Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Monsieur le président, je souhaite tout d’abord vous remercier d’avoir pris l’initiative d’instaurer une discussion d’orientation budgétaire préalablement à l’examen du budget. C’est là une nouvelle étape de la rénovation des travaux du Parlement que je voulais saluer.
Je tiens aussi à remercier la conférence des présidents d’avoir choisi la défense pour inaugurer cette procédure. J’y vois la reconnaissance de l’importance de la réforme lancée par le président de la République et engagée maintenant par tout le pays depuis le vote de la loi de programmation militaire.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de l’année, cette réforme sollicite le Parlement et le pays tout entier.
En effet, après le débat d’orientation sur la politique de défense, qui nous a réunis au mois de mars dernier, après le vote par votre Assemblée de la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002, vous allez prochainement vous prononcer sur le projet de loi visant à faciliter la professionnalisation de nos armées, dont le rapporteur est M. Nicolas About. Vous vous prononcerez, ensuite, sur le projet de budget pour 1997. Puis nous aurons l’occasion de débattre de la réforme du service national autour du rendez-vous citoyen et du volontariat. Enfin, nous aurons la charge d’étudier la réforme des réserves.
Vous pouvez le constater, la réforme se fait pas étapes successives. Nous irons jusqu’au bout de ce grand édifice qui a été fondé par le discours du président de la République, le 22 février dernier.
Pourquoi fallait-il réformer la défense de notre pays ? Cette question, sénateurs et députés se la sont posée à plusieurs reprises depuis quatre ou cinq ans. En 1994, il y a été répondu dans le Livre blanc.
Dans ce document, sont énoncées très clairement les missions que l’on souhaite voir assumer par la défense nationale et par les forces armées. Je me permets de les rappeler : la dissuasion, la prévention, la projection et la protection. Sont aussi décrits les modes et les moyens qu’il conviendrait de mettre en œuvre pour pouvoir faire face à ces missions essentielles.
Le deuxième constat qui a été fait, après celui qui concerne les missions, a trait aux conditions géostratégiques, qui ont changé.
En effet, en 1989, c’est la chute du mur de Berlin, c’est l’effondrement de l’empire soviétique. À partir de ce moment, tous les États au monde révisent leur budget de la défense.
En 1995, on constatait que les budgets de la défense de tous les grands pays au monde avaient baissé en valeur absolue et en valeur relative. Seul le budget de la défense de la France n’avait pas encore suivi cette tendance.
Le troisième constat concerne la restructuration des industries de défense.
Depuis plusieurs années, les États-Unis, en particulier, se sont engagés dans une immense opération de restructuration des industries de défense. Cela s’est fait par fusions, par rapprochements, par accords de coopération. On a vu ainsi apparaître des grandes entreprises comme Lockheed ou Martin Marietta qui, aujourd’hui, dominent le marché mondial. Voilà pourquoi il est nécessaire de réfléchir à la mise en place d’une industrie européenne de la défense.
Telles sont les raisons qui ont amené à envisager la réforme de notre défense.
L’élection présidentielle de mai 1995 marque d’ailleurs le point de départ d’une nouvelle ère en matière de défense. En sa qualité de chef des armées, le chef de l’État a en effet très vite manifesté sa volonté de ne plus s’accommoder de demi-mesures, de construire résolument la défense dont notre pays a besoin pour aborder le XXIe siècle, tout en tenant compte de la nécessité – je viens de le dire – de réduire les dépenses publiques.
Quant à la méthode utilisée pour engager cette réforme, elle repose sur un triptyque : clarification, concertation et décision.
Il nous est apparu indispensable, d’abord, de procéder à un état des lieux, à un audit, de la manière la plus approfondie possible, et ce aussi bien pour ce qui est des affaires de l’État, c’est-à-dire le budget de la défense, que pour ce qui est de l’industrie de défense ou des administrations qui dépendent directement ou indirectement du ministère de la défense.
Ce travail de clarification a été effectué non seulement par les services du ministère mais aussi dans le cadre du comité stratégique, mis en place dès juillet 1995 et qui a travaillé aux projets de réforme ayant abouti au projet de loi de programmation militaire voté en juin dernier.
