Texte intégral
Mme Sinclair : Bonsoir à tous.
II a dirigé le gouvernement de la France pendant deux ans, il a été candidat à la présidence de la République, il est aujourd’hui une voix importante de la majorité, Édouard Balladur est mon invité, ce soir, à 7 sur 7.
Et parce qu’aujourd’hui il fait entendre assez nettement sa différence, on a envie de savoir jusqu’où elle va et s’il a des propositions à faire pour que la France s’en sorte.
Nous feuilleterons la semaine avec lui et notamment l’anniversaire de la mort de François Mitterrand, les naufragés dans le Vendée Globe, le débat sur la flexibilité, l’Algérie, terre de sang, et Belgrade où Milosevic est sur le point de céder.
À tout de suite avec Édouard Balladur à 7 sur 7.
Mme Sinclair : Bonsoir, Édouard Balladur.
M. Balladur : Bonsoir, Anne Sinclair.
Mme Sinclair : Beaucoup de sujets ce soir, et notamment la question qui préoccupe les Français : est-ce qu’en 1997 on va ou non s’en sortir ? Mais vous avez été le dernier Premier ministre de François Mitterrand, vous pouvez donc, peut-être, confirmer ou infirmer un certain nombre de choses qui sont dites cette semaine à l’occasion du premier anniversaire de sa mort.
Hommage :
Des roses, un chêne, des livres en pagaille, un institut à sa mémoire, des gerbes officielles, une cérémonie intime à Jarnac et puis, bien sûr, d’inévitables polémiques. Un an après sa mort, François Mitterrand suscite toujours autant de curiosité.
Mme Sinclair : M. Édouard Balladur, on va parler de François Mitterrand. Claire Auberger parlait des livres qui foisonnent. Je voudrais juste en citer quelques-uns :
- celui d’Hubert Védrine : « Les mondes de François Mitterrand », publié chez Fayard, donc très proche collaborateur du président de la République et secrétaire général de l’Élysée ;
- celui de Pierre Favier et de Michel Martin-Rolland, publié au Seuil, qui s’appelle « La décennie Mitterrand », et c’est le troisième tome de toute une somme de mémorialistes ;
- et puis celui tout à fait remarquable, qui vient de sortir, d’Alain Duhamel, qui s’appelle « Portrait d’un artiste », publié chez Flammarion et qui est un portrait très honnête, qui montre la richesse d’une personnalité très contradictoire avec une certaine tendresse ou affection pour le modèle.
Puis il y en a d’autres qui paraissent, comme celui très contesté de Georges-Marc Benamou, qui suscite bien des réserves.
Partagez-vous ces réserves ou pensez-vous que l’on peut tout écrire aujourd’hui et tout dire, y compris sur la mort, sur la fin, sur les derniers jours d’un homme, eût-il été président de la République ?
M. Balladur : Tout d’abord, je voudrais dire quelque chose, si vous voulez bien : Je me suis rendu avec un grand plaisir à votre invitation pour parler de l’avenir. Cela étant, vous m’interrogez là-dessus et, bien entendu, j’y répondrai.
Mme Sinclair : C’est un des événements de la semaine.
M. Balladur : On peut dire beaucoup de choses, à deux conditions :
1. À condition que ce soit la vérité.
2. À condition de ne pas avoir été placé dans une position telle qu’on a bénéficié d’informations ou de confidences que, normalement, on doit garder pour soi.
C’est tout ce que j’ai à répondre.
Mme Sinclair : Est-ce trop tôt aujourd’hui pour juger de la personnalité d’un homme comme celle de François Mitterrand ou, à votre avis, on a le recul nécessaire ? A-t-on déjà le jugement de I’histoire ? Je ne parle pas forcément du bilan de l’homme, mais de sa personnalité, de son personnage.
M. Balladur : Je ne suis pas très bien placé pour répondre là-dessus. On est toujours en mesure de juger quelqu’un, même quand il est vivant. Et quand il a disparu, tout est terminé, on peut se faire une idée. Faut-il attendre 10 ans, 20 ans, 30 ans ? Je trouve qu’il est normal qu’on essaie de porter un jugement aujourd’hui.
Mme Sinclair : En fait, ma question était de savoir si vous aviez ce jugement-là ?
M. Balladur : J’avais compris. Mais vous aviez compris que je ne souhaitais pas répondre.
Mme Sinclair : Je vais vous poser des questions, peut-être un peu plus précises parce qu’il y a polémique cette semaine, de nouveau débat sur deux terrains, et peut-être sur ces deux terrains, pouvez-vous nous éclairer ? On nous fait le portrait d’un homme très affaibli dans les dernières années, notamment dans l’année 1994 où vous étiez son Premier ministre. Est-ce que François Mitterrand était ou non en état de gouverner ?
M. Balladur : Je vais vous dire quelque chose : lorsqu’il y a cohabitation, l’essentiel du pouvoir est entre les mains du Premier ministre. Cela a été vrai pour Jacques Chirac, de 86 à 88, quand il était le Premier ministre de François Mitterrand et cela a été vrai pour moi, de 93 à 95. Donc, la France a été gouvernée les deux fois. Et la seconde, j’ai même entendu parfois dire ou j’ai même lu qu’elle était trop gouvernée.
Mme Sinclair : Par vous ?
M. Balladur : En ce qui me concerne, je n’ai pas constaté de différence notable entre le début et la fin de cette période de deux ans.
Mme Sinclair : Cela est la réponse sur François Mitterrand. En ce qui concerne la cohabitation, parce que vous en parlez, est-ce que j’en conclus que c’est toujours un bon système, celui que vous prôniez ? Vous avez été un des premiers à le développer et à dire, dès les années 80, qu’il était un système intéressant dans la Ve République...
M. Balladur : … J’ai dit qu’il était inévitable, je n’ai pas dit qu’il était bon.
Mme Sinclair : Vous l’avez pratiqué deux fois, dont une fois comme Premier ministre.
M. Balladur : C’est un système inévitable parce qu’on ne peut pas faire autrement, mais il vaut mieux l’éviter et j’espère que j’aurai l’occasion de vous dire que je souhaite qu’on l’évite en 1998 et qu’il n’y ait pas de cohabitation entre l’actuel président de la République et une nouvelle majorité socialiste, cela ne serait pas bon pour la France.
Mme Sinclair : Si le Premier ministre a toutes les clés en main pour gouverner, comme vous dites ?
