Interviews de M. Jack Lang, député européen et membre du bureau national du PS, à France-Inter le 3 décembre 1996 et RTL le 13, sur la parité entre le dollar et le futur euro et sur les propositions du PS en matière d'emploi, notamment la création de 700 000 emplois pour les jeunes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

Date : Mardi 3 décembre 1996
Source : France Inter / Édition du matin

A. Ardisson : En moins de quatre jours, J. Chirac et H. Kohl se sont rencontrés deux fois. La fréquence même de ces rencontres de préparation ne montre-t-elle pas l’acuité du problème et croyez-vous que les déclarations récentes de V. Giscard d’Estaing pèsent dans la balance ?

J. Lang : La relation franco-allemande, on le sait bien, est au cœur d’une relance européenne et Dieu sait que notre Europe a besoin aujourd’hui d’un nouveau souffle et d’un nouvel espoir. Elle s’enlise depuis longtemps dans une sorte d’immobilisme gris, sans perspectives véritables, et en particulier pour nos économies. On sent bien aujourd’hui qu’il faut redonner de l’oxygène à nos économies. Il faut remettre, si j’ose dire, de l’essence dans le moteur. Or, il y a comme une sorte de chape de plomb qui pèse sur nous et en particulier sur l’économie française. Nous sommes comme un avion plaqué au sol qui ne parvient pas à décoller, qui ne dispose d’aucune marge. Et il y a notamment deux domaines dans lesquels il faut agir et à travers lesquels la relation entre la France et l’Allemagne est décisive. Premièrement : le manque de liquidité monétaire et la mauvaise concurrence, la concurrence sauvage que les Américains établissent sur les marchés internationaux. Et là, c’est la revendication d’une réévaluation du dollar par rapport à l’euro. Et sur ce point, j’ai l’impression que beaucoup sont d’accord.

A. Ardisson : Du dollar par rapport à l’euro et pas du franc par rapport au mark ?

J. Lang : Du dollar par rapport à l’euro. Ça, c’est clair, il ne s’agit pas du tout de la question mark-franc qui est une question qui ne doit pas être posée à nos yeux. Deuxième élément qui nous plombe : c’est le poids de la dette publique qui a augmenté d’un tiers depuis trois ans. Le budget annuel de rémunération de la dette publique représente à peu près le budget de l’Éducation nationale. C’est dire que si nous réussissions à abaisser le poids de la dette publique, nous récupérerions des milliards dont nous avons besoin pour la politique de l’emploi, pour la politique de l’éducation. Pour obtenir ce résultat, il faut faire baisser les taux d’intérêt, ce qui suppose, dans la relation franco-allemande, une partie de bras de fer.

A. Ardisson : Mais quand je vous entends parler de la dette publique qui plombe l’économie française, de la baisse nécessaire des taux d’intérêt, je crois entendre A. Juppé ou E. Balladur. Vous allez penser que c’est une insulte.

J. Lang : Je ne me sens insulté par rien. Mais seulement, il faut parler de choses concrètes et de choses tournées vers le futur. Il ne suffit pas de dire : il faut faire. Dans la relation avec l’Allemagne, il faut pouvoir dire à nos partenaires allemands : nous ne pouvons pas continuer à subir une politique monétaire – ça n’a rien à voir avec l’histoire de la valeur du franc et du mark –, on ne peut pas subir une politique monétaire dans laquelle les taux d’intérêt, à moyen ou long terme, sont si élevés qu’ils sont un handicap pour les finances publiques.

A. Ardisson : Et pourtant ils ont beaucoup baissé ?

J. Lang : Les taux d’intérêt à court terme, mais il faut donner des signes politiques, sociaux aux marchés pour que les taux d’intérêt à moyen terme bougent, ce qui réclame une partie de bras de fer entre Allemands et Français de manière à desserrer l’étau qui pèse sur nous. Ça veut dire par exemple que le gouvernement français est en mesure de proposer aux Allemands des contreparties dans d’autres domaines, par exemple sur le plan de l’intégration politique de l’Europe, sur le plan de la démocratisation de l’Europe. Ce qui nous renvoie à un troisième problème : l’enlisement de la conférence intergouvernementale dont on discutera au sommet de Dublin et là, j’espère que la France va être capable de proposer des solutions nouvelles pour faire redémarrer l’Europe qui, je le répète, s’endort dans une sorte de grisaille. Cette Europe grise, anonyme et sans visage, n’est pas capable aujourd’hui de stimuler la croissance et l’expansion. Et nous n’acceptons pas, et nous sommes peut-être et sûrement en différence complète avec le Gouvernement actuel, l’idée de pacte de stabilité au sens où il est utilisé par les ministères des Finances, nous préférons l’idée d’un véritable pacte de croissance, d’expansion et de développement pour faire de l’Europe une véritable puissance économique et industrielle.