La deuxième phase, c’est la concertation. Celle-ci s’est traduite, sur le plan politique, par la saisine des Assemblées pour le débat d’orientation, qui a eu lieu l’année dernière, ainsi qu’à l’occasion du débat sur le projet de loi de programmation. Elle se poursuivra au travers des discussions que nous aurons sur les différents projets que j’ai évoqués voilà quelques instants.
Cette concertation a lieu aussi avec les syndicats, en particulier les syndicats de salariés, et avec les élus locaux qui sont concernés par les restructurations militaires et les restructurations industrielles, ainsi qu’avec toutes celles et tous ceux qui, directement ou indirectement, seront concernés par les décisions de réforme en matière de défense.
Cette concertation est permanente. Je la poursuis, aujourd’hui, dans le cadre des restructurations militaires et des restructurations industrielles, en souhaitant, évidemment, qu’elle puisse aboutir préalablement à toute décision.
Ces décisions ont été prises dans le cadre du conseil de défense, qui s’est réuni déjà à six reprises et qui continuera à se réunir pour permettre à la réforme de la défense nationale d’atteindre tous ses objectifs, ainsi que je l’ai indiqué en introduction.
Quel est, aujourd’hui, l’état d’avancement de la réforme ?
Je l’ai dit, la réforme a pour objet de construire la défense française pour le XXIe siècle. Elle va donc concerner tous les domaines de la défense : le format de l’armée et sa nature, la force de dissuasion, l’industrie et les restructurations industrielles qui en sont la conséquence, et, enfin, la démarche européenne et atlantique.
Pour ce qui est de l’armée professionnelle, prévue et organisée par la loi de programmation, sur laquelle je ne reviendrai pas, la réduction des effectifs civils et militaires de la défense est une étape essentielle du passage à un nouveau modèle d’armée. En effet, d’ici à 2002, les effectifs du ministère de la Défense seront réduits de près du quart, cette évolution globale recouvrant un double mouvement de départs et de recrutements. Vous le savez, le président de la République écarte tout à fait clairement la solution d’une loi de dégagement des cadres.
Ces mouvements doivent s’appuyer sur un dispositif exceptionnel et faire l’objet de mesures d’incitation au départ, à la mobilité et à l’engagement. C’est le sens du projet de loi dont le Sénat devra débattre le 20 novembre prochain et qui a déjà été discuté par l’Assemblée nationale le 9 octobre dernier.
Quant au processus de professionnalisation complète de nos armées, il s’engagera dès l’année prochaine. Recruter près de 10 000 engagés par an là où, en année courante, nous en recrutions environ 3 000, tel est le défi que nous devons relever.
Cela explique qu’il soit absolument indispensable de mettre en place des mesures d’incitation à l’engagement. Cela explique également que nous garantissions aux jeunes qui voudront s’engager, d’abord, une rémunération convenable et, ensuite, une reconversion professionnelle réussie au terme de leur vie militaire.
L’armée ne recrutera des engagés de qualité qu’à condition de leur assurer une qualification professionnelle à la hauteur de leurs espoirs lorsqu’ils sortiront de la vie militaire pour entrer dans la vie civile.
Par ailleurs, la solde des nouveaux engagés et de ceux qui servent actuellement sous contrat sera portée au niveau du SMIC à compter du 1er juin 1997, et le droit à la reconversion sera inscrit dans le statut des militaires.
Je n’insisterai pas sur ce point, puisque nous aurons l’occasion d’y revenir le 20 novembre prochain, lors de la discussion du projet de loi sur les mesures d’accompagnement.
De plus, l’activité des militaires sera recentrée sur des fonctions opérationnelles.
Enfin, les conditions de vie des engagés seront améliorées, en particulier en ce qui concerne leur logement et l’emploi de leur conjoint.
Ces militaires effectueront dans les armées une carrière courte, d’une durée moyenne de huit ans. L’alternance rapide qui en résultera entre vie civile et vie militaire contribuera au renforcement du lien entre l’armée et la Nation, vous l’avez bien compris.
J’en viens au deuxième aspect de cette réforme : doter la France d’une force de dissuasion adaptée.
Le 13 juin 1995, rappelez-vous, le président de la République décidait la reprise de nos essais nucléaires pour une ultime campagne destinée à valider nos armes actuelles et à rassembler les données nécessaires à la bonne réalisation du programme de simulation.
