Texte intégral
Ouest-France : vendredi 27 février 1998
Q. : Les régionales et cantonales sont-elles une nouvelle occasion de développer vos thèmes nationaux traditionnels ou ont-elles une signification particulière ?
R. : Après l’aggravation constante de tous les problèmes qui touchent les Français : chômage, immigration, insécurité, fiscalisme, corruption, illettrisme, inadaptation de l’éducation et de la formation…, ces élections ne peuvent être qu’à dominante nationale. D’autant que nous assistons à la dissolution du cadre national dans l’Europe et de celle-ci dans un magma mondial où il ne peut plus y avoir de solidarité. Car, pour qu’il y ait solidarité il faut qu’il ait communauté. Mais quand cette communauté est élargie aux dimensions du Bangladesh ou de la Chine, la chance par exemple pour les futurs retraités français de jouir de leur retraite est à peu égale à celle qu’auront les Chinois ! …
Q. : Pensez-vous qu’il y ait trop d’échelons politico-administratifs ? Et si oui que faudrait-il supprimer ?
R. : Oui, nous devrons faire un jour l’économie d’un de ces échelons. Et malgré l’intérêt de la structure régionale - qui, par son mode de scrutin proportionnel, permet de mesurer réellement notre impact - je pense que c’est cette structure qu’il faudrait simplifier. En fait, elle n’est qu’une structure de coordination des départements. On pourrait aussi imaginer la suppression de ceux-ci, mais ils appartiennent à la culture démocratique de la France et ont créé une sorte de patriotisme départemental. De même pour les communes. Mais ce que je crains le plus, c’est la bureaucratisation toujours croissante de la vie sociale qui s’apparente de plus en plus à une soviétisation.
Q. : Faudrait-il aller plus loin dans la décentralisation ?
R. : Je n’en vois guère l’intérêt. Sauf sous la forme du référendum d’initiative populaire. À quoi a abouti la décentralisation ? À l’explosion et à la généralisation de la corruption. Les partis de l’établissement se sont partagés les revenus des nouveaux pouvoirs bureaucratiques et économiques. Le premier geste des présidents de région a souvent été de se faire construire un palace, parfois une ambassade… Moi, je voudrais qu’on libère le plus possible les citoyens de ces structures qui secrètent des milliers de tonnes de papier et freinent, quand elles ne l’interdisent pas, l’embauche par les toutes petites entreprises.
Q. : Quelle est votre position sur le cumul des mandats ?
R. : Nous avons toujours été contre le cumul. Mets-nous ne sommes pas opposés à deux mandats, à condition que le deuxième ne soit pas un exécutif. On peut être par exemple parlementaire et conseiller municipal.
Q. : Avant qu’il ne soit invalidée, Jean-Marie Le Chevallier était parlementaire et maire de Toulon : c’était donc déjà trop ?
R. : Oui, je le crois. Mais lui n’a pas eu longtemps à se poser la question ! Le Conseil constitutionnel - le tribunal le plus politicien de France - a condamné M. Le Chevallier en en faisant un bouc émissaire.
Q. : L’élargissement de l’Europe vers l’Est va-t-il pénaliser les régions françaises les plus à l’Ouest ?
R. : C’est évident ! Quand vous élargissez une communauté à des pays de plus en plus pauvres et lointains, vous diminuez le volume et la densité du patrimoine commun. D’ailleurs, cet élargissement aux pays de l’Est correspond à la mort de l’Europe telle que l’avait voulue les pères fondateurs. Ceux qui ont cru à ce schéma ont été trompés : l’Europe est en pleine dérive mondialiste.
Q. : Pour la présidence des Régions, comment allez-vous faire vos choix ?
R. : Nous, nous sommes prêts à jouer la discipline nationale, c’est-à-dire le désistement au sein de la droite, comme le font socialistes et communistes entre eux. Nous le sommes, bien entendu, sous bénéfice d’inventaire : nous n’apporterons jamais nos voix à des gens qui nous ont agressés, au-delà des limites du débat démocratique, et nous ne ferons des gestes que s’il y a réciprocité. Or, inhibée sans doute par l’intimidation de la gauche, la droite refuse cette discipline nationale. Eh bien, s’ils récusent les voix du Front national, je peux vous l’assurer : le RPR et l’UDF vont perdre quinze de leurs vingt Régions. Mais en faisant cela ils acceptent d’imploser et… de disparaître !
Le Parisien : 11 mars 1998
Q. : Vous compariez, il y a peu, la droite RPR-UDF à un « marigot à assécher », affirmant qu’entre la gauche et vous, à terme, il n’y aurait plus rien. Et voilà que vous tendez la main à la droite…
Jean-Marie Le Pen. - Il ne s’agit, aujourd’hui, que d’élections locales. Mais, après la victoire des socialistes aux législatives et compte tenu de la grande indulgence dont témoigne à leur endroit le Président de la République, laisser les socialo-communistes remporter le 15 mars une très grande victoire, ce serait leur abandonner le quasi-monopole de l’ensemble des pouvoirs. C’est pour éviter ce danger que nous tendons la main, sous condition de réciprocité, aux candidats de droite. Nous voulons essayer de les arracher à l’hypnose à laquelle ils sont soumis par la gauche. Il ne s’agit pas d’un accord entre états-majors, mais de la simple application de la règle de la « discipline nationale ». Cet accord-là entre les candidats de droite et les nôtres est possible et souhaitable.
