Interview de M. Georges Marchais, secrétaire général du PCF, à TF1 le 23 juin 1981, sur l'accord de gouvernement entre le PCF et le PS du 22 juin 1981

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Circonstance : Signature le 22 juin 1981 d'un accord de gouvernement entre le PS et le PCF

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

J.L. : Patrick de Carolis nous appelle de la place du Colonel-Fabien avec Georges Marchais qui, effectivement, vient d'arriver. Monsieur Marchais, bonsoir. Je viens d'annoncer à l'instant que c'était officiel, vous avez quatre ministres au Gouvernement, pouvez-vous nous le confirmer ?

G. Marchais : Je peux simplement vous dire qu'il y a plus d'obstacle à la participation de ministres communistes au Gouvernement, mais je suis secrétaire général du Parti et j'entends respecter les règles constitutionnelles. Par conséquent, c'est au Premier ministre qu'il appartient de faire connaître aux Françaises et aux Français la composition du nouveau Gouvernement.

J.L. : Au Premier ministre et au Président de la République et, effectivement, nous attendons une décision de l'Elysée. Pour l'instant, elle ne nous est pas encore arrivée mais enfin vous considérez cet accord comme acquis ?

G. Marchais : Oui, enfin notre comité général, après une très riche discussion, a approuvé à l'unanimité l'accord de Gouvernement que nous avions discuté et rédigé la nuit dernière avec les représentants du Parti socialiste.

J.L. : Alors, Georges Marchais, vous venez d'entendre notre politologue, M. Lavaud, qui est encore avec nous, et qui vient de dire qu'en fait c'est peut-être parce que vous avez connu certain affaiblissement, que vous faites moins peur, que vous pouvez rentrer au Gouvernement actuellement. Quelle est votre opinion là-dessus ?

G. Marchais : Je ne partage pas cette façon de voir. Vous savez que le Parti communiste, après la rupture de 1978, n'a jamais cessé de réaffirmer son attachement à l'union. Nous avons mené, certes, le débat d'idées mais nous n'avons jamais cessé de réaffirmer notre attachement à l'union et les 700 000 Françaises et Français qui ont participé à mes meetings durant la campagne électorale du premier tour de l'élection présidentielle m'ont toujours entendu dire et répéter sans cesse que le Parti communiste français ne renoncerait pas, ne renonçait pas et ne renoncerait jamais à l'union. Et j'ai toujours… D'ailleurs, tout à l'heure, vous avez passé… un discours où je disais : « Il faut qu'il y ait des ministres communistes au Gouvernement de la France pour qu'ils prennent leur part dans l'oeuvre nécessaire à entreprendre pour sortir notre pays de la crise et pour aller de l'avant dans le sens voulu par les Françaises et les Français. »
Par conséquent, je pense que la participation des communistes au Gouvernement, après la victoire que vient de remporter la gauche en éliminant Giscard d'Estaing, en se donnant une majorité au Parlement, est une bonne chose. Evidemment, je serais hypocrite si je vous cachais que j'aurais préféré que nous allions au Gouvernement dans une situation plus confortable du point de vue de notre influence. Mais ça, c'est une affaire qui concerne le Parti.

A.F. : Georges Marchais, je vous interromps quelques secondes pour vous dire qu'en effet l'Elysée n'a pas encore donné la liste du Gouvernement. Donc, d'un moment à l'autre nous pouvons vous interrompre pour donner la parole à M. Bérégovoy et, là, on aura confirmation s'il y a vraiment quatre ministres communistes au Gouvernement, mais, puisque vous êtes en direct avec nous, je pense que vous, personnellement, vous connaissez la réponse. Alors, ma question est toute simple : Georges Marchais, ce soir, 23 juin, à 8 h 20 du soir, est-ce que Georges Marchais a encore un problème ?

G. Marchais : Oh, si je n'avais qu'un problème. J'en ai beaucoup plus qu'un. J'en ai…

J.L. : Excusez-moi, Georges Marchais, je vous interromps. Je voudrais que… Restez avec nous, d'ailleurs, nous allons immédiatement faire la liaison avec l'Elysée, je pense qu'on attend une nouvelle que nous communique Bruno Maure.

B.M. : Oui, Jean Lefèvre, simplement pour vous dire que, aux dernières nouvelles, ici, à l'Elysée, on annoncera cette composition du second Gouvernement Mauroy vers neuf heures.