M. Balladur : C’est une des raisons pour lesquelles la prochaine fois, cela ne serait pas bon pour la France, justement.
Mme Sinclair : Je reviens à François Mitterrand. Je vois bien que vous ne voulez pas vraiment répondre sur les questions personnelles, mais c’est une vraie question politique. Est-ce qu’un homme qui se sait malade – et vous avez connu deux présidents de la République dans cette situation-là, Georges Pompidou et François Mitterrand – doit le dire aux Français, ce que François Mitterrand a fait mais très tardivement, ou doit s’en aller si, en effet, les fonctions du Président...
M. Balladur : ... Tout dépend de la situation personnelle dans laquelle il se trouve et de son état de santé. C’est à lui à l’apprécier en liaison avec ceux qui le soignent.
Mme Sinclair : Et en l’occurrence cela n’aurait pas été judicieux ?
M. Balladur : Eh bien, en l’occurrence, je n’étais pas parmi ceux qui soignaient aucun de ces deux présidents de la République.
Mme Sinclair : Je n’aurai pas de vous autre chose sur ce terrain-là. En revanche, peut-être, sur l’attitude de François Mitterrand pendant la campagne présidentielle. Dans le livre de Georges-Marc Benamou, il est décrit une grosse préférence pour Jacques Chirac et une grosse irritation, c’est le moins qu’on puisse dire, à votre égard. Grosse préférence pour Jacques Chirac au point de lui envoyer un émissaire. Les émissaires, eux-mêmes, ont dit, cette semaine, qu’ils n’étaient peut-être pas vraiment émissaires et pas vraiment désignés pour tels, mais pour l’encourager à se déclarer. Est-ce plausible ?
M. Balladur : Vous croyez que M. Mitterrand n’a pas soutenu M. Jospin ?
Mme Sinclair : C’est une des questions posées, cette semaine, dans le livre.
M. Balladur : Cela me paraît un peu surprenant ! Je ne sais pas ce qu’il en retourne vraiment...
Mme Sinclair : ... Vous n’avez pas senti dans vos rapports avec le chef de l’État une hostilité ?
M. Balladur : Je crois que M. Chirac n’avait pas besoin de M. Mitterrand pour avoir l’idée et l’intention de se présenter à l’élection présidentielle. Voilà tout ce que j’ai à dire.
Mme Sinclair : L’idée, certainement, mais, là, cela aurait été pour précipiter une annonce que François Mitterrand trouvait tardive.
M. Balladur : Je n’en sais rien.
Mme Sinclair : Et vous n’avez pas senti dans vos rapports avec François Mitterrand cette irritation ou cette hostilité qui serait décrite ?
M. Balladur : Pendant cette période de deux ans, par moments, il nous est arrivé de nous opposer, c’est vrai ! d’avoir des avis divergents. Parfois, c’était lui qui me convainquait ; parfois, c’était moi qui le convainquais, et nous avons eu des passages difficiles, oui, c’est vrai. C’est normal, si j’ose dire. Cela arrive même entre Président et Premier ministre qui ont la même orientation politique, alors a fortiori quand ils ne l’ont pas. C’est pourquoi je vous dis que la cohabitation – on ne peut parfois pas s’en passer – n’est pas un bon système.
Mme Sinclair : Dernière question sur ce terrain, mais cette fois elle est très politique, celle d’un observateur, puis d’un homme qui connaît les deux hommes, François Mitterrand et Jacques Chirac ont été tous les deux Président. Jacques Chirac, on a un certain recul aujourd’hui pour juger, cela fait plus d’un an et demi. L’un et l’autre ont et avaient des styles très différents : l’un plutôt monarchique, l’autre plus décontracté. De ces deux styles, lequel, selon vous, correspond le mieux à la fonction présidentielle ?
M. Balladur : Je crois que c’est affaire de circonstances et d’époque. II arrivait à M. Mitterrand d’être décontracté et il arrive à M. Chirac d’être solennel, c’est affaire de circonstances. Chacun a son tempérament et chacun ressent les choses comme il l’entend.
Dans l’époque contemporaine, avec le rôle des médias, de la presse, de l‘image, il est bien évident que ce qu’attendent les Français du président de la République, c’est une grande proximité par rapport à leurs préoccupations, surtout à un moment où les préoccupations sont aussi fortes, notamment sur le plan économique et social et dont nous allons, j’espère, parler maintenant.
Mme Sinclair : Et c’est le cas ? Vous avez le sentiment qu’ils ressentent cette proximité ?
M. Balladur : C’est ce qu’il me semble !
Mme Sinclair : On va voir ensemble la suite de l’actualité de la semaine, sur la terre et sur les eaux.
Les miraculés :
Il a fallu secourir un certain nombre de naufragés lors du Vendée Globe. Tous ces sauvetages ont un coût, alors si la prochaine course reste sans assistance et sans escale, elle adoptera peut-être un tracé moins dangereux.
Arrestations corses :
Une deuxième grande figure du nationalisme corse sous les verrous. Après François Santoni, c’est au tour de l’un de ses proches, Jean-Michel Rossi, de se constituer prisonnier et d’être transféré à Paris.
Scandale :
Un nouveau scandale médical. Apres l’affaire du sang contaminé, « L’Express » révèle cette semaine l’affaire de l’hormone de croissance contaminée. Aux mêmes dates, les mêmes erreurs, à partir de juin 85, des lots d’hormones que l’on savait susceptibles de transmettre la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été distribués à des enfants de petite taille. Les détruire aurait coûté près de 5,5 millions de francs. La pharmacie centrale des hôpitaux de Paris a préféré les écouler, sans avertir les parents des risques encourus par leur enfant.
Autre affaire de santé, source d’inquiétude pour les parents, selon une étude, fréquenter les plages proches de l’usine nucléaire de La Hague multiplierait par trois le risque de leucémie chez l’enfant.
Disparition :
Jean-Edern Hallier est mort ce matin à 60 ans, victime d’une hémorragie cérébrale alors qu’il faisait du VTT à Deauville. Écrivain, polémiste, homme de télévision et de presse, c’était un personnage unique en son genre.
Mme Sinclair : II vous passionnait comme écrivain, comme homme ?
M. Balladur : C’est un homme qui avait du talent, certainement.
Mme Sinclair : Après l’affaire du sang contaminé, on découvre une nouvelle affaire où, apparemment, les préoccupations financières ont aussi pris le pas sur des impératifs de santé et ont conduit à laisser écouler des produits qu’on savait dangereux. Que vous inspire cette nouvelle affaire...