Certains ont contesté cette campagne d’essais en la jugeant inutile. Elle a pourtant permis à la France de garder une force de dissuasion fiable, d’accumuler un certain nombre de données, ce qui attise la jalousie de tous les pays qui voudraient faire de la simulation et, surtout, de faire partie du groupe de tête des pays qui souhaitent l’arrêt définitif des essais nucléaires. En effet, la France, la première, a engagé le combat pour l’interdiction définitive des essais nucléaires.
Aujourd’hui, la France est arrivée au terme de sa démarche puisque le traité, terminé sur le plan de sa rédaction, est maintenant soumis à la signature.
Je dois souligner que le président de la République a eu le courage d’affronter une opinion publique souvent excitée ou manipulée pour prendre une décision conforme à la volonté nationale et à ce que, lui, percevait pour le maintien d’une force de dissuasion garante de notre indépendance.
De quoi sera constituée dorénavant notre dissuasion future ?
Elle comprendra, d’une part, une composante balistique bâtie autour de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération emportant des missiles M51 et, d’autre part, une composante aéroportée sur la base du missile ASMP amélioré dont la réalisation est prévue par la loi de programmation.
Comme vous avez pu le constater, la réforme maintient la dissuasion. Cela permettra à la France de garantir son indépendance et son autonomie, objectif qui avait été inscrit en lettres d’or par le général de Gaulle dans la politique de défense de notre pays.
Le troisième point porte sur une industrie restructurée.
Depuis le début des années soixante, la France s’est dotée – là aussi, sous l’impulsion du général de Gaulle – d’une industrie de défense d’un niveau technologique exceptionnel qui garantit notre autonomie stratégique et notre indépendance nationale.
Cependant, pour garder sa place, notre industrie doit relever trois défis : le premier est celui de la réduction des coûts ; le deuxième est lié à la taille des entreprises de défense françaises et européennes ; le troisième est celui de la compétitivité sur les marchés extérieurs.
En premier lieu, si nous nous engageons dans une réduction du budget de la défense, ce qui est le cas puisque le montant de la première annuité de la loi de programmation militaire 1996 est diminué de près de 20 milliards de francs par rapport au montant de la programmation précédente, il va bien falloir réduire les coûts.
Nous avons ainsi fixé comme objectif à l’industrie de défense et à la délégation générale pour l’armement de parvenir à une réduction de 30 % des coûts et des délais des programmes sur les six années de la programmation.
Cette réforme marque une étape majeure de la rénovation de notre appareil industriel d’armement et se situe au carrefour de la maîtrise des dépenses publiques et de la réforme de l’État.
Je précise que, dans ce domaine, des actions ont déjà été engagées par le délégué général pour l’armement et que la première des réformes a concerné la DGA elle-même ; cette réforme ayant été annoncée elle est, aujourd’hui, déclinée.
Le deuxième défi qu’il convient de relever est celui de la taille des entreprises.
J’ai d’ores et déjà indiqué que, durant les années 1990 à 1995, un pays comme les États-Unis avait procédé à la restructuration de son industrie de défense, ce qui a fait apparaître sur le marché de grands groupes comme Lockheed ou Martin Marietta.
Il est absolument indispensable, si l’Europe et la France veulent conserver leur autonomie et leur indépendance, qu’émergent des groupes pouvant faire face à cette concurrence en renforçant leur compétitivité sur le marché mondial.
C’est la raison pour laquelle le président de la République a annoncé un certain nombre de restructurations qui relèvent de la compétence de l’État. C’est également la raison pour laquelle des actions de redressement ont été engagées dans les entreprises dépendant directement du ministère de la Défense.
Si vous le permettez, je traiterai brièvement, tout d’abord, de la fusion entre Dassault et Aérospatiale, ensuite de la privatisation du groupe Thomson, enfin des questions relatives à la direction des constructions navales et à GIAT-Industries, qui suscitent aujourd’hui un certain nombre d’interrogations dans les bassins d’emplois ou dans des localités.
La fusion Dassault-Aérospatiale est aujourd’hui programmée, ses modalités seront arrêtées au 1er janvier 1997. Elle doit permettre à la France de disposer d’un pôle aéronautique à la hauteur de ses ambitions et d’assumer ses responsabilités dans le cadre de l’industrie européenne.