Q. : Sur quel thème peut-il y avoir, à vos yeux, un rapprochement entre la droite et le FN ?
R. : Sur plusieurs thèmes, au moins dans les programmes, sinon dans la pratique : la diminution des impôts locaux et régionaux ; la recherche de la « préférence nationale » (telle qu’elle est appliquée, par exemple, lors du recrutement des fonctionnaires) ; une lutte efficace contre la délinquance et la criminalité ; des positions plus fermes à l’égard de l’immigration ; une action économique contre le chômage en direction des très petites entreprises, qui emploient de une à neuf personnes. Ce serait un début…
Q. : Que vous inspire l’affaire Roland Dumas ?
R. : La mise en examen, si elle a lieu, du président du Conseil constitutionnel serait le couronnement de la démoralisation de l’Etat. Mais les investigations ou les poursuites en cours aurait parfaitement pu viser l’ancien Président de la République, voire l’actuel (en raison de ses activités passées). Au Front national, nous sommes fondés à mettre en doute la légitimité de cette institution, véritable quintessence politicienne. Je pense, par exemple, à Pierre Mazeaud qui a exprimé publiquement sa « haine ». À la vérité, ce ne sont pas les « tontons macoutes » du Palais Royal, comme les appelle mon ami Le Chevallier, victime d’une très choquante invalidation, qui peuvent nous convaincre que cette haute instance rend une justice égal et sereine.
Q. : Souhaitez-vous la démission de Roland Dumas ?
R. : Plus que toute autre fonction, celle-ci me paraît exiger une confiance générale. Cela doit normalement conduire quelqu’un d’aussi sérieusement soupçonné à renoncer à son mandat.
Q. : Que ferez-vous si le tribunal de Versailles vous déclare bientôt inéligible, comme l’a requis le procureur à la suite des violences de Mantes-la-Jolie, lors de la campagne des législatives ?
R. : L’extension qui a été faite de la disposition prévoyant la perte des droits civiques et familiaux est proprement scandaleuse. Il s’agit de condamner à la mort civique des adversaires politiques. Cela comporte évidemment un risque considérable sur le plan de la paix civile. Car il s’agit d’un outrage aux citoyens censés pouvoir choisir librement leurs représentants. Du coup, à partir du moment où les citoyens se voient retirer ce droit, l’injustice qu’ils vont ressentir pourrait porter certains à faire valoir le quatrième des droits prévus à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme : la « résistance à l’oppression »…
Q. : Lors de la manifestation organisée au lendemain de votre procès, vous avez dit : « Les bons bougre, il leur arrive de se fâcher. » C’était une menace ?
R. : C’est un avertissement. Il arrive que « le cave se rebiffe » contre la loi du milieu ! Je voudrais rappeler à ceux qui n’ont pas une bonne mémoire que les invalidations des députés poujadistes datent du printemps 1956 et que, au printemps 1958, la IVe République disparaissait. Le parallélisme me paraît s’imposer. C’est encore plus grave aujourd’hui puisque le prétexte d’une échauffourée électorale, dans laquelle j’affirme n’avoir aucune responsabilité pénale, pourrait entraîner l’inéligibilité d’un homme politique qui a obtenu, sur son nom, 4,5 millions de voix.
Q. : Quelles sont vos relations avec Bruno Mégret, présenté comme votre successeur, voir comme votre rival ?
R. : Il n’y a aucun problème ! On a voulu accréditer l’idée d’un Le Pen dur, fermé à quelques relations que ce soit avec le RPR et l’UDF, tandis que Mégret serait, lui, un homme plus ouvert. Mais cette opposition est une pure invention médiatique. Il est évident que Bruno Mégret n’est pas Jean-Marie Le Pen. Il est moins grand et plus jeune. Je suis juriste : il est polytechnicien. Il est fils de conseiller d’État : mon père était patron pêcheur. Mais, si je dis qu’il est différent, serais-je accusé de racisme ? Sur le plan politique, Bruno Mégret défend exactement les mêmes idées et le même programme que moi, que Bruno Gollnisch et que les autres dirigeants du Front.
Q. : Vous avez répondu « Pourquoi pas ? » Lorsqu’on vous demandait si Mégret pourrait un jour vous succéder…
R. : Quand je ne serai plus à la tête du FN, il appartiendra au congrès de me désigner un successeur. Il est évident que Bruno Mégret pourrait parfaitement légitimement aspirer à ma succession. Mais il ne sera sans doute pas le seul.
Q. : Qu’espérez-vous de ces régionales ?
R. : J’attends une nouvelle progression du FN, qui mériterait, selon moi, de passer la barre des 16 % de suffrages.