A. Ardisson : Mais là ce sont des mots. Ce qui est en discussion, ce sont les règles du jeu ?

J. Lang : Mais nous ne sommes pas au Gouvernement. Précisément, j’espère qu’on n’en restera pas aux mots. De ce point de vue, la France doit jouer un rôle d’avant-garde, un rôle de locomotive, un rôle de moteur pour expliquer, non pas de manière arrogante mais de manière pédagogique, en proposant aux Allemands des contreparties, que nous ne pouvons plus accepter une politique monétaire qui nous écrase.

A. Ardisson : Qu’est-ce qui nous écrase aussi sur le plan intérieur et sur le plan de l’emploi, d’après vous ? Le fait qu’il y ait trop de réglementations ou pas assez ? Les entreprises en réclament moins, c’est le thème d’un article de J. Gandois, et en même temps, lorsqu’elles ont des problèmes, voire les routiers, elles se précipitent dans les bras du Gouvernement.

J. Lang : Vous résumez les choses parfaitement. D’un côté, certaines entreprises tendent la sébile au Gouvernement pour recevoir quelques millions ou milliards, de l’autre, elles exigent la disparition de réglementations, de protections des droits des travailleurs. J’ai lu en effet cette interview de M. Gandois dans Le Monde, qui comporte des aspects positifs quand il veut recréer l’esprit d’entreprise, encourager l’insertion de 350 000 jeunes dans les entreprises, tout cela est bien. Par contre, je ne suis absolument pas d’accord avec lui lorsqu’il veut abolir la démocratie sociale dans les petites entreprises, qui pourtant est mal assurée. Et surtout, lorsqu’il demande la suppression du contrôle judiciaire des plans sociaux. Vous vous souvenez que c’est une mesure qui avait été adoptée par notre gouvernement en 92-93, sous l’impulsion de Martine Aubry.

A. Ardisson : C’est d’ailleurs curieux parce qu’en général, il la soutient plutôt.

J. Lang : Oui, ils ont des relations de courtoisie et de travail, ça n’interdit pas d’avoir éventuellement quelques divergences sur le plan des politiques à mener. Et cette loi avait, disons, reconnu l’idée de plan social, c’est-à-dire exiger des entreprises, lorsqu’elles licencient, de réelles mesures de reclassement et de reconversion. Nous ne voulions plus que les salariés soient traités comme des marchandises. Et ces plans sociaux étaient, et sont toujours d’ailleurs selon la loi, placés sous le contrôle judiciaire. Alors peut-être qu’en effet, le contrôle judiciaire, qui a été assez utile et efficace, a cet inconvénient d’être variable d’un endroit à un autre. C’est une des raisons pour lesquelles, dans nos propositions sur la démocratie à venir, politique et sociale, nous avons proposé nous-mêmes de substituer à un contrôle judiciaire, un contrôle de l’administration, un contrôle administratif des licenciements. Mais on ne peut pas admettre que la puissance publique reste les bras croisés face aux charrettes de licenciements qui se multiplient ici ou là. Il y a une part de responsabilité sociale et publique qu’un gouvernement digne de ce nom se doit d’assumer en France.

A. Ardisson : C’est tout simplement le retour à l’autorisation administrative de licenciement que vous proposez finalement ?

J. Lang : On peut l’appeler comme on veut. Ce qui est important, c’est que lorsqu’une entreprise s’apprête à licencier, les droits des travailleurs soient pleinement respectés, tout soit entrepris pour assurer le reclassement, que tout soit fait éventuellement pour que l’entreprise trouve les solutions à l’intérieur d’elle-même pour éviter le licenciement. Nous ne sommes pas pour un système administré, pour un système qui serait organisé par l’État, mais il est indispensable de mener d’un même pas et d’un même mouvement une stratégie industrielle de développement et d’expansion, dans le sens indiqué par M. Gandois ; mais en même temps, nous sommes pour la protection, aujourd’hui trop mal assurée, des droits des travailleurs dans l’entreprise ou hors l’entreprise.

