Texte intégral
Q - Quelles journées avez-vous vécues, quelles émotions sans doute intenses à Seattle ! Comment avez-vous vécu cette pression de la rue ?
- Cette pression de la rue a été évidemment très sensible cet après-midi et déjà ce matin, ici à Seattle, par l'interruption de la séance inaugurale, par le fait aussi que les manifestations se sont poursuivies assez durement dans l'après-midi jusqu'à provoquer la décision d'un couvre-feu à 19 heures. C'est donc une certaine perplexité, une question sur le risque d'échec de ces négociations qui vient à l'esprit de toutes les délégations.
Q - Pourquoi le risque d'échec ?
- On parle de risque d'échec dans la mesure où ces négociations ne s'engagent pas dans un contexte facile. Il reste des points de désaccords assez nombreux. L'agenda n'est pas fixé. Et si les Européens sont venus avec une position claire et forte, pour l'instant tout le monde ne se retrouve pas sur une position défendue où par les Américains, par les pays moyennement avancés ou en voie de développement ou les Européens.
Q - Oui mais la discussion n'a pas commencé et les contre-Seattle n'ont pas l'intention de relâcher leur pression. Est-ce que vous leur donnez raison sur le fond ?
- Je pense qu'il faut entendre ce que dit la société civile. Son souci de transparence, d'être prise en compte dans les décisions qui peuvent concerner leur vie quotidienne quand on décide de la libéralisation de biens commerciaux qui les concernent, quand on parle d'OGM, quand on parle de biodiversité…
Q - Donc, vous leur donnez raison !
- Je crois qu'il y a un souci qui s'exprime. Mais il faut que l'on puisse aussi décider. Il faut qu'il y ait sur le plan international, un organe qui puisse trancher, sanctionner le cas échéant, pour que cela ne soit pas la loi du plus fort qui en même temps privilégie ceux qui sont en mesure d'inonder le marché au détriment de ce que nous défendons.
Q - Ce matin, est-ce que vous demandez la levée du couvre-feu pour pouvoir négocier ?
- Ce n'est pas moi qui peut décider en quoi que ce soit la levée d'un couvre-feu. Ce que je souhaite c'est que l'on puisse, le plus sereinement possible, aborder les questions au fond. Moi, je suis assise à table non pas pour discuter ou négocier sur les questions de culture et d'audiovisuel, puisque ce que nous défendons c'est l'exception culturelle. C'est-à-dire qu'on n'en parle pas. Ce que je veux faire ici, c'est de la dissuasion, rencontrer des pays qu'il faut encore un peu convaincre, non pas les pays européens, mais d'autres. Et puis, c'est en même temps aussi, exercer une vigilance pour que, si l'on aborde des sujets qui pourraient par la bande concerner l'exception culturelle, on puisse réagir immédiatement.
Q - Vous faites de la résistance ?
- Je fais de la résistance, si l'on peut dire, de la vigilance, je préfère ce mot. Je pense que la position française n'est pas isolée, qu'elle est claire – que ce soit sur le commerce électronique, l'agriculture, l'environnement, les normes sociales – et que notre travail aujourd'hui c'est de bien faire comprendre aux pays qui pensent que la position des pays européens ou celle des pays développés est plutôt destinées à leur poser des problèmes pour accéder au marché, eh bien c'est autre chose.
Q - Les ministres sont nombreux, même les ministres français. Vous êtes là, vous observez, mais c'est motus et bouche cousue. Qu'est-ce que vous faites, avec qui vous parlez ou de qui vous faites-vous entendre ? Parce qu'il y a P. Lamy qui défend l'Europe, donc la France, l'Allemagne…
- C'est le commissaire qui négocie au nom des autres Européens, c'est mon collègue Huwart qui est présent à la table des négociations. Moi, je rencontre toute une série d'interlocuteurs qui sont concernés par mes sujets, notamment dans l'audiovisuel. Mais, c'est aussi les rencontres bilatérales que je peux avoir avec toute une série de délégations qui me permettent d'expliquer notre position, de la faire avancer, notamment sur les risques en matière de commerce électronique pour ce que nous appelons les services, ce que les Américains voudraient assimiler à des marchandises virtuelles.