M. Balladur : … Cela me scandalise et il faut absolument que l’on sache la vérité. II faut que l’on sache la vérité et puis il faut qu’on fasse enfin aboutir ce projet de loi sur « l’aléa thérapeutique ». C’est très compliqué comme terme, cela veut dire : « réparer les conséquences financières » dans la mesure où c’est réparable – d’ailleurs, dans le cas que nous venons de voir, hélas ! cela ne l’est pas –- des traitements qui sont appliqués aux malades.
Ce projet de loi sur « l’aléa thérapeutique » est prêt. II faut maintenant qu’il soit déposé, qu’il soit voté très vite.
Mme Sinclair : « L’aléa thérapeutique » veut dire que l’on peut se tromper, que la science peut se tromper. Mais, là, c’est la connaissance qu’on avait qu’un produit était dangereux et on l’a donné néanmoins.
M. Balladur : … C’est encore pire !
Mme Sinclair : C’est un acte criminel.
M. Balladur : C’est encore pire ! Lorsqu’on se trompe de bonne foi, il est normal que l’on répare les conséquences financières de ce qu’on fait. Et lorsque, par-dessus le marché, on se trompe de mauvaise foi, c’est encore plus grave. Et il faut absolument que l’on sache la vérité sur cette affaire parce que cela fait désormais trop d’affaires qui mettent en cause la sécurité de la santé et de l’hygiène des Français, et il ne faut pas détruire la confiance qu’ils peuvent avoir, à la fois, dans la science française et dans la médecine française. Or, là, ce n’est pas une question de confiance dans la science en fait, c’est une question de considérations financières intéressées.
Mme Sinclair : On regarde les différents sujets qui sont passés. On a vu la Corse. La Corse où le gouvernement semble avoir des succès dans le démantèlement des réseaux nationalistes et semble y réussir. Est-ce que Édouard Balladur aurait une méthode différente à appliquer en Corse ? Encore que vous ayez été Premier ministre avec ce problème-là, il y avait aussi des attentats.
M. Balladur : Moins qu’il n’y en a eu avant ou après, mais...
Mme Sinclair : ... Qu’aviez-vous fait de différent ?
M. Balladur : J’observe simplement qu’il faut, en préalable, faire respecter la loi et l’ordre républicain.
Mme Sinclair : Tout le monde dit cela. Cela apparaît évident, mais apparemment c’est difficile.
M. Balladur : Oui, mais il faut le faire et je me réjouis que le gouvernement le fasse, et je l’approuve et je le soutiens de le faire. Après, il y a des problèmes économiques, sociaux, fiscaux, les zones franches, etc., mais rien n’est possible si l’ordre n’est pas respecté et si la loi n’est pas respectée. Donc, j’approuve le gouvernement de la faire respecter. Et je le dis sans l’ombre d’une précaution, ni d’une réserve sur ce point-là.
Mme Sinclair : Sur ce point-là, cela veut dire que, sur d’autres points...
M. Balladur : ... non, non, nous parlons de la Corse.
Mme Sinclair : J’avais mauvais esprit.
M. Balladur : Un peu, oui.
Mme Sinclair : Le Vendée Globe, vous en avez vu les images. Tous les Français suivent cette course avec ce qu’elle peut avoir d’émouvant, de fantastique, d’exploit des hommes, de courage, de sang-froid des hommes et puis aussi de difficultés. Que ressentez-vous quand vous voyez ces images d’hommes qui sont sauvés, de gens pour qui on craint pour leur vie, de cette course éminemment difficile ?
M. Balladur : Une immense admiration. Parfois, on dit : « Oui, mais, regardez, on dépense beaucoup d’argent pour aller chercher des hommes ou des femmes qui se mettent dans des situations impossibles et on est obligé de mobiliser pour eux des tas de moyens ». Mais enfin c’est la part du rêve aussi, de l’aventure. On sort du train-train quotidien, on fait des choses extraordinaires qui, d’ailleurs, ont souvent grand intérêt sur le plan scientifique ou sur le plan médical ou sur le plan de...
Mme Sinclair : ... la résistance des hommes.
M. Balladur : Une immense admiration. Et je me réjouis que nous soyons dans un monde où tout ne soit pas encore normalisé au point que l’on ne puisse pas prendre des risques aussi pour aller de l’avant.
Mme Sinclair : On ne vous imagine pas en aventurier, vous auriez rêvé d’aventure ?
M. Balladur : Je vais vous faire une confidence, Anne Sinclair, j’ai beaucoup d’admiration pour eux qui savent faire ce que je ne saurais pas faire.
Mme Sinclair : C’est une jolie pirouette !
M. Balladur : Non, ce n’est pas une pirouette, c’est la vérité d’ailleurs, c’est tout à fait la vérité. Je n’aurais pas été capable de faire ce qu’ils font.
Mme Sinclair : Personne ne vous le demande, remarquez !
M. Balladur : Je ne dis pas que j’aurais manqué du courage nécessaire, je n’aurais pas eu la capacité technique, la connaissance.
Mme Sinclair : Deuxième semaine de janvier : on croule sous les vœux. Ceux des forces vives, ceux des forces constituées, ceux du gouvernement à son chef et ceux de son Premier ministre à son gouvernement.
Politique :
Plus de dialogue, de proximité et de simplicité, telles sont les bonnes résolutions en forme de mea culpa prises par Alain Juppé en ce début 1997. À son gouvernement, le Premier ministre fixe trois priorités : les réformes, la monnaie unique et l’emploi.
Mme Sinclair : Édouard Balladur, on va évidemment parler de la politique économique suivie en France, celle que, peut-être, il faudrait suivre si elle était différente. Je voudrais vous demander si cette politique qui est suivie depuis 15 mois, depuis octobre 95, qui ne rencontre visiblement pas l’adhésion forte et massive des Français, à votre avis, faut-il la poursuivre coûte que coûte parce qu’elle paiera au bout du compte ? Ou faut-il en changer ?
M. Balladur : La question, pardonnez-moi, Anne Sinclair, n’est pas celle-là. La question est de savoir si c’est une bonne politique ou pas ?
Mme Sinclair : Cela revient un peu au même, avouez !
M. Balladur : Non, pas tout à fait. Parce qu’il peut parfaitement y avoir une bonne politique qui ne soit pas approuvée, en tout cas, au départ, avant qu’on en voit les bons effets. Donc, la question est de savoir si c’est une bonne politique ou pas ? Il se peut qu’une bonne politique ne soit pas approuvée, en tout cas, au départ.
Alors, la vraie question – pardonnez-moi, j’ai l’air de refaire vos questions – que je me pose, c’est : faut-il infléchir cette politique dans un certain nombre de directions ? Ma réponse est « oui ». C’est ce que j’ai appelé la voie nouvelle. II faut que l’année 1997 soit, pour la France et pour les Français, une meilleure année que l’année 1996.