Vous savez que cela revêt une importance tout à fait significative, par exemple avec l’avion de transport futur.
Pour ce qui est de la privatisation du groupe Thomson, le gouvernement a exprimé sa préférence pour l’offre du groupe Lagardère. Cette solution répond en effet à l’objectif de création d’un grand pôle européen de l’électronique de défense.
Les complémentarités industrielles, technologiques et commerciales qui existent entre les activités de Matra et de Thomson-CSF permettront au nouvel ensemble de se placer au tout premier rang mondial de l’électronique professionnelle et des industriels capables de fournir des systèmes d’armes clés en main.
Voilà pour ce qui est de ces deux restructurations, mais il est bien évident que le gouvernement est également conduit aujourd’hui à accompagner le redressement de deux secteurs essentiels, celui des arsenaux navals pour ce qui concerne la DCN, la direction des constructions navales, et celui des arsenaux terrestres pour ce qui concerne GIAT-Industries.
Ces deux entités présentent, je n’y reviendrai pas, des situations préoccupantes. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a engagé des efforts de redressement, de redéploiement et de reconquête.
Ainsi, s’il n’est pas porté remède à la situation de la DCN, ce sera sa perte ; GIAT-Industries supporte pour sa part une perte cumulée de près de douze milliards de francs, et il est absolument indispensable, là aussi, d’amorcer un redressement.
Une concertation large et approfondie avec les partenaires sociaux a permis d’engager des transformations profondes.
C’est par un redéploiement volontariste que GIAT-Industries retrouvera le chemin de la compétitivité et conquerra des marchés nouveaux à la mesure de la qualité de ses produits.
Quant à la direction des constructions navales, notre ambition est, vous le savez, de lui voir conquérir 20 % à 30 % du marché mondial des bâtiments de guerre et des systèmes de combats navals.
C’est à ce propos-là que je voudrais aborder le troisième défi auquel est confronté notre industrie de défense, je veux parler du défi de la compétitivité pour conquérir des marchés extérieurs.
En effet, il est bien évident que nous ne pourrons avoir une industrie de défense qui soit en mesure tout à la fois de supporter la concurrence de l’industrie américaine et de tenir son rang que s’il y a élargissement du marché de cette industrie. Le marché français n’est plus suffisant étant donné la baisse du budget de la défense, étant donné aussi l’augmentation de la concurrence.
C’est dans cet esprit qu’il a été décidé qu’un plan de soutien à l’exportation des industries aéronautiques et d’armement serait mis en place avant la fin de l’année 1996. Actuellement, les services du ministère y travaillent. À l’issue d’une phase de concertation, des décisions seront prises, et ce avant la fin de l’année, pour permettre à nos industries d’entrer dans la compétition mondiale pour ce qui concerne ce domaine-là.
Je précise d’ailleurs qu’aujourd’hui un délégué a été désigné à cet effet. M. Bruno Durieux, ancien ministre délégué au Commerce extérieur, a pris cette responsabilité, à ma demande. Délégué auprès de moi, il devra prospecter un certain nombre de marchés pour que, ensuite, nous puissions contracter soit avec des pays, soit avec d’autres entreprises industrielles et ainsi élargir le marché de nos industries d’armement.
Après avoir évoqué les aspects nationaux de la réforme de notre défense, j’en viens à la démarche européenne et atlantique. C’est le quatrième point de la réforme.
La défense nationale ne sera ni indépendante ni autonome si elle ne prend pas en compte la dimension européenne. Je voudrais vous donner quelques illustrations de cette réalité qui découle directement des sommets franco-allemands qui se sont tenus durant l’année écoulée, qu’il s’agisse de celui de Baden-Baden ou de celui de Dijon.
S’agissant de la prévention, qui constitue la première mission que doivent assumer nos armées, il est bien évident qu’elle ne peut être assurée aujourd’hui par les seules forces prépositionnées à l’extérieur ou par des services de renseignement, aussi bons soient-ils : il est absolument indispensable qu’elle se fonde sur l’observation satellitaire afin de permettre la surveillance permanente des théâtres d’opération ou des théâtres extérieurs.
