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La Provence. - Le RPCR et le FLNKS se retrouvent aujourd’hui à Paris pour tenter de trouver un compromis entre l’autonomie au sein de la République que prône le premier et l’indépendance-association demandée par le second. Le principe d'une solution consensuelle vous paraît-il possible dans l'état actuel du dossier ?
Michel Rocard. - Oui, le principe d'une solution consensuelle est à la fois hautement souhaitable et tout à fait possible dans l'état actuel du dossier. Mais il suppose, de la part du FLNKS et du RPCR une grande compréhension des positions de l'autre et une vraie capacité de compromis.
L. P. - Vous avez été vous-même en première ligne lors des négociations de novembre 1988, qui ont abouti aux accords tripartites dits « de Matignon » et qui prévoyaient l'autodétermination en 1998. Quels souvenirs gardez-vous de ces discussions et quel est leur poids politique 10 ans après ?
M. R. - Je garde des sept semaines qui, en 1988, ont abouti à l’accord tripartite de Matignon un souvenir dense et ému. Ces négociations ont été marquées par beaucoup de volonté de paix, beaucoup de courage chez chacun et une vraie compréhension mutuelle. Le pouvoir politique de cette accord dix ans après est toujours considérable puisque c'est dans le cadre et dans le calendrier qu'il a fixé que s'ouvre enfin les négociations actuelles.
L. P. - le FLNKS a interrompu les négociations politiques officielles en avril 1996, exigeant, comme préalable à leur reprise, le règlement par l'État du dossier de l'usine de nickel que veut construire la province Nord du territoire (à majorité FLNKS). Un accord complexe portant sur un échange de massif minier vient d'être accepté. Qu'en est-il exactement ?
M. R. - Si ma mémoire est exacte, c'est plutôt l'acharnement du gouvernement de M. Juppé qui a conduit à donner une telle priorité au dossier du nickel. J'ai l'intuition que M. Juppé a espéré qu'une bonne issue de ce dossier permettrait, pendant quelques temps, d'occulter le problème de la souveraineté. Il s'agissait de donner à la province Nord, sous autorité kanak, la possibilité d'assurer son autonomie économique à travers la possession d'un massif minier important situé dans sa zone de compétence, et la perspective de créer, en province Nord également, une usine de transformation de ce nickel. Du coup, la province Nord et le FLNKS comme autorité politique ont dit « après tout chiche, ce sera toujours cela de pris ». Cette perspective n'est pas très saine car le marché du nickel est incertain aujourd'hui et l'opérateur canadien Falcon Bridge renvoie la possibilité de faire cette usine aux environs des années 2010.
Cela ne pouvait donc suffire à occulter l'enjeu proprement politique. Moyennant quoi, l'accord est aujourd'hui signé. La province Nord est propriétaire, après un échange, d'un massif minier qui peut suffire au fonctionnement d'une future usine. Il est donc temps de passer aux négociations politiques et c'est ce que l'on fait ce 24 février 1998. Enfin.
L. P. - L'absence volontaire, aujourd'hui à Paris, du président du RPCR, le député RPR Jacques Lafleur, vous paraît-elle révélatrice du manque de volonté du Rassemblement pour la Calédonie dans la République, anti-indépendantiste, de voir aboutir les négociations qui s'ouvrent aujourd'hui à Matignon, comme le prétend Bernard Lepeu, président de l'Union calédonienne (principale composante du FLNKS) ?
M. R. - L’absence de M. Lafleur aux négociations d’aujourd’hui est certes regrettable. Mais je n'en tirerai pas la même conclusion que M. Lepeu. Si M. Lafleur a des convictions raides, il a pourtant lui aussi besoin d'un accord. Qu'il veuille momentanément rester en retrait de cette délégation est une prudence tactique. Elle peut retarder un peu les choses. Je ne pense pas vraiment qu'elle les compromette. Beaucoup dépendra aussi de l'attitude du FLNKS et du Gouvernement et pas seulement du RPCR.