Mme Sinclair : Qui ne le souhaiterait, monsieur le Premier ministre ?
M. Balladur : Je le souhaite, mais il faut s’en donner les moyens. Et c’est de cela que nous allons parler. II faut que ce soit une meilleure année parce qu’il règne en ce moment, en France, un climat de tristesse, d’abattement, de morosité que rien ne justifie finalement, et il faut que nous retrouvions l’optimisme. Pour cela, il faut faire trois choses :
II faut d’abord infléchir la politique économique pour retrouver plus vite la croissance sans laquelle rien n’est possible. Nous en parlerons, je l’espère.
II faut, en second lieu, accentuer les mesures de lutte pour l’emploi. Je sais que ce n’est pas facile, tout le monde le dit depuis 20 ans et le chômage augmente. C’est ce que pensent les Français. Nous verrons comment.
Et puis, c’est là-dessus que je voudrais le plus insister, il faut, en troisième lieu, discuter, étudier, mettre sur la place publique les réformes, fussent-elles désagréables, qu’il faut faire pour assurer l’avenir.
Au fond d’eux-mêmes, les Français savent parfaitement bien qu’il y a des choses difficiles à faire. Ils n’ont pas envie évidemment qu’on les bouscule et qu’on change leurs habitudes, ce qui est humain après tout ! Mais ils le savent, et nous devons, à mon avis, au cours de cette année 97, étudier très largement, très franchement, très sincèrement et très publiquement ce qu’il faut faire pour assurer les retraites, pour assurer la sauvegarde de l’assurance-maladie, pour assurer la sécurité et pour assurer l’emploi, par exemple, même s’il faut prendre des mesures impopulaires dans l’immédiat. Et je souhaite que vous me donniez l’occasion de parler de ces mesures impopulaires.
Mme Sinclair : Nous allons y venir. Quand Alain Juppé dit tout de même : « Halte à l’inflation législative ! Cela suffit peut-être maintenant ! », vous n’êtes pas d’accord avec lui...
M. Balladur : … Oui, tout à fait.
Mme Sinclair : C’est l’impression que ressentent les Français : assez de réformes.
M. Balladur : Je ne propose pas de nouvelles lois en la matière. J’entends parler de stage diplômant, cela existe déjà. On n’a pas besoin de loi, de décret, d’arrêté, de convention, il y a déjà des entreprises qui accueillent des stagiaires et, à l’issue de ce stage, on leur délivre une attestation qui est une sorte de diplôme.
Mme Sinclair : C’est dans le cours des études. Cela contribuera au cursus universitaire des étudiants.
M. Balladur : Oui, j’ai parfaitement compris, mais on n’a pas besoin de faire des lois sans arrêt pour cela. Maintenant, je le répète, il faut que l’année 1997 soit celle du retour de l’espoir et, pour cela, il faut accélérer le retour de la croissance, il faut lutter pour l’emploi et il faut mettre en discussion les réformes difficiles qu’il y a eu lieu de faire pour assurer l’avenir.
Mme Sinclair : On va y venir. Quand Alain Juppé dit : « Le plus dur est derrière nous et le temps des récoltes est venu », vous partagez son optimisme sur l’année 1997 ?
M. Balladur : Les récoltes au mois de janvier, ce serait une curiosité climatique. Enfin, ne plaisantons pas ! Tout le monde s’accorde à dire que l’année 1997 va être, en matière économique, un peu meilleure que l’année 1996 mais que – c’est également ce que disent les experts – cela n’aura pas de conséquence sur l’emploi. Eh bien, il faut...
Mme Sinclair : Le plus dur est derrière nous ou pas ?
M. Balladur : … faire en sorte que soient démenties ces prévisions qui ne sont pas très optimistes pour que l’année 1997 soit vraiment l’année d’un retour de la croissance et de l’emploi.
Mme Sinclair : On y vient tout de suite, après la publicité.
Mme Sinclair : Retour à 7 sur 7, en compagnie d’Édouard Balladur.
M. Balladur, vous disiez à l’instant : « II y a des choses difficiles à faire qu’il va falloir faire ». Parmi ces choses, j’imagine qu’il y a un certain nombre de points qui font débat aujourd’hui, en France. II y en a un notamment qui est en train de surgir, qui est un débat sur les retraites. L’idée de la retraite à 55 ans devient de plus en plus populaire. Est-ce que vous craignez qu’elle fasse contagion ou dites-vous avec un certain nombre de Français : « Après tout, pourquoi pas la retraite à 55 ans pour tous, cela créerait des emplois ? ».
M. Balladur : Non, cela ne créerait sûrement pas d’emplois, cela aggraverait le chômage. On parle souvent de l’exception française, en disant : « Les Français sont différents des autres, il faut maintenir cette exception française ». Prenons conscience d’une chose, c’est que, dans les grands pays, la France est celle qui a le taux de chômage le plus important. Voilà l’exception française. Et, moi, je souhaiterais que l’exception française, ce ne soit pas que la France ait plus de chômage que les autres, mais qu’elle ait moins de chômage que les autres.
Comment ? On m’a donné un tableau des grands pays et des taux de chômage, vous voyez que La France a le taux le plus important. Vous constatez également que c’est en France, avec l’Allemagne, que la durée annuelle du travail est la plus courte. Que c’est en France que l’âge de la retraite est le plus bas, que c’est en France que les prélèvements, les impôts et les taxes sont les plus lourds et que c’est en France que les dépenses publiques sont les plus importantes. Voilà l’exception française.
Mme Sinclair : Donc, il suffirait d’inverser ces facteurs pour retrouver la croissance ?
M. Balladur : Ce n’est pas facile, mais j’ai demandé qu’on fasse une étude et j’espère être, d’ici quelques semaines, en mesure de la publier. Pourquoi la France est-elle moins bien que les autres, en matière d’emploi et de chômage ? Comment cela s’explique-t-il ? Est-ce en raison des causes que je viens de dire ou y a-t-il d’autres causes aussi ?
La vérité est que nous avons à faire toute une série de réformes difficiles dans notre pays : réforme des retraites, réforme de l’assurance-maladie, réforme pour l’emploi, réforme pour la sécurité. On nous dit : « Ah ! c’est difficile, il ne faut pas y toucher, il y a les droits acquis, il faut respecter les droits acquis ». Moi, je pose la question : « À force de respecter les droits acquis, sans toucher à rien, cela va devenir des droits perdus ».
Que veut dire le droit acquis à la retraite si, à force d’abaisser l’âge de la retraite...