La France a pris des initiatives dans ce domaine puisque c’est elle qui, avec l’Italie et l’Espagne, est à l’origine du programme Hélios 1. Aujourd’hui, elle a décidé de promouvoir avec ses partenaires allemands le programme Hélios 2 ainsi que le programme de satellite radar Horus pour se doter et doter l’Europe de moyens d’observation et de prévention à la hauteur d’une puissance indépendante.
C’est la première illustration de la nécessité d’une démarche européenne.
La deuxième illustration de cette nécessité se situe au niveau de l’industrie européenne de défense.
Il est bien évident que si l’on veut, aujourd’hui, être à la hauteur face à la compétition américaine, il est absolument indispensable de constituer des pôles européens en matière de défense.
C’est dans cet esprit-là que la France, au Groupe d’armement de l’Europe occidentale à Madrid, voilà quelques mois, avait proposé la constitution d’une agence européenne de l’armement. Cette idée n’ayant pas été retenue, nous avons décidé à Baden-Baden la mise sur pied d’une agence franco-allemande de l’armement, qui est en cours de définition. Elle doit recevoir comme nouveaux pays adhérents la Grande-Bretagne et l’Italie. Cela montre que la démarche française a été couronnée de succès, même si l’agence franco-allemande de l’armement n’est pas celle qui avait été proposée initialement par la France.
La troisième illustration est la constitution ou le renforcement de forces européennes, qu’il s’agisse du corps européen, d’Euromarfor, d’Eurofor ou de la brigade franco-allemande. La France continue à souhaiter le renforcement de ces structures pour permettre une présence effective de l’Europe sur les plans stratégique et militaire.
Le débat européen engagé à l’OTAN a pris une tout autre dimension depuis le 5 décembre 1995, date à laquelle la France a fait savoir qu’elle était prête à réfléchir à la rénovation de l’Alliance atlantique si cette dernière prenait en compte l’identité européenne de défense.
Les propositions françaises présentées dans le cadre de l’OTAN et qui sont en cours de discussion dessinent une réforme de l’organisation atlantique d’ampleur sans égale depuis quarante ans.
Un certain nombre de propositions ont été faites et déjà plusieurs résultats ont été obtenus, que je voudrais ici simplement énumérer.
Premièrement, nous avons obtenu la reconnaissance des groupes de forces interarmées multinationales – cela fut la conséquence de la conférence de Berlin – permettant la prise en compte de l’identité européenne de défense dans le cadre d’une Alliance atlantique rénovée.
Deuxièmement, la présence d’un officier général européen désigné par les Européens auprès du Commandement suprême allié en Europe consacrera le poids des Européens au niveau du commandement stratégique de l’Alliance ; cet élément est aujourd’hui accepté, admis.
Troisièmement, la réorganisation en cours des grands commandements permettra de faire face à une grande diversité de crises et de conflits, et aussi d’accueillir, le moment venu, de nouveaux États dans l’Alliance. L’option qui a été retenue est celle de deux commandements pour l’Europe : un commandement sud et un commandement nord.
Enfin, la détermination progressive de tous les éléments d’une chaîne de commandement européenne devrait autoriser les responsables politiques européens à disposer, lorsqu’ils le désirent, des instruments indispensables à la conduite de leur politique.
Il s’agit donc de faire toute sa place à l’affirmation d’une identité européenne dynamique qui se concrétise progressivement sur tout le champ de la politique de défense, qui soit l’expression d’une prise en charge accrue par les Européens de leur propre destin, et ce dans le cadre d’une responsabilité assumée collectivement et de façon indissociable par les Européens et les Américains.
Dans cette nouvelle vision que nous proposons, l’Union de l’Europe occidentale doit devenir, pour les Européens, un organe de responsabilité politique et de direction stratégique des opérations qu’ils conduisent. Elle doit devenir un organe d’évaluation, de décision politico-militaire et de concertation. Enfin, elle doit devenir le creuset des solidarités militaires et stratégiques qui existent entre les Européens.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai exposé les raisons, le calendrier et les objectifs de la réforme de notre défense.
Permettez-moi d’en venir maintenant au projet de budget pour 1997 et de définir la place qu’il occupe dans la réforme lancée par le président de la République.
Je commencerai par les caractéristiques de ce projet de budget. Il respecte, vous pourrez le constater, la démarche qui est inscrite dans la loi de programmation militaire.
