Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens et député maire de Belfort, dans "L'Est Républicain" du 30 janvier 1997, sur l'accord franco-allemand de Nuremberg, la "réintégration" de la France dans l'OTAN et le rendez-vous citoyen.

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Média : L'Est républicain - Presse régionale

Texte intégral

L’Est Républicain : Comme tous les députés, vous avez en mains le texte de l’accord franco-allemand. Pourquoi vous choque-t-il ?

Jean-Pierre Chevènement : Ce n’est ni un concept, ni une stratégie. On n’y définit pas précisément les intérêts de sécurité de la France et de l’Allemagne dans des situations graves. Par exemple en Ukraine, dans les pays baltes, au Maghreb ou au Proche-Orient. La seule chose qui apparaisse en pleine lumière, c’est la réintégration complète de l’OTAN, la mise à disposition de nos forces pour des tâches de projection, leur insertion dans des unités multinationales. En se rapprochant de l’Allemagne, on rejoint surtout les États-Unis. Et cela, sans aucune contrepartie, puisque les États-Unis ont rejeté la demande de M. Chirac de commandement européen pour le sud Europe. On parle beaucoup d’identité européenne de défense. Je ne vois dans ce document absolument aucune identité européenne de défense, dont je suis partisan pour autant qu’elle réponde à des intérêts spécifiquement européens.

L’Est Républicain : Voyez-vous, au moins, la « communauté de destin et d’intérêt » qui existe entre la France et l’Allemagne ?

Jean-Pierre Chevènement : Je veux bien y croire mais une fois qu’on l’a dit, on n’a rien dit. A –t-on été capable d’avoir une politique commune en ex-Yougoslavie ? En 1991, il me paraît clair que non. C’est la politique de Gribouille. On se jette à l’eau de peur d’être mouillé par la pluie.

L’Est Républicain : l’indépendance de la France est-elle vraiment menacée ?

Jean-Pierre Chevènement : C’est une rupture franche, catégorique, avec la position de défense indépendante de la France. C’est une abdication. Même la force nucléaire américaine apparaît comme la garantie ultime de l’Alliance. Quand on lit ce qui a trait à la force française, à la force britannique, il est évident qu’elles n’ont qu’un rôle d’appoint. En plus, on va en discuter avec l’Allemagne. Cela ne me choque pas. Mais pour quoi faire ? les grands problèmes pour l’Allemagne et la France, c’est la Russie et l’Algérie. Ils ne sont traités.

L’Est Républicain : Seriez-vous plus gaulliste finalement que Jacques Chirac ?

Jean-Pierre Chevènement : Ce n’est pas difficile. Il n’y a que les néo-gaullistes pour rompre de manière aussi effrontée avec les dogmes du gaullisme. Vous vous souvenez de l’expression du général De Gaulle quand il a décidé le retrait de la France des commandements américains de l’OTAN : le système de l’intégration a vécu. C’était en 1966. On ne voit pas en échange de quoi Jacques Chirac l’a réintégré. Et pourquoi. Qu’est-ce que c’est que l’OTAN ? C’est une organisation américaine, avec un commandement américain, des moyens de renseignements américains, une logistique américaine, des capacités de frappes à distance américaines. En rentrant dans ce « machin », on se met à la remorque des décisions qui seront prises en dernier ressort par le président des États-Unis. Cela éclaire parfaitement l’abandon du service national. On ne peut pas comprendre le choix de l’armée professionnelle si on ne comprend pas que notre politique de défense, désormais, est inséparable de ce qu’on appelle le nouvel ordre mondial.

L’Est Républicain : N’assiste-t-on pas sur ce dossier au retour d’un axe Séguin-Chevènement ?

Jean-Pierre Chevènement : M. Séguin serait mieux placé que moi pour vous répondre. Mais je crois savoir qu’il n’est pas loin de partager mon sentiment.

L’Est Républicain : Le rendez-vous citoyen vous paraît-il suffisant pour confirmer le pacte qui unit les Français et la République, comme le dit Charles Million ?

Jean-Pierre Chevènement : Comment voulez-vous ? En cinq jours ! Alors que ce rendez-vous citoyen n’est même pas une période militaire. Il a caractère civil ou civique, je ne sais plus très bien. Cette réforme – je l’exécute par une boutade – consiste à supprimer le service national et à allonger la durée du Conseil de révisions…