Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la restitution par l'Allemagne d’œuvres d'art enlevées en France pendant la deuxième guerre mondiale, Paris le 6 novembre 1996.

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Circonstance : Remise d'une oeuvre d'art (Pastel de Lhermitte) à ses héritiers à Paris le 6 novembre 1996

Texte intégral

La cérémonie qui nous réunit ce midi, la remise d’un pastel à ses légitimes propriétaires, revêt une grande importance. Au-delà de la qualité de l’œuvre d’art, la charge symbolique de ce geste est forte car il touche à la fois à notre histoire, dans ses moments les plus sombres, et à l’histoire qui s’écrit aujourd’hui grâce à la coopération franco-allemande et à la construction européenne.

Il touche aussi au rôle de l’État que se doit de ne pas oublier, de défendre les personnes et de veiller au mieux à l’intérêt des familles spoliées de leurs biens pendant la Deuxième Guerre mondiale, en un mot de rendre justice. Ce qui s’est passé la semaine dernière à Vienne, ce dont on parle en Suisse, nous incite, si besoin était, à une vigilance permanente. C’est pourquoi, sans attendre cette actualité immédiate, dès que j’ai appris que le gouvernement français était en mesure de rétrocéder une œuvre d’art spoliée, j’ai souhaité, chère Madame Carvailho, vous remettre permettre ce pastel de Lhermitte, « les Glaneuses », qui provient de votre famille.

Cette œuvre fait partie d’un ensemble de vingt-huit tableaux retrouvés à la Galerie nationale de Berlin et restitués en 1994 par la République fédérale d’Allemagne. Le long périple de ces œuvres mérite d’être conté. Il est témoin de cette histoire et des efforts consentis pour restituer les biens culturels.

En 1972, Monseigneur Henrich Solbach de l’archevêché de Magdebourg remettait au représentant des Musées d’État de Berlin un ensemble de 28 tableaux essentiellement constitué de peintures et dessins des XIXe et début du XXe siècles (Delacroix, Corot, Millet, Manet, Monet, Renoir, Seurat, etc.) qui furent déposés dans les collections de la Galerie nationale de Berlin-Est.

Ces œuvres avaient été remises (à la fin de la guerre) par un officier allemand en poste à Paris, à un soldat de la Wehrmacht avec, pour mission, de les emporter en Allemagne où l’officier devait venir les récupérer après la guerre, celui-ci ne s’étant jamais manifesté, l’ex-soldat trouva plus judicieux de les remettre sous le secret de la confession au prélat qui a demandé que ces tableaux soient restitués à leurs véritables propriétaires.

Des négociations furent en ce sens engagées par le ministère des affaires étrangères en 1974, sans succès.

Après la réunification de l’Allemagne et dès la création, en 1992, du groupe de travail franco-allemand pour les biens culturels, la liste de ces tableaux fut de nouveau présentée à la délégation allemande.

À la suite des négociations menées par le ministère des affaires étrangères, un accord avec les autorités allemandes fut conclu pour le retour à la France des vingt-huit tableaux. Le chancelier fédéral remit, à titre symbolique, au président de la République, lors du 63e sommet franco-allemand des 30 et 31 mai 1994 à Mulhouse, l’une de ces œuvres, une peinture de Monet, « Route de Louveciennes ».

Entre-temps, les recherches entreprises par la direction des archives et de la documentation du ministère des affaires étrangères dans le cadre de ce groupe de travail permirent d’identifier rapidement les propriétaires des 7 de 28 dessins et peintures (2 Corot, 2 Cross, 2 Harpignies, 1 Gauguin appartenant à deux familles).

L’une des œuvres avait été enlevée d’un garde-meubles où elle avait été déposée par la famille avec d’autres objets d’art pendant la guerre. Les six autres œuvres avaient été volées par un membre de la Gestapo à une famille dont il avait réquisitionné l’hôtel.

Lors de l’exposition organisée au musée d’Orsay, en octobre 1994, dans le but de permettre aux éventuels propriétaires de se faire connaître, Mme Carvailho reconnut le pastel de Lhermitte et en demanda la remise. En effet, celui-ci avait été enlevé, avec bien d’autres œuvres d’art, au cours de l’occupation de la propriété familiale par les aviateurs allemands dont la base était à Villacoublay.

Des recherches longues et difficiles, entreprises de part et d’autres pour s’assurer de l’origine du tableau, me permettent enfin de vous remettre ce pastel.

Quant aux œuvres dont les propriétaires n’ont pu être identifiés, elles ont été confiées à la garde de la direction des musées de France par le ministère des affaires étrangères, en attendant que d’éventuels propriétaires se manifestent et que les recherches dans les archives permettent d’authentifier leurs demandes ou que des recherches complémentaires aboutissent à l’identification de propriétaires jusqu’alors inconnus.

À cette occasion, je tiens à souligner le très grand travail de recherche de la direction des archives et de la documentation à qui j’avais demandé de faire tout son possible pour retrouver les informations susceptibles de faire avancer le dossier. L’excellente collaboration avec la direction des musées de France, a également permis de mener à bien cette recherche. Dès aujourd’hui, celle-ci met sur internet la liste des quelque 2 000 œuvres spoliées et récupérées enregistrées à ce qu’on appelle le MNR (Musées nationaux récupération).

Je tiens enfin à souligner une nouvelle fois que tout cela est rendu possible par l’excellence de la coopération franco-allemande.

Cette remise d’aujourd’hui a donc, à tous égards, une valeur de symbole. Elle marque la volonté du gouvernement français, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour continuer les recherches de biens culturels spoliés pendant la Deuxième Guerre mondiale et de les restituer à ses légitimes propriétaires.

J’ai donc le très grand plaisir de vous remettre officiellement le pastel qui vous appartient.

Puisse ce retour au bercail de l’œuvre perdu être suivi de bien d’autres.