Premièrement, le montant du budget du ministère de la Défense pour 1997, tel qu’il est inscrit dans le projet de loi, est égal, et donc conforme, à la première annuité de la loi de programmation.
Deuxièmement, le projet de budget participe à la réduction des dépenses publiques.
Troisièmement, ce projet de budget engage la mise en place de l’armée professionnelle.
Quatrièmement, il poursuit la modernisation de l’équipement de nos forces ; j’y reviendrai dans quelques instants.
Enfin, cinquièmement, ce projet accompagne les restructurations militaires et industrielles.
Tout d’abord, le projet de budget est conforme à la première annuité de la loi de programmation.
Conformément à ladite loi, il s’élève à 190,9 milliards de francs, qui correspondent exactement aux 185 milliards de francs 1995 votés par le Parlement puis actualisés par application de l’indice des prix à la consommation hors tabac.
Conformément à la loi de programmation, ces 190,9 milliards de francs sont des crédits budgétaires inscrits dans la loi de finances initiale, et non plus des crédits disponibles au sens de la précédente loi.
Conformément à la loi de programmation, ces 190,9 milliards de francs se répartissent entre le titre III, pour 102,2 milliards de francs, et les titres V et VI, pour 88,7 milliards de francs.
Conformément, toujours, à la loi de programmation et à la ferme volonté du Sénat, ces crédits ne financeront ni les formes civiles du volontariat, ni le budget civil de recherche et de développement, ni les recapitalisations des entreprises publiques de défense, ni la reconversion des bassins d’emploi concernés par les restructurations, exception faite des crédits inscrits au fonds pour les restructurations de la défense.
Voilà pour ce qui est de la première caractéristique : promesses faites, promesses tenues.
Deuxième caractéristique de ce projet de budget : participer à la réduction des dépenses publiques.
Par rapport aux crédits mis à la disposition du ministère de la Défense en 1996, il diminue en effet de 4,7 milliards de francs, c’est-à-dire de 2,4 %.
Par rapport à la loi de programmation précédente, comme je vous l’ai précisé tout à l’heure, l’enveloppe financière est en retrait de près d’une vingtaine de milliards de francs.
Le projet de budget participe donc à la réduction des dépenses publiques et à l’effort demandé par le Premier ministre pour réduire les déficits publics.
Troisième caractéristique de ce projet de budget : engager la mise sur pied de l’armée professionnelle.
Les effectifs du ministère de la Défense évolueront, en effet, l’année prochaine, selon le rythme fixé par l’article 3 de la loi de programmation et dans les conditions précisées dans le rapport qui lui est annexé.
L’exercice 1997 sera donc marqué par une importante réduction du format des armées. Compte tenu des comptes de commerce, les effectifs de la défense seront en retrait de 26 392 emplois par rapport à 1996, ce qui équivaut à une réduction de 4,4 %.
Cette décroissance s’accompagne, comme cela a été précisé voilà quelques instants, du recrutement de près de 7 700 engagés supplémentaires. La contraction du format de la défense recouvre en effet des évolutions très contrastées selon les catégories de personnel. Si la professionnalisation des armées implique la suppression d’emplois d’appelés et de sous-officiers chargés de les encadrer, elle entraînera parallèlement le recrutement de 48 000 militaires du rang engagés supplémentaires au cours des six prochaines années.
Enfin, le projet de budget met en œuvre les mesures d’accompagnement prévues par la loi de programmation.
J’aurai l’honneur de vous présenter dans quelques jours les mesures législatives destinées à faciliter le départ des militaires, à favoriser leur recrutement et à compenser les effets de la mobilité.
Quatrième caractéristique de ce projet de budget : permettre la poursuite de la modernisation de l’équipement de nos forces.
Doté de 88,7 milliards de francs, le budget d’équipement du ministère de la Défense autorise le déroulement de tous les programmes au rythme arrêté par la programmation.
La permanence de la dissuasion nucléaire sera assurée avec la poursuite de la construction des sous-marins nucléaires lance-engins de nouvelle génération – les SNLE-NG – à Cherbourg, la poursuite du développement des missiles M51 et le lancement du développement de l’ASMP amélioré.