A. Ardisson : Croyez-vous que le PS fasse encore peur au patronat ?

J. Lang : Ce n’est pas une question de peur ou de confiance. L’important, c’est que nous soyons capables d’abord nous-mêmes, et nous sommes sur cette voie, d’annoncer un programme d’action concret, solide et sérieux. Le jour venu, si nous l’emportions aux élections, le patronat serait l’un des partenaires du Gouvernement, les syndicats ouvriers, les syndicats enseignants et au-delà, le pays lui-même, le peuple lui-même, qui sera appelé à se mobiliser pour une transformation sociale, économique et culturelle.


Date : Vendredi 13 décembre 1996
Source : RTL / Édition du matin

O. Mazerolle : Vous êtes un esthète, vous avez aimé le style de l’émission d’hier soir ?

J. Lang : Je ne sais pas si je suis un esthète mais j’ai trouvé que, sur le plan formel, c’était plutôt assez réussi. Je connais assez bien les lieux comme vous l’imaginez, je trouve que l’atmosphère qui a été créée était une atmosphère qui, à la fois, préservait une certaine solennité des lieux et facilitait une certaine convivialité. C’était plutôt, sur ce plan, réussi.

O. Mazerolle : Sur le fond, la révélation soulignée par tout le monde ce matin, c’est que le président Chirac s’agace du conservatisme des Français ?

J. Lang : Personnellement, je suis en désaccord avec cette vision de la société française. Les conservateurs, ce ne sont pas les Français, ce sont les dirigeants économiques et politiques, pas tous, mais un bon nombre d’entre eux et c’est le cas d’ailleurs dans beaucoup de pays d’Europe. Ce qui me frappe toujours, c’est ce hiatus – mais pas dans le sens indiqué par le président Chirac – qui existe entre une société pleine d’initiatives, de capacités, d’inventions, qui bouillonne d’idées, de talents et un pouvoir politique immobile, qui pratique volontiers le surplace et qui n’est pas en mesure d’extraire des Français ce qu’ils ont en eux d’inventivité et de créativité.

O. Mazerolle : Mais le Président dit, il faut dialoguer mais il constate également que quand on tente de dialoguer, on trouve en face de soi des syndicats notamment mais aussi des organisations patronales qui bloquent tout ?

J. Lang : Mais quand vous ne proposez pas à un pays un idéal fort, une aventure collective qui permette précisément aux particularismes d’être dépassés pour construire ensemble une France nouvelle, une France plus ouverte, plus active, alors évidemment la réaction est de se recroqueviller de temps à autre sur les corporations ou les corporatismes. C’est une réaction de défense face à un système qui n’est pas principalement fondé sur la justice et surtout qui ne propose pas un idéal mobilisateur.

O. Mazerolle : Vous ne croyez pas, tout de même, qu’il y a en France des syndicats peu représentatifs qui campent sur leurs positions ?

J. Lang : Ça peut se produire, mais ce n’est pas une raison pour taper sur eux et pour les abaisser un peu plus parce que c’est ce que j’ai un peu entendu hier. Au contraire, il faudrait les encourager, les soutenir pour qu’à l’exemple de l’Allemagne, nous ayons en France des organisations syndicales fortes avec lesquelles on puisse dialoguer. Ce qui, quand même, ne marche pas dans notre pays, c’est non seulement la démocratie politique qui est aujourd’hui encore beaucoup trop confisquée par une minorité de personnes, la nomenklatura politique, mais c’est le dialogue social qui ne marche pas, les procédures ne marchent pas et lorsqu’une peur surgit, lorsque la crainte est qu’une mesure injuste soit accomplie, alors la seule voie qui reste, c’est la manifestation, la grève et la protestation.

O. Mazerolle : Autre sujet d’agacement du président, c’est le recours systématique à l’État et précisément d’ailleurs, il a stigmatisé les propositions du Parti socialiste qui veut recourir à l’État pour ce qui est de l’emploi des jeunes. Il a dit, les 700 000 emplois-jeunes proposés par le PS avec ses méthodologies, c’est 70 milliards de francs de dépenses en plus, du déficit et de la paralysie.