Mme Sinclair : C’est une grande conquête, tout de même !
M. Balladur : Attendez !... si, à force d’abaisser l’âge de la retraite, on n’a plus le choix qu’entre deux solutions : ou donner des retraites moins importantes – non plus 60 ou 70 % du salaire, mais 50 et après 40 – ou alors payer beaucoup plus de cotisations, ce qui développe le chômage, est-ce une façon de maintenir le droit à la retraite ?
La santé, c’est la même chose. Si on veut maintenir un droit au remboursement, notamment pour ceux qui en ont le plus besoin, pour les plus démunis, il faut freiner la croissance trop rapide des dépenses de santé. II faut le faire comprendre, sans quoi nous n’y arriverons pas. Mon rôle, tel que je le conçois... vous me direz que cela m’est facile puisque je ne suis pas au gouvernement, mais enfin je me permets de rappeler qu’étant au gouvernement, j’ai fait une réforme des retraites qui était une réforme difficile...
Mme Sinclair : ... Permettez-moi de vous interrompre : cela veut-il dire que vous trouvez que c’était une erreur d’accorder aux différentes catégories sociales qui l’ont demandée et qui l’ont obtenue, notamment cet automne, la retraite a 55 ans pour certains travaux pénibles, notamment des conducteurs ? C’est bien cela qui fait tache d’huile, d’ailleurs.
M. Balladur : Vous savez quel est le problème, Anne Sinclair ? Le problème est qu’il y a sans doute des professions particulièrement difficiles où il est normal d’abaisser l’âge de la retraite, mais il en est d’autres où il serait normal de le reculer.
Je vais prendre un exemple : vous prenez le tunnel sous la manche, le train, pour aller à Londres, c’est la même entreprise, c’est l’Eurostar. II y a des conducteurs de locomotives français et il y a des conducteurs de locomotives anglais, ils font la même chose. Les Français ont la retraite à 50 ans et les Anglais à 62 ans. Je ne dis pas qu’il faut monter l’âge de la retraite jusqu’à 62 ans, ce n’est pas ce que je veux dire...
Mme Sinclair : ... Si vous faites l’apologie du droit social anglais, vous allez avoir des problèmes en France.
M. Balladur : Absolument ! Je ne vous dis pas que c’est ce qu’il faut faire, je vous dis simplement qu’il y a des réformes à faire, des changements à apporter et qu’il faut avoir le courage de le dire.
S’agissant des routiers, puisque vous me posez la question – je ne veux pas vous donner le sentiment que je ne réponds pas – il y a des situations dans lesquelles, pour sortir d’un conflit, il faut faire ce qu’il faut faire, mais la vérité est la suivante : on ne peut pas en France, aujourd’hui, envisager un abaissement de l’âge de la retraite et il faut dire aux Français que l’avenir qui est devant eux, c’est que l’on sera sans doute obligé de le relever et non pas de l’abaisser. Parce que si vous donnez la retraite à 55 ans et que l’on vit, grâce au ciel, jusqu’à 80, 85, 90 ans, puis qu’on fait des études jusqu’à 20 ou 25 ans, on ne peut pas, pendant 30 ans, travailler et, pendant 50 ans, être à la charge de la collectivité. Tout le monde le comprend cela. Eh bien, il faut le dire !
Je lisais cet après-midi les conversations de Michel Guy avec le général de Gaulle, cela se passait en 1947, et le général de Gaulle disait : – cela m’a intéressé parce que je savais que j’allais vous rencontrer ce soir, comment l’aurais-je oublié ! – « Les Français sont dans un état d’esprit où ils ne supportent pas leurs maux et où ils ne supportent pas les remèdes à leurs maux ». Eh bien, il appartient aux hommes politiques de leur faire prendre conscience des réalités, même quand c’est difficile et même quand c’est impopulaire.
Mme Sinclair : Il y a un remède, en ce moment, qui est une revendication de la majorité, d’une partie du CNPF, du patronat, c’est d’introduire plus de flexibilité sur le marché du travail. Ce mot est honni par les uns, encensé par les autres. D’autres en choisissent un troisième. N’est-ce pas tout simplement un mot savant pour dire que « les entreprises devraient avoir plus de facilités », pour tout dire, « de licencier » ?
M. Balladur : Je ne crois pas que ce soit le problème. D’abord, évitons les querelles de mots, « flexibilité », cela ne plaît pas. Moi, j’ai toujours parlé « d’assouplissement ».
Mme Sinclair : On comprend ce que cela veut dire. Est-ce que cela veut dire : agir...
M. Balladur : Cela veut dire : « un peu moins de réglementation, être un peu plus libre ».
Mme Sinclair : Est-ce que cela veut dire : agir sur le droit du travail ?
M. Balladur : Cela ne peut pas vouloir dire : diminuer les droits et les protections des salariés. De quoi s’agit-il concrètement, dans ma vue des choses ? Il s’agit tout d’abord de faire des contrats à durée déterminée plus longs. Il s’agit de développer le temps partiel. Il s’agit de faire en sorte que l’on puisse fusionner dans certains cas les délégués syndicaux et les comités d’entreprise. Il s’agit de développer le chèque emploi-services. Voilà ce dont il s’agit. Il ne s’agit pas de détruire la protection.
Je prends un exemple : il y a eu un accord à France Télécom, cette semaine, accord très intéressant qui s’est traduit d’ailleurs par une certaine baisse de la durée du travail compensée par d’autres mesures en faveur des usagers, et notamment l’ouverture le samedi. Ce qui est une bonne mesure pour l’ensemble des usagers. Eh bien, voilà le genre de chose qu’il faut faire.
Si chacun se fige et se braque en disant : « Du côté des salariés et des syndicats, on ne touche rien et, du côté des entreprises et des patrons, il faut tout bouleverser », on n’arrivera à rien. Donc, moi, je propose que, appliquant une méthode qui m’est chère, qui est la méthode de la concertation et du dialogue, on organise entre syndicats d’employeurs et de salariés des discussions sur tous ces points : la retraite, la flexibilité ou l’assouplissement, la maladie, etc.
Mme Sinclair : Vous aurez remarqué que les syndicats – tous syndicats confondus – opposent un « non » catégorique à cette évolution vers « plus d’assouplissement ».
M. Balladur : II faut au moins en parler. On ne peut pas opposer un « non » catégorique à l’idée de parler d’un problème.
Mme Sinclair : Quand le secrétaire général adjoint de la CFTC dit : « À qui fera-t-on croire que les employeurs aujourd’hui ont du mal à licencier ? », c’est franchement le refus.
