Texte intégral
RMC : mardi 19 novembre 1996
P. Lapousterle : Les routes sont bloquées ce matin. La rencontre entre les salariés des entreprises de transport et B. Pons, le ministre, ne s’est pas très bien passée hier. Jusqu’à quand la grève ?
L. Viannet : Ce sont les routiers qui vont décider mais la première chose qu’il faut, je crois, souligner, c’est à quel point cette lutte est légitime. Moi, je rappelle que dans les négociations qui avaient eu lieu il y a quelques années, le Gouvernement était engagé. Et le Gouvernement, manifestement, ne fait rien pour faire respecter la législation, pour faire respecter les horaires de travail, pour faire respecter les conditions de travail normales. On considère légitime que les patrons routiers, que les grandes compagnies fassent pression sur le Gouvernement pour obtenir un fuel détaxé mais si les camions roulent, c’est parce qu’ils sont conduits par des hommes – il y a très peu de femmes – mais par des hommes qui ont des conditions de vie et de travail absolument épouvantables. Et moi, je pense qu’aussi bien les employeurs que le Gouvernement ont sous-estimé trop longtemps la profondeur du mécontentement. Et maintenant, les exigences qui montent, il va falloir y répondre.
P. Lapousterle : Le ministre a répondu, hier, que la solution était autant à Bruxelles qu’à Paris, dans cette affaire.
L. Viannet : Eh bien, que le Gouvernement se fasse entendre à Bruxelles ! Ce n’est pas seulement sur ce dossier-là d’ailleurs que le Gouvernement plie devant les injonctions de Bruxelles. C’est maintenant un comportement systématique ! Moi, j’ai déjà eu l’occasion de dire que si le Président de la République, par exemple, avait défendu et défendait le service public à la française autant que J. Major défend son cheptel, sans doute l’autorité de la France pèserait plus dans les discussions de Bruxelles. Eh bien, sur ce dossier c’est pareil !
P. Lapousterle : Vous voulez dire que les fonctionnaires français ne valent pas les veaux anglais ?
L. Viannet : Quand on voit certains positionnements, on peut se poser la question !
P. Lapousterle : Pour en venir aux manifestations contre le plan Juppé, organisées samedi dernier : n’êtes-vous pas déçu, parce qu’il n’y avait ni beaucoup de monde ni beaucoup d’enthousiasme ?
L. Viannet : Moi, je veux admettre qu’il y a eu des rassemblements diversifiés. Mais je crois qu’on aurait tort de ne pas voir ce que signifie la force d’une manifestation comme celle qui a eu lieu à Lannion en Bretagne, comme celle qui a eu lieu à Caen dans le Calvados, comme celle qui a eu lieu à Aurillac dans le Cantal. Je pense que cette semaine d’action a confirmé que la combativité est toujours présente et qu’en définitive, si véritablement nous parvenons à dépasser les difficultés qui existent entre les organisations syndicales et à faire converger des objectifs autour desquels les gens se sentiront aptes à construire quelque chose de grand, quelque chose peut se faire et nous allons nous y employer. Ne nous trompons pas en regardant le thermomètre, quand on voit la rapidité avec laquelle la situation se dégrade dans le domaine de l’emploi. Rien que cette nuit, les dépêches qui tombent font état de 30 000 suppressions d’emplois dans le bâtiment, de la direction d’EDF et GDF qui annonce plusieurs milliers de suppressions d’emplois sur les cinq ou six années qui viennent et tout cela intervenant après la déclaration des deux PDG des groupes automobiles demandant 40 000 suppressions d’emplois pour les années à venir. Tout cela intervenant après l’annonce de la fusion entre le groupe Axa et UAP et tous les bouleversements que cela annonce aussi bien dans le secteur des assurances que des banques. Comment va-t-on nous faire croire qu’une fusion pareille ne va pas de se traduire par une rationalisation des postes de travail et une suppression d’effectifs ? Eh bien, ce sont tous ces éléments-là qui, cumulés, vont d’abord faire exploser les pronostics et prévisions concernant l’évolution de la protection sociale et montrer la nocivité du plan Juppé. Et deuxièmement, vont permettre de cristalliser justement les mécontentements qui sont d’autant plus virulents qu’ils s’accompagnent maintenant d’une angoisse de plus en plus forte.
P. Lapousterle : Comment se fait-il que le désordre syndical soit à son maximum depuis longtemps ? On entend M. Blondel se moquer de vous, Mme Notat dire que vous la traitez mal. C’est quand même troublant, non ?
L. Viannet : Je ne relève que les arguments qui méritent d’être relevés. Et je pense que lorsque N. Notat, par exemple, dit qu’il faut en arriver à des rapports civilisés, ce qui me paraît la moindre des choses entre organisations syndicales, et qu’elle accompagne ce commentaire en accusant la CGT de faire des « filouteries », ce n’est pas tout à fait le bon chemin pour aller vers des rapports civilisés ! Ceci étant, quelles que soient les péripéties et les petites phrases, la CGT continuera à se battre pour dépasser ce genre de comportement politicien et faire en sorte que les salariés puissent se retrouver ensemble pour se faire entendre. C’est vraiment une nécessité maintenant impérieuse et urgente.