J. Lang : Mais le déficit, il est dans les 70 milliards qui sont consacrés quasiment chaque année à accorder des exonérations fiscales aux entreprises pour employer ou pour créer des emplois, et la vérité c’est que ça ne produit aucun résultat. Donc ce sont 70 milliards qui sont perdus. Ce que nous proposons dans ce programme éventuel pour l’année prochaine, c’est que précisément l’argent qui serait consacré à l’emploi des jeunes serait un argent efficace et permettrait la création effective, et non pas seulement théorique, de ces 100 000 emplois pour les jeunes. Mais ce qui est évidemment intéressant à noter et un peu paradoxal, c’est que les rares nouveautés annoncées par le président, nouveautés pour l’heure purement verbales puisqu’il s’agissait d’un discours, viennent des thèmes avancés par le Parti socialiste depuis quelques temps : la justice, l’emploi des jeunes qui est un des thèmes centraux de notre action, l’éducation…

O. Mazerolle : La justice d’abord : il y a tout de même une ouverture-là qui s’est produite hier soir, c’est que le président a dit qu’il faut vraiment s’interroger très sérieusement sur l’indépendance de la justice et le fait de couper le lien entre le ministre de la Justice et les procureurs. Vous croyez que ça va se faire ?

J. Lang : Il ne faut pas s’interroger, il faut faire. Et nous avons proposé dans notre programme sur la démocratie – si nous revenons aux gouvernement – de couper le lien entre le Parquet et la Chancellerie, et en même temps, comme l’a indiqué le président d’ailleurs hier soir, d’assurer une véritable garantie des droits de la défense et des libertés. Alors qu’on y aille, qu’on le fasse. Et je me réjouirais personnellement si on réforme profondément la justice dans ce double sens.

O. Mazerolle : Le président a également – et là vous êtes directement concerné en tant qu’ancien ministre de l’Éducation nationale – annoncé un véritable appel à l’école : l’école pour l’accès à la citoyenneté et aussi pour la lutte contre l’illettrisme, le vice caché, a-t-il dit, qui est une honte ?

J. Lang : Ce qu’il dit sur l’Éducation, je ne peux que le partager mais là encore, cela reste verbal et c’est, d’une certaine manière, un réquisitoire involontaire contre son ministre de l’Éducation nationale qui est tout de même là depuis près de quatre ans et dont la politique est une politique immobiliste : aucune réforme ni contre l’illettrisme ni pour véritablement endiguer la violence à l’école ni pour adapter l’école au XXIe siècle. Par ailleurs, les crédits pour assurer une meilleure éducation et un meilleur encadrement des enfants ont sévèrement baissé. On peut annoncer tous les beaux plans, si on ne prend pas les mesures, c’est la même chose. Ce qu’il a évoqué à propos de la justice quotidienne, je suis tout à fait d’accord avec lui, il faut réformer la justice de tous les jours, la justice pour les Français. Mais à ce moment-là, il ne faut pas réduire le budget de la Justice comme c’est le cas aujourd’hui.

O. Mazerolle : En gros, vous estimez qu’il ne se donne pas les moyens d’appliquer la politique qu’il énonce ?

J. Lang : Oui, si vous voulez soulever l’enthousiasme d’un pays, redonner le moral aux gens, redonner l’envie d’avoir envie, que les gens se réveillent et ils sont prêts à repartir dans l’action et dans l’innovation, il faut qu’il y ait un accord entre les actes et les paroles. Et par conséquent, il faut que les choix accomplis soient suivis par des mesures concrètes.

O. Mazerolle : Un sujet qui n’a pas été évoqué hier soir mais qui vous touche de près, mardi aura lieu l’inauguration de la TGB et le président de la République a décidé de lui donner le nom de F. Mitterrand. Il fallait le faire ?

J. Lang : Je lui suis très reconnaissant d’avoir accepté cette proposition parce que F. Mitterrand a été un grand lecteur, un écrivain et surtout il a accompli une œuvre pour la lecture publique et les livres : de la loi sur le livre en 1981 à la politique des bibliothèques dans les villes et les départements jusqu’à la construction de cette nouvelle bibliothèque. Et je crois que le président a accompli, en l’occurrence, un geste symbolique fort dont je me réjouis au nom de beaucoup de Français, je crois, qui seront sensibles à ce geste et aussi au nom d’une grande partie de la communauté intellectuelle et scientifique.