M. Balladur : Anne Sinclair, je ne suis pas en train de dire qu’il faut pouvoir licencier plus facilement. Vous observerez que, dans la liste que je vous ai donnée, il n’était pas question de licenciement. II était question de faire en sorte que l’emploi soit plus souple, par le temps partiel, par les contrats à durée déterminée, par la fusion des délégués du personnel et des comités d’entreprise, etc. Voilà toute une série de mesures.
Car, enfin, je reviens à la question : pourquoi la France est-elle le pays évolué important qui a le plus de chômeurs ? II faudrait peut-être répondre à cette question. Lorsque j’entends pour les jeunes, par exemple : « II ne faut pas les stages diplômants et le CIP a été une très mauvaise idée »..., cela a été une maladresse, à coup sûr !...
Mme Sinclair : ... Le ministre de l’Éducation dit aujourd’hui : « II ne faut pas que nous recommencions avec les stages diplômants notre erreur sur le CIP ».
M. Balladur : D’accord ! Et je le dis après lui : « très bien ». Je vous pose une question : depuis trois ans – cette affaire remonte à trois ans – le chômage des jeunes s’est-il amélioré ou s’est-iI aggravé ? Vous connaissez la réponse : il s’est aggravé.
Alors, moi, je veux bien qu’on dise : « Jamais ceci, jamais cela. Ne faisons pas ceci, ne posons même pas une question, ne discutons même pas d’un problème », et alors, les jeunes vont rester au chômage ? Moi, je propose quelque chose : cette affaire de CIP consistait à quoi ? Cela consistait à faire travailler pour 80 % du temps et à former pou 20 %, et donc à ne donner que 80 % du salaire. Les jeunes ont considéré que cela ressemblait à un Smic jeunes et qu’on les payait moins bien, uniquement parce qu’ils étaient jeunes. Cela a été une erreur psychologique majeure, je le reconnais. Eh bien, faisons en sorte de les payer à 100 %, pour des stages de six mois par exemple, et que ce soit l’État qui prenne à sa charge les 20 %, qu’il faut les payer, pour la période de leur formation – je pense que ce que je dis est clair – et que cela peut parfaitement se financer en supprimant toute une série d’aides plus ou moins utiles, ou de contrats plus ou moins sophistiqués, plus ou moins employés.
Mme Sinclair : Ce serait des stages qui ne déboucheraient pas sur des emplois. Ce serait des stages ?
M. Balladur : Ce serait des stages qui pourraient éventuellement déboucher sur des emplois. II y a une chose qui m’intéresse et qui me préoccupe, c’est que les jeunes soient moins au chômage et qu’il y ait moins de chômage en France. Et je souhaite qu’il n’y ait pas de tabous. Je n’ai aucune, si j’ose dire, intention maligne dans l’esprit. Si on peut tout maintenir, tant mieux maintenons tout, mais regardons aussi ce qui se fait ailleurs.
Mme Sinclair : Deux questions pour continuer sur cette idée d’assouplissement des règles du marché du travail.
La première est qu’en Allemagne, on l’a vu cette semaine, les chiffres du chômage explosent. L’Allemagne n’est pas connue pour être un pays qui soit particulièrement rigide sur le plan du marché du travail. Eux ont déjà mis en pratique cette flexibilité. Est-ce que la flexibilité est la réponse ?
Deuxième question qui la complète : vous avez vu l’étude, qui est parue cette semaine, du Conseil supérieur de l’étude des revenus et des coûts, qui dit que cette flexibilité serait aujourd’hui aggravante pour la situation de l’économie française.
M. Balladur : Je vais vous répondre.
Tout d’abord, en Allemagne, le chômage est inférieur à ce qu’il est en France.
Mme Sinclair : II est inférieur, mais il est en augmentation forte.
M. Balladur : Peut-être ! Mais il est inférieur. Premier point.
Deuxième point, il est bien évident qu’on ne luttera contre le chômage qu’en ayant plus de croissance. Et il est bien évident qu’on aura plus de croissance que si on diminue les dépenses et que si on diminue les impôts. Nous avons déjà obtenu un certain nombre de résultats en la matière, il faut aller plus loin dans la baisse de l’impôt sur le revenu et dans la baisse de la TVA. II faut de la croissance et plus de croissance. Et aussi dans la politique monétaire qui pourrait...
Mme Sinclair : ... aller plus loin dans la baisse de la TVA, c’est-à-dire baisser la TVA qui a augmenté, parce qu’à l’heure actuelle elle a augmenté.
M. Balladur : Oui. D’ailleurs, on avait présenté cette augmentation comme exceptionnelle, en juin 95. Voilà une exception qui dure depuis presque deux ans maintenant, il faudrait peut-être s’interroger ? Mais pour cela il faudrait baisser les dépenses de façon plus rigoureuse.
Premier point : nous avons besoin de plus de croissance, et une politique fiscale plus dynamique et plus ambitieuse le permettra.
Deuxième point : je n’ai jamais prétendu que ce qu’on appelle « la flexibilité » résoudrait tous les problèmes, mais je pense que, s’agissant de l’emploi, le développement de la formation professionnelle, le développement des stages, le développement du chèque emploi-services, le développement éventuellement de contrat adapté en matière de durée du travail – il ne s’agit pas de dire : « on ne peut toucher à la durée du travail, nulle part », pas du tout ! Il s’agit que ce soit décidé entreprise par entreprise, en fonction des circonstances particulières –, on peut ainsi y arriver. En tout cas, on peut en avoir l’espoir.
Vous vous souvenez que j’avais fixé comme objectif que nous ayons 200 000 chômeurs de moins par an. Je trouve que cet objectif est très ambitieux, quoi que l’on en ait dit à l’époque, et que nous devrions essayer de nous fixer. Mais je le répète, pour cela, il faut retrouver la croissance et on ne la retrouvera que s’il y a la confiance. Et on ne retrouvera la confiance dans l’avenir que si les Français ont le sentiment que les grands problèmes sont traités, même quand ils sont très difficiles, de façon courageuse.
Mme Sinclair : Vous allez me dire que cela n’a rien à voir, mais cela s’est passé cette semaine et ce fut violent.
Corée :
Grèves, manifestations parfois violentes et tentative de suicide par le feu, la Corée s’enflamme depuis trois semaines contre le nouveau Code du travail imposé par le pouvoir. L’emploi à vie, c’est fini.
Au nom de la flexibilité, licenciements et horaires à la carte sont autorisés.