Les programmes de cohérence interarmées bénéficieront de toute la place qui leur est donnée par la programmation, avec Hélios 2 et Horus, qui seront réalisés en coopération avec l’Allemagne, et les programmes donnant à nos armées de nouvelles capacités de commandement et de communications.
La modernisation des forces classiques sera poursuivie, avec les grands programmes des forces armées que vous connaissez, et dont les échéanciers sont précisés dans le rapport annexe à la loi de programmation.
Cinquième et dernière caractéristique de ce projet de budget : accompagner les restructurations militaires et industrielles.
Comme le prévoit la loi de programmation, un fonds pour l’adaptation industrielle a été mis en place au profit de la DCN et de la restructuration de la direction des applications militaires du CEA.
Comme le prévoit la loi de programmation, le fonds pour les restructurations de la défense bénéficiera, en 1997, de 136 millions de francs de crédits de paiement.
Comme le prévoit la loi de programmation, le ministère de l’Économie et des Finances mobilisera l’année prochaine 192 millions de francs pour les sociétés de conversion.
L’Union européenne apportera son concours avec le programme Konver, dont l’enveloppe a été récemment abondée de 100 millions de francs.
Ce dispositif, ainsi que je l’avais annoncé au Sénat, sera complété par la mise en œuvre d’une nouvelle politique domaniale plus favorable aux collectivités locales concernées par les mesures d’adaptation des armées. Je sais que nombre d’entre vous suivent cette question avec la plus grande attention. C’est la raison pour laquelle je souhaite m’y attarder quelques instants.
Les procédures de cessions immobilières seront modifiées pour être accélérées. À cette fin, les collectivités locales seront informées plusieurs mois avant le départ des armées, les services fiscaux procéderont plus rapidement aux évaluations nécessaires et les biens cédés pourront être remis aux collectivités locales dès que ces dernières auront pris l’engagement de les acquérir.
Par ailleurs, les collectivités locales auront désormais la liberté de choisir la formule la plus adaptée à leurs projets. Une procédure nouvelle, la convention de gestion, sera mise en place. Elle permettra, dans certaines conditions, de mettre à disposition, à titre gratuit des terrains ou des locaux de la défense, tout en donnant aux collectivités bénéficiaires une large liberté de construire ou d’exploiter ces biens immobiliers.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous dire au sujet du projet de budget de mon ministère pour 1997.
La loi de programmation pour les années 1997 à 2002 ayant pu être votée, grâce au Sénat notamment, avant l’été, c’est-à-dire avant la préparation de la loi de finances, l’année 1997 ne sera pas une nouvelle année de transition pour la défense. Je pense que nous pouvons tous nous en féliciter.
Le projet de budget de la défense pour 1997 constitue une première étape essentielle dans le cadre de la mise en œuvre de cette réforme. Pour que celle-ci soit complète, vous aurez cependant à vous prononcer également, mesdames, messieurs les sénateurs, sur deux autres textes majeurs qui concernent l’un le rôle nouveau des réserves, l’autre la réforme du service national.
Le premier projet de loi organisera les réserves de la façon suivante.
Une première réserve de 100 000 postes assumera un rôle opérationnel en matière de projection et de protection du territoire. Une seconde réserve, qui servira de vivier à la première, contribuera à diffuser, dans l’ensemble des secteurs de notre société les valeurs essentielles de l’esprit et de la culture de défense. Cette révolution dans l’emploi et l’importance du rôle dévolu à la réserve va de pair avec une garantie accrue au regard de l’emploi et de la couverture sociale des réservistes.
Elle s’accompagnera d’une forte politique contractuelle avec les employeurs civils, afin d’ancrer fortement le rôle de la réserve dans le renforcement du lien armée-Nation.
Le second projet de loi dont vous aurez a connaître dans quelques semaines porte sur la création d’un rendez-vous citoyen universel et la mise en place des volontariats.
C’est la suite logique de l’option retenue dans la loi de programmation pour une armée professionnelle ; c’est la suite logique de la suppression du service national dans sa forme actuelle ; c’est la suite logique du désir exprimé par nombre d’entre vous, lors du débat sur la loi de programmation, de maintenir un lien entre l’armée et la Nation.
Nous proposons donc l’instauration d’un rendez-vous citoyen obligatoire pour tous les jeunes Français et, à partir de 2002, pour toutes les jeunes Françaises également.