J.L. : Bien. Merci de cette précision.

A.F. : Alors, Georges Marchais, revenons sur vos problèmes. Est-ce que finalement, ce suspense ce n'est pas une remise en cause ? Est-ce que vous êtes vraiment toujours sûr que vous entrez au Gouvernement, enfin que le Parti communiste entre au Gouvernement ?

G. Marchais : Pour ce qui nous concerne, il n'y a plus aucun obstacle.

A.F. : Alors, vos problèmes ? Vous me disiez, il y a quelques instants, que vous aviez encore beaucoup de problèmes.

G. Marchais : Parce que vous me dites : « Vous n'avez plus de problème. » Quel est l'homme qui n'a pas de problèmes sur la terre ? J'ai des problèmes comme les autres et, comme secrétaire général du Parti, j'ai des problèmes. … Avec mes camarades : par exemple, il est incontestable que le résultat des élections, des présidentielles au premier tour, législatives, n'ont pas répondu à notre attente. Par conséquent, nous devons réfléchir sur la question qui nous est posée, et c'est ce que nous allons faire dans une session du comité central qui se tiendra jeudi et vendredi. Ça, c'est déjà une question. Et ensuite, eh bien, s'il y a des ministres communistes au Gouvernement comme je le crois, comme je le pense, comme j'en suis sûr, eh bien nous allons avoir à assumer toutes nos responsabilités pour, comme je n'ai cessé de le dire, réussir le changement. Ce que les Françaises et les Français attendent, c'est que nous réussissions le changement auquel ils aspirent et nous entendons, de ce point de vue, y prendre toute notre part.

P.d.C. : Alors, justement, Georges Marchais, parlons de ce texte que vous avez signé. Vous êtes d'accord avec toutes les formulations. Certains disent déjà que vous avez capitulé. Moi, je vous demanderais simplement si vous êtes encore communiste.

G. Marchais : Ah, je suis plus communiste que jamais ! Sur quoi j'ai capitulé ?

P.d.C. : Alors, par exemple, l'Afghanistan, SS.20, Pologne et Camp David. Je vois que vous avez déjà préparé les réponses.

G. Marchais : Oui, parce que je m'attendais… Je n'ai pas préparé les réponses, j'ai simplement noté Camp David, Afghanistan, SS.20 et Pologne.
Effectivement, comme nous en avions convenu lors de notre première discussion avec le Parti socialiste, au moment où il s'agissait d'examiner si les conditions existaient pour un accord politique de gouvernement, il nous a bien fallu aborder les questions sur lesquelles nos deux Partis avaient des positions différentes. Et alors, le texte s'exprime sur ces quatre questions.
Alors, je vois d'ici, on va dire : « capitulation ». Alors voyons de quoi il s'agit.
Camp David. Camp David a eu lieu. Camp David a conduit à la cessation de la guerre entre Israël et l'Egypte. Camp David a conduit au retrait des troupes israéliennes d'une partie du Sinaï. Ce sont des faits, nous en prenons acte. Bien. Cela étant dit – et c'est ce que nous disons dans la déclaration – le problème du Moyen-Orient n'est pas réglé pour autant. Nous nous prononçons – et ce n'est pas nouveau, depuis très longtemps, depuis l'existence de l'état d'Israël dans des frontières sûres et reconnues et nous considérons qu'il faut donner au peuple palestinien la patrie à laquelle il a droit. Voilà ce que nous disons dans l'accord. C'est notre politique. Si on appelle ça une capitulation, non, c'est notre politique de toujours.
Maintenant, missiles européens. Ne laissons rien dans l'ombre. Les missiles, les SS.20, les Pershing et les Cruises. Evidemment, ici, chaque Parti peut avoir une appréciation. Nous avons même convenu, hier soir, même à l'intérieur des Partis, qu'il peut y avoir, de la part des camarades, des gens qui nous font confiance, des appréciations différentes, n'est-ce pas. Mais ça, c'est une chose. Quelle est la question qui est posée ? Est-ce qu'il faut avancer dans la voie de la course aux armements ? Nous pensons que non. Nos deux Partis sont d'accord pour agir en faveur de la dissolution des blocs militaires, en faveur de la paix, du désarmement. Nous pensons que la France a un rôle à jouer dans ce domaine. Alors, qu'est-ce que nous disons ? Nous disons : « Il faut négocier. » Vous m'entendez ?

