majorité des voix ou, comme dans les autres villes où le Front national a été élu, avec une minorité. Moi, je préfère avec une minorité. Si notre candidat s’était maintenu, c’est probablement ce qui se serait passé. Vous savez, la grande campagne législative qui s’annonce va poser à nos concitoyens une question simple : voulez-vous que la France soit dirigée par les socialistes ou voulez-vous continuez à rassembler une majorité derrière le Président de la République ? Il n’y a pas d’autre question. Et en particulier, il n’y a pas une perspective qu’il y ait une majorité du Front national. Donc, c’est cela le débat. Il faut bien voir que notre débat va opposer, pendant cette année, les socialistes et la majorité. Alors, il y a le Front national, c’est vrai, qui est plutôt un élément de trouble et dont moi, naturellement, je ne partage aucune valeur. Notre combat est simple, nous allons nous battre contre le Parti socialiste sans nous laisser séduire, évidemment, par les outrances du Front national.
P. Lapousterle : Vous pouvez gagner avec deux ennemis à la fois ?
Hervé de Charrette : Jusqu’à présent, c’est comme cela que ça s’est passé. Et on a gagné.
P. Lapousterle : Autre question, c’est ce qui a été évoqué dans le discours du Président V. Giscard d’Estaing. Il s’agissait du mode scrutin des élections régionales. Est-ce que, pour vous, l’affaire est réglée ou est-ce que vous allez continuer de combattre pour dissocier les dates de ces deux élections ?
Hervé de Charrette : Non, je crois que la question du calendrier est réglée. Autrement dit, les élections législatives et les élections régionales auront lieu le même jour. Je crois qu’après des débats dans la majorité, l’affaire est réglée. Reste la question du mode de scrutin pour les élections régionales, qui est une affaire importante. Il ne s’agit pas de magouilles, de savoir quel est le meilleur scrutin pour faire gagner la majorité, il s’agit de savoir si, dans les régions, il y aura ou non une majorité. Aujourd’hui, plus de six régions n’ont pas de budget et sont administrées en fait par le préfet. On a un système proportionnel qui est évidemment un système dramatique et désolant pour nos régions.
P. Lapousterle : Est-ce que l’on peut encore y revenir ?
Hervé de Charrette : Non, le Gouvernement a pris une décision qui était de ne pas changer le mode scrutin. Comme vous le savez, il va y avoir un débat au Parlement puisqu’un texte sur ce sujet doit venir devant le Parlement. On verra ce que décideront les parlementaires.
P. Lapousterle : On a l’impression, pour des gens qui n’appartiennent pas à l’UDF, qu’elle se porte mal et que les composantes de l’UDF se portent bien. Est-ce que c’est une chose qui peut durer longtemps ?
Hervé de Charrette : Je souhaite que l’UDF soit davantage présente dans la vie politique. Je souhaite qu’elle exprime des choix, je souhaite qu’elle exprime une volonté politique.
P. Lapousterle : Elle ne semble pas y être prête. Sur chaque grand sujet, elle se divise.
Hervé de Charrette : Oui, vous avez raison et précisément, c’est une question que je pose à ceux qui dirigent l’UDF aujourd’hui, F. Léotard et F. Bayrou : il est temps de reprendre la bonne route.