Le rendez-vous citoyen aura trois objets.
D’abord, il permettra au jeune de faire un bilan personnel, professionnel, médical et social. À partir de là, on pourra déterminer si tel ou tel a un handicap, si tel ou tel n’a pas reçu la formation souhaitée pour affronter la vie professionnelle. À cette occasion, la communauté nationale pourra offrir une seconde chance à sa jeunesse, en permettant, par exemple, aux illettrés de suivre une formation ou ceux qui, malheureusement, ont un handicap physique, d’être soignés.
Le deuxième objet de ce rendez-vous citoyen sera de délivrer une instruction civique conçue comme l’aboutissement d’un parcours qui aura commencé dans le système éducatif. Cette instruction civique sera effectuée non pas d’une manière didactique ou classique mais par l’intermédiaire de témoignages rendus par celles et ceux qui participent à la vie citoyenne dans leur métier ou leur engagement.
Le troisième objet de ce rendez-vous citoyen sera d’informer les jeunes sur les différentes formes de volontariat auxquelles ils pourront participer pour se mettre au service de la communauté nationale, soit dans le domaine de la sécurité et de la défense, soit dans le domaine de la solidarité et de l’aide aux plus déshérités, soit dans le domaine de l’humanitaire et de la coopération internationale.
Ce rendez-vous citoyen pourra donc être suivi d’un volontariat qui fera l’objet de plusieurs articles dans le projet de loi qui vous sera soumis. Je n’insisterai pas plus avant sur ces questions puisque nous aurons l’occasion d’en débattre.
Nous sommes engagés non pas dans une réforme technique, une réforme spécifique, une réforme de spécialistes, mais dans une réforme de société, réforme qui nous conduira à nous interroger sur les liens devant exister entre l’armée et la Nation, entre la Nation et sa jeunesse.
Nous nous poserons également des questions sur le civisme, sur l’indépendance nationale et sur l’autonomie de notre pays en matière de défense. Nous nous interrogerons pour savoir s’il est possible de concilier indépendance nationale et construction européenne. Nous devrons répondre à l’interrogation que certains se posent sur la compatibilité entre l’Alliance atlantique et la construction européenne. Nous devrons intégrer la dimension de l’aménagement du territoire dans le cadre des restructurations militaires et industrielles.
Telle est la réalité de la réforme que nous avons à mettre en place.
Cette réforme exige – et ce sera ma conclusion – une volonté, une méthode, un esprit.
Cette volonté a été exprimée avec force le 22 février 1996 par le président de la République, qui a tracé les orientations, défini les objectifs et fait part de sa conception de la défense de notre pays. Depuis cette date, il a manifesté cette volonté à plusieurs reprises, soit devant les cadres militaires, soit lors de ses différentes interventions devant les Français. Je souhaite que cette volonté soit relayée par les parlementaires, députés et sénateurs.
Cette réforme exige aussi une méthode qui repose, comme je l’ai dit, sur un triptyque : clarification, concertation et décision.
Je n’insisterai que sur un aspect, la concertation.
Vous avez pu le constater, aucune des décisions concernant la réforme de la défense n’a été prise dans l’isolement ou la solitude. Elles ont toutes été prises en concertation avec les personnes intéressées, et je voudrais rendre un hommage tout particulier à la communauté militaire et aux personnels civils de la défense pour leur sens de l’intérêt national. En effet, si tous ont été associés à la réflexion, à la définition des objectifs, à la mise en œuvre des moyens, il n’en demeure pas moins qu’ils sont en train de vivre la plus grande réforme de la défense que notre pays ait connue depuis trente ou quarante ans et qu’ils le font avec un sens de l’intérêt général tout à fait remarquable dont pourraient s’inspirer bien des groupes, bien des corporations de notre pays.
Quant à l’esprit de défense, il va bien au-delà de l’outil de défense que nous sommes en train de réformer ; il va bien au-delà de la technique ou de la méthode qui est utilisée pour permettre à notre pays d’acquérir une indépendance en matière de défense. Il exige une prise en compte des valeurs de notre société, car ce que nous voulons mettre en œuvre à travers le volontariat, à travers le rendez-vous citoyen, vous l’avez bien compris, c’est une réforme de la société qui engage chaque citoyen, qui engage la Nation tout entière.