P. Lapousterle : Tout à l’heure, vous allez vous réunir précisément, syndicats et patronat, pour parler de l’Unedic. Il s’agit de savoir ce que l’on va faire des excédents de l’assurance-chômage parce qu’il y a des excédents à l’assurance-chômage. Que voulez-vous que l’on fasse des excédents de cette année et des 13 milliards d’excédent prévus pour l’an prochain ?
L. Viannet : Premièrement, il faut d’abord regarder d’où viennent ces excédents. Ces excédents proviennent de la réduction des indemnités et du champ de couverture, c’est-à-dire qu’ils proviennent de sommes que l’on a enlevées, prélevées aux chômeurs. C’est la première exigence de la CGT : il faut rétablir les chômeurs dans leurs droits. Premièrement, il y a actuellement un chômeur sur deux qui n’est pas indemnisé et il faut regarder ce problème en face parce qu’il peut être générateur de situations très graves. On ne peut pas tolérer que cela dure plus longtemps. Deuxièmement, le niveau d’indemnité du chômage doit être absolument amélioré et il faut faire en sorte que ces gens-là puissent vivre. On a instauré un problème de dégressivité de l’indemnisation avec une accélération telle qu’aujourd’hui, on ne peut plus parler d’une assurance-chômage qui soit au niveau des drames que vivent ces hommes et ces femmes.
P. Lapousterle : Donc, pas de baisse de cotisations ?
L. Viannet : Non seulement le problème n’est pas de baisser les cotisations mais le problème est de réfléchir à des modalités de pénalité pour les entreprises qui fondent toute leur stratégie sur des suppressions d’emplois.
P. Lapousterle : Et que se passera-t-il si les patrons ne sont pas d’accord tout à l’heure ?
L. Viannet : Cela fait déjà trois mois que le patronat a dit très ouvertement que son objectif essentiel est de faire baisser les cotisations. De la même façon, le forcing que fait aujourd’hui le patronat à l’égard du Gouvernement, c’est d’aller encore plus loin dans les exonérations de charges dont chacun sait aujourd’hui, parce que la preuve en est faite, que cela ne crée pas la moitié d’un iota d’emploi.
Date : mardi 19 novembre 1996
Source : Europe 1
Europe 1 : Quel est le sens que la CGT veut donner à sa journée de demain : journée d’action et de solidarité avec les chauffeurs routiers en grève ?
L. Viannet : Eh bien, l’intransigeance du patronat routier, et disons, une certaine complaisance du Gouvernement fait de la solidarité syndicale, un devoir fondamental. Quand on regarde la façon dont les choses se déroulent avec un patronat qui est particulièrement intransigeant sur la base de conceptions d’un autre âge, un patronat a qui il n’est pas possible de faire confiance alors que les accords précédents n’ont jamais été respectés et que, quotidiennement, il impose des conditions de travail indignes, alors la nécessité est effectivement de faire grandir le mouvement social. C’est dans l’intérêt des routiers, car c’est les aider à être plus forts dans les négociations. Mais c’est aussi l’intérêt de tout le monde, parce que si les routiers ne parviennent pas à faire reculer le patronat, c’est l’ensemble des luttes sociales qui vont se trouver, sinon affaiblies, tout au moins confrontées à des difficultés plus grandes.
Europe 1 : Vous ne vous sentez pas visé quand le ministre, J. Barrot, déclare qu’il y a des gens qui ont des arrières pensées en voulant agrandir le mouvement ?
L. Viannet : Écoutez, je ne suis pas sûr que J. Barrot soit bien placé pour parler de cette façon. À l’évidence, la responsabilité du Gouvernement est engagée et je pense que ce n’est pas aider à la solution des problèmes que posent les routiers, que de parler d’avancées dans les négociations alors qu’il n’y a rien sur les salaires, rien sur le paiement des heures travaillées, rien sur la retraite à 55 ans, et que les seules concessions concrètes qui ont été annoncées pour le moment par le Gouvernement, c’est la baisse des charges sociales ? Autrement dit, on va se trouver dans cette situation aberrante où se sont les routiers qui font grève, et c’est au patronat que l’on va faire des cadeaux.
Europe 1 : Les autres syndicats n’ont pas l’air de venir avec vous, demain, pour cette journée d’action. N. Notat dit que ceux qui veulent généraliser le conflit risque d’amener les routiers à être « les dindons de la farce ».
L. Viannet : Je ne peux que vous répétez que, si on donne le sentiment que l’on laisse les routiers isolés, c’est l’intransigeance patronale qui va se trouver renforcée. Je me félicite que, déjà, dans un certain nombre de départements, il y ait des accords unitaires pour la journée de demain, de façon à ce que la solidarité s’exprime de la façon la plus importante qui soit.
Europe 1 : On est fin novembre, on se souvient de l’année d dernière. Pensez-vous que l’on se retrouve dans le même cas de figure ?
L. Viannet : Je pense surtout qu’un certain nombre de problèmes qui étaient posés sur la table au moment du mouvement de novembre-décembre restent toujours sur la table et, qu’en définitive, on est en présence de choix gouvernementaux et de stratégies de gestion des entreprises qui, forcément, vont continuer de nourrir les conflits sociaux dans la mesure où la situation des salariés continue de s’aggraver.