Mme Sinclair : Cela n’a rien à voir, monsieur le Premier ministre, mais à côté de la mondialisation des économies, il y a la mondialisation des problèmes, des préoccupations des gens et de leur sentiment d’insécurité qui grandit.
M. Balladur : Heureusement pour nous !
Mme Sinclair : Heureusement peut-être ! Mais en tout cas ils ont le sentiment que tout va dans le sens d’une plus grande insécurité de la situation des citoyens.
M. Balladur : Cela étant, vous l’avez dit vous-même, Anne Sinclair...
Mme Sinclair : … la situation n’a rien à voir.
M. Balladur : De quoi s’agit-iI là ? II s’agit de savoir si on oblige les salariés à n’avoir qu’un syndicat unique ? Et il s’agit de savoir si on supprime ou pas l’emploi à vie dans les entreprises ? Convenez avec moi que ce n’est pas tout à fait les problèmes de la France. Mais ce qui est vrai, c’est que lorsque l’économie de tous ces pays se développe, les préoccupations sociales se développent aussi. On a constaté cela au Japon depuis la guerre, par exemple, et c’est le sens de l’histoire. Mais tout notre problème, quel est-il ? C’est de continuer à arriver à produire et à vendre avant que tous ces pays ne nous fassent concurrence en détruisant les emplois qui sont chez nous. Voilà la question que nous avons à résoudre.
Mme Sinclair : En décembre, le président de la République a déploré le conservatisme des Français. Au moment des vœux, il a loué à l’inverse leur dynamisme et leur esprit d’initiative. Avec lequel des deux discours du président de la République vous sentez-vous le plus en phase ?
M. Balladur : Je crois que les deux choses sont vraies à la fois. Je citais tout à l’heure le général de Gaulle qui disait : « Les Français ne supportent plus ni leurs maux, ni les remèdes à leurs maux », c’est un peu cela. Chacun, bien entendu, veut garder sa situation, sa position et ses avantages, et c’est parfaitement humain, légitime et naturel. Mais en même temps la responsabilité des politiques, c’est justement de faire prendre conscience du fait que les choses doivent évoluer, que nous ne pouvons pas être un îlot exceptionnel, différent du reste du monde. Et c’est la raison pour laquelle, je vous l’ai dit, je souhaiterais qu’on étudie, sur quelques grands points, en quoi la France est dans une situation différente des autres et si cela explique ou non que son chômage est plus important que celui des autres. Peut-être que cela expliquera le contraire ? L’étude n’est pas faite, je n’ai pas de résultat dans l’esprit. Mais en tout cas la question mérite d’être posée.
Mme Sinclair : Je remarque que le président de la République fait très attention à la connotation de certains mots. Par exemple, on se souvient des réserves qu’il avait faites sur la flexibilité. J’ai le sentiment à vous entendre que, peut-être, vous prenez un peu moins de gant et vous vous dites : « II faudrait peut-être que la droite soit la droite face à une gauche qui serait la gauche et que nous affirmions plus clairement notre identité ». Est-ce que je me trompe ?
M. Balladur : Vous ne vous trompez pas, chère Anne Sinclair, mais il ne faut pas assimiler la droite à la remise en cause des droits acquis, ni la gauche à leur conservation, car le meilleur moyen de détruire les droits acquis, c’est de prétendre ne rien changer.
Ce qui me frappe beaucoup, s’agissant du Parti socialiste, c’est de voir avec quelle rapidité il revient à des idées – on a beaucoup parlé de sa conversion à l’entreprise, à l’économie moderne, etc. – que l’on croyait totalement oubliées. Si j’ai bien compris son programme actuel, c’est beaucoup plus de dépenses publiques, beaucoup moins de travail, des salaires identiques, voire même des salaires augmentés et 700 000 emplois créés par une sorte de grâce du Saint-Esprit, dont la moitié dans le secteur public. C’est absolument catastrophique comme programme et cela se terminerait très mal si on voulait l’appliquer.
Alors, il faut que chacun mette en œuvre les idées auxquelles il est attaché et, en ce qui me concerne, je crois que nous devons faire en sorte que les idées de liberté, de dynamisme, de mérite personnel, soient mieux mises à l’honneur. Ce qui ne veut pas dire oublier les idées de justice et de solidarité, pas du tout ! Seulement, je vous pose une question : « Qu’est-ce que sera une société juste et solidaire où on produira de moins en moins et où on aura de plus en plus de chômeurs ? Qu’est-ce qu’elle aura de juste et qu’est-ce qu’elle aura de solidaire ? Plus rien. Parce que nous aurons été évincés par tous les autres pays du monde ». Personne ne va nous faire de cadeaux, personne ! Et il dépend des Français, et des Français seulement, passez-moi l’expression, de s’en sortir et de s’en sortir au mieux. Et nous avons pour cela de grands efforts à faire et je souhaite qu’on en parle.
Je reviens à ce que je disais tout à l’heure : dire qu’on n’a même pas le droit de parler de certains problèmes, je trouve cela très dangereux. On doit avoir le droit de parler de tout.
Mme Sinclair : N’avez-vous pas le sentiment qu’on a le droit de parler de tout, mais que les Français peuvent accepter plus ou moins facilement ? Vous savez bien ce qu’est une opinion publique, vous savez bien ce que c’est que des Français...
M. Balladur : Je l’ai su et je le sais.
Mme Sinclair : ... qui pensent que cela ne va pas dans le sens de leur bien-être, de l’histoire, et qui n’acceptent pas un certain nombre de réformes.
M. Balladur : Je le sais, je l’ai éprouvé à mes dépens. Mais lorsque j’ai fait la réforme des retraites du régime général, cela a été compris. Pourquoi ? Et, d’ailleurs, je le dis pour bien vous montrer, je l’espère, que je suis tout à fait objectif. Parce que le travail avait été préparé par les gouvernements qui avaient précédé le mien, qui en avaient parlé, qui avaient fait faire des études, des débats...
Mme Sinclair : ... C’est-à-dire que le gouvernement d’Alain Juppé n’a pas eu son travail préparé par le vôtre ?
M. Balladur : Si, sur le plan des retraites, tout à fait. Sur d’autres aussi, d’ailleurs.
Mme Sinclair : Croyez-vous que, vous, majorité, vous gagnerez en 1998 ou on reparle de cohabitation dont on parlait tout à l’heure ?
M. Balladur : En 1998, je souhaite que l’actuelle majorité puisse continuer son travail. Je le souhaite parce que je crois que c’est un peu ridicule comme formule : « le vent de l’histoire », cela ne veut pas dire grand-chose « le vent de l’histoire ». Mais enfin je pense que nous sommes dans le sens de l’évolution souhaitable pour notre pays. Nous sommes ouverts sur le monde, nous n’allons pas nous refermer. Nous ne sommes pas protégés, nous n’allons pas élever des barrières autour de nous. Tout cela est fini.