A.F. : On entend très bien, Georges Marchais, on vous entend.

G. Marchais : Très bien. Alors, nous disons : « Il faut négocier ».

A.F. : On vous entend, mais on a des questions à vous poser lorsque vous aurez fini sur cette partie de politique étrangère.

G. Marchais : D'accord. Eh bien, comme ça, on aura réglé cette question. Il faut négocier. Il faut négocier pour garantir l'équilibre des forces militaires et, à partir de là, il faut prendre des mesures pour avancer dans la voie du désarmement. C'est ce que les peuples veulent. Capitulation ? Non. Réalisme politique.
Afghanistan. L'Afghanistan, nos deux Partis apprécient d'une manière différente le point de départ mais je n'ai pas attendu la rencontre d'hier soir, je l'ai déjà dit à la radio et à la télévision, qu'est-ce que nous souhaitons et qu'est-ce que souhaitent les Soviétiques ? Ils l'ont dit : ils souhaitent le retrait de leurs troupes. Alors, et qu'est-ce que souhaite le Gouvernement Afghan ? Il souhaite cela aussi, mais il veut une négociation entre les pays concernés – Iran, Pakistan et Afghanistan – en vue d'assurer la sécurité des frontières, la non-ingérence dans les affaires intérieures. Et nous disons, à partir de là : eh bien, les troupes soviétiques doivent se retirer d'Afghanistan.

P.d.C. : Monsieur Marchais, le texte signé en commun avec le P.C. et le P.S. ne parle pas de négociation préalable.

G. Marchais : Non, c'est l'esprit, ça. C'est l'esprit. Alors…

A.F. : Monsieur Marchais, je voudrais vous poser…

G. Marchais : Attendez, parce qu'il y a une dernière question. Nous parlions de la Pologne dans ce texte. Je dois vous dire – j'ai entendu des commentaires que j'ai été très réticent pour parler de la Pologne. Pourquoi ? Mais je l'ai accepté, avec mes camarades parce que je ne veux pas que, demain, on vienne…

A.F. : Parler de la Pologne avec les socialistes, vous voulez dire ?

G. Marchais : Oui, j'étais très réticent. Je suis réticent pour parler de la Pologne avec qui que ce soit et je vous ferai observer, d'ailleurs, que je n'en ai parlé que deux fois en une année, parce que je considère, avec mon Parti – alors, comme les socialistes ont la même idée que nous, nous avons pensé que c'était bien de le dire ensemble : nous l'avons dit ensemble – mais nous considérons, pour notre part, qu'il appartient au peuple polonais de résoudre lui-même ses problèmes, c'est-à-dire d'avancer dans la voie du progrès, des réformes… des réformes de caractère économique, social et démocratique. J'ai dit ça au mois d'août l'année dernière. Donc, ça ne nous gênait pas de le réaffirmer. Ça ne nous gênait pas dans une certaine mesure, parce que je n'aime pas, pour ce qui me concerne, donner des leçons aux autres peuples. Moi, je suis vraiment pour la non-ingérence dans les affaires intérieures, je suis pour que chaque peuple, dans chaque pays, décide lui-même en toute indépendance du régime social qui lui convient le mieux.
Alors, nous avons trouvé un terrain d'entente avec nos partenaires socialistes, pour que la France agisse efficacement en direction de ces grandes questions. Certains appelleront cela capitulation, moi j'appelle ça poursuite et développement de la politique du Parti communiste français et je me réjouis, je me félicite qu'avec le Parti socialiste nous ayons trouvé un terrain d'accord sur ces questions.

J.L. : Georges Marchais, je vous remercie. Vous restez avec nous, bien entendu, pour la suite de ce journal car nous attendons toujours la confirmation de votre participation au Gouvernement, nous attendons, d'ailleurs, la liste du Gouvernement.

G. Marchais : C'est quand même un événement, Lefèvre !

J.L. : Mais c'est certainement un événement !

A.F. : Il n'est pas encore officiel, Georges Marchais.

J.L. : Mais c'est un événement historique dont, d'ailleurs, nous venons… vous venez d'exposer les conséquences et les grandes lignes. Je crois, Alain Fernbach, que l'on peut quand même parler des quatre ministres potentiels, des quatre ministres communistes qui vont participer.