En 1998, la monnaie européenne sera décidée et nous serons dans la concurrence avec tout le monde. Je souhaite donc que nous gagnions. Pour gagner en 1998, et je compte bien prendre toute ma part à ce combat, il faudra bien entendu que nous ayons un bilan convenable, comparé à la situation de 1993, que nous ayons un projet mobilisateur et que nous soyons le plus rassemblés et unis qu’il est possible.
Mme Sinclair : Ce qui veut dire que vous souhaitez ou non un élargissement du gouvernement aux balladuriens, à vos amis. Autrement dit, souhaitez-vous un remaniement gouvernemental ?
M. Balladur : Ce n’est pas ce que je disais...
Mme Sinclair : ... Je continue sur la lancée.
M. Balladur : C’est cela, c’est une transition.
Un élargissement, il y en a déjà eu un. II y a déjà eu une modification du gouvernement, il y a de cela six mois ou un an.
Mme Sinclair : II y a eu un changement de gouvernement, oui. Juppé n° 2. Souhaitez-vous un Juppé n° 3 ouvert aux balladuriens ?
M. Balladur : Un élargissement, une modification de la composition du gouvernement, c’est en quelque sorte un fusil à un coup. Cela a un sens si c’est pour infléchir la politique. Si c’est pour mener rigoureusement la même politique, cela n’a pas grand sens. Cela peut avoir un intérêt de remplacer telle personnalité par telle autre, mais ce n’est pas cela qui va changer les choses fondamentalement. Et la question qui se pose, c’est de savoir si la politique actuelle doit être infléchie sur un certain nombre de points ou pas ? Moi, je pense qu’elle est dans la bonne direction, je l’ai déjà dit souvent...
Mme Sinclair : Mais qu’elle doit être infléchie.
M. Balladur : … mais qu’elle doit être infléchie vers plus de baisse d’impôts, une politique monétaire plus souple et une politique sociale qui mette en œuvre toute une série de moyens pour abaisser le chômage.
Mme Sinclair : Mais cela doit se traduire par l’arrivée au gouvernement d’hommes qui symboliseraient cette nouvelle ligne ?
M. Balladur : À condition que la nouvelle ligne soit retenue, bien entendu.
Mme Sinclair : Et votre rôle, comment le concevez-vous ? Vous dites : « Je prendrais ma part dans la prochaine bataille législative » ? Votre rôle dans la majorité aujourd’hui ?
M. Balladur : Si on m’invite à aller en province, comme c’est d’ailleurs déjà le cas, je m’y rendrai bien entendu. Et si je peux faire progresser les réflexions et les idées, je vous ai parlé de cette étude sur les causes du chômage en France, je le ferais très volontiers. C’est ainsi que je conçois mon rôle. Je suis dégagé des responsabilités pratiques, ce qui me laisse une grande liberté à la fois d’esprit et d’expression.
Mme Sinclair : Très vite, parce qu’on me dit qu’on est en retard, dernières images de la semaine hors de I’Hexagone, mais la France y est tout de même présente.
Débat :
Mais quel est le rôle exact de la France en Afrique et plus particulièrement en Centrafrique où deux de ses soldats ont été tués par des mutins qui, pour la troisième fois, en moins d’un an cherchent faire tomber le Président Patassé, un Président élu certes, mais notoirement incompétent ? Pour venger ses hommes, la France a lancé une opération de représailles qui a coûté la vie à au moins une dizaine de rebelles. Une intervention contestée sur place, mais aussi à Paris où Lionel Jospin craint un engrenage militaire.
Algérie :
Mardi après-midi, dans l’une des artères les plus commerçantes d’Alger, une voiture piégée explose au milieu d’un embouteillage. Au moins 23 morts et plus de 100 blessés dont une quarantaine dans un état grave.
La maladie d’Eltsine :
Ces images pathétiques prises le week-end dernier en disent plus long sur l’état de santé de Boris Eltsine que tous les bulletins médicaux. Le Président russe a de nouveau été hospitalisé mercredi, officiellement pour une double pneumonie. Rien de grave, assure-t-on dans son entourage, il serait totalement remis de son opération à cœur ouvert du mois de novembre dernier.
Victoire :
Au 55e jour, Milosevic cède. Le Président serbe accepte de réexaminer les résultats contestés des municipales de novembre dernier. La victoire de l’opposition dans 14 grandes villes ne devrait pas tarder à être reconnue.
Inspirée par l’exemple de la Serbie, la Bulgarie se révolte aussi avec violence. Vendredi, des manifestants ont mis le feu au Parlement où les députés venaient d’opposer un « non » catégorique à la tenue d’élections anticipées.
Mme Sinclair : Édouard Balladur, nous sommes en retard, nous n’avons plus le temps, un mot sur le Centrafrique. A-t-on bien fait ? Pas bien fait ? Que faut-il faire ?
M. Balladur : On a bien fait. Nos ressortissants étaient en danger et nos soldats, qui avaient une mission de paix qui leur avait été confiée, ont été assassinés. Donc il fallait les défendre. Quant au reste, je vois que le gouvernement envisage d’alléger quelque peu notre dispositif militaire en Afrique, je pense que cela est une question technique et qu’il a raison de le faire si cela assure la même efficacité à notre rôle dans le cadre des accords de défense que nous avons avec ces pays.
Mme Sinclair : Merci Édouard Balladur d’avoir participé à ce 7 sur 7.
Je signale, dans l’actualité de ces semaines, que l’opération « Pièces jaunes » se déroule. Elle est organisée par les hôpitaux de Paris et les hôpitaux de France pour améliorer l’accueil des enfants malades à l’hôpital. Donc, les enfants, du 6 au 19 janvier, récoltent ces pièces jaunes et les portent à la Poste entre le 20 et le 25 janvier.
Merci beaucoup à vous d’avoir participé à ce 7 sur 7.
M. Balladur : Merci.
Mme Sinclair : Dimanche prochain, je vous propose un 7 sur 7 un peu spécial puisque je recevrai à la Maison-Blanche, à Washington, Mme Hilary Clinton, l’épouse du Président des États-Unis.
Dans un instant, le journal de 20 heures de Claire Chazal qui reçoit Patrick Le Lay, président de TF1 et président aussi de TPS, qui lance, ce soir, les chaînes « cinéma » de la télévision par satellite.
Merci à tous.
Bonsoir.