Article de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "Defence review" de l'automne 1996, sur la conception française de la future architecture européenne de défense.

Prononcé le 1er octobre 1996

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Média : Defence Review - Presse étrangère

Texte intégral

La question de la sécurité du continent européen a toujours constitué une préoccupation fondamentale pour nos gouvernements. Mais elle revêt aujourd'hui une importance particulière car nous sommes aujourd'hui parvenus à un carrefour. Un certain nombre de perspectives se dessinent en effet, qui préfigurent ce que pourrait être – pour de longues années – l'architecture européenne de sécurité : l'élargissement à l'Est de l'Union européenne et de  l’Alliance, la rénovation des structures de cette dernière, la redéfinition du rôle de l'UEO, le renforcement de l'OSCE et l'établissement d’un partenariat de sécurité avec la Russie. Les mois et les années qui viennent seront donc décisives et nos États doivent s'engager de manière volontariste dans la construction d’un équilibre de paix durable en Europe.

Ambitieuse et globale, l'approche française obéit à un grand dessein, tout en étant profondément imprégnée de pragmatisme.

Le grand dessein, c'est la poursuite de la construction européenne dans le champ politique et l'affirmation progressive d’une Europe de la défense, tout en renforçant la relation transatlantique, essentielle pour la sécurité de notre continent. À cet effet, l'Union européenne doit se doter des moyens lui permettant d’être une puissance respectée et l'identité européenne de sécurité et de défense doit s'affirmer au sein d’une Alliance atlantique rénovée.

Le grand dessein, c'est aussi la création d'une architecture pan-européenne de sécurité, faisant une juste place aux intérêts de sécurité des pays jouant un rôle particulier dans le concert européen, la Russie et l'Ukraine.

La France souhaite donc à la fois préserver et renforcer les capacités de défense collective des alliés et instaurer, à l'échelle du continent, des mécanismes de sécurité efficaces, dont personne ne serait exclu. Ces deux ambitions sont pour nous indissociables.

Le pragmatisme, c'est notre volonté de bâtir ce cadre pas à pas, en s'appuyant sur les organisations existantes qui ont fait leur preuve : l'Union européenne, l'OTAN, l'UEO et l'OSCE. Mais ces institutions devront être adaptées à la nouvelle donne politico-stratégique en Europe et leurs relations mutuelles devront être redéfinies afin de parvenir à une architecture européenne de sécurité véritablement cohérente. Nous devrons aussi tenir compte de contraintes budgétaires qui s'imposent à tous et éviter toute duplication inutile des structures.

C'est en fonction de ces grands principes que la France a fixé ses objectifs prioritaires en matière de sécurité européenne :
– faire aboutir la rénovation de  l’Alliance atlantique, instrument essentiel de la sécurité en Europe et incarnation du lien transatlantique, par la mise en œuvre des décisions de Berlin.  Nous voulons une OTAN modernisée, plus souple, moins coûteuse, mais conservant toute son efficacité militaire dans le nouveau contexte stratégique. Cette alliance rénovée devra faire toute sa place à l'identité européenne de défense et de sécurité, en liaison avec l’UEO chargée de la direction politique et du commandement stratégique d'opérations placées sous responsabilité européenne. Une telle rénovation de  l’Alliance permettra de rééquilibrer et renforcer durablement le lien de sécurité qui nous unit à nos alliés nord-américains. Elle facilitera enfin l’entrée de nouveaux membres dans  l’Alliance.

Conduire avec succès l'élargissement à l'Est de  l’Alliance et de l'Union européenne. Ces deux processus s'inscrivent dans un même mouvement : celui de la reconstitution de la famille des États européens. Les modalités de l'extension de ces organisations seront certes différentes, en raison de leurs caractéristiques propres et des particularités des pays candidats ; mais une approche globale demeure pour nous essentielle. La nouvelle architecture européenne de sécurité ne peut se borner à un élargissement limité de l'OTAN.

C'est en effet la sécurité de tous qui doit être garantie en Europe. C'est dans cet esprit que le Président de la République française a avancé l'idée d'une charte ou d'un traité de sécurité engageant dans le cadre d'une OSCE renforcée, l'ensemble des pays européens.

Par ailleurs, le prochain sommet de l’Alliance devrait selon nous permettre l'entrée de nouveaux membres au sein de l’Alliance et apporter une réponse aux besoins de sécurité des États qui ne pourraient pas, au moins dans l'immédiat, y adhérer. Il devrait enfin permettre d'établir, sous forme d'un acte solennel, les conditions et les modalités d’une coopération renforcée avec la Russie et l'Ukraine. Il doit être en effet clair que l'élargissement de l'OTAN n'est dirigé contre personne : il s'inscrit naturellement dans la nouvelle architecture européenne de sécurité.

Enfin, faire de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne un succès marquant un progrès réel dans la construction européenne. L'Europe doit désormais disposer d'une influence politique et de moyens en matière de sécurité à la hauteur de sa puissance économique.

À cet effet, l'UEO, bras armé de l'Union européenne, doit pouvoir mener sous sa responsabilité des opérations militaires européennes y compris avec des moyens de l’Alliance. Elle doit pour cela développer des capacités autonomes d'aide à la décision telles que la cellule de planification, le centre de renseignement, le centre satellitaire de Torrejon ainsi que des capacités de projection. Le rapprochement de 1'UEO et de l'Union européenne doit être accéléré, dans la perspective d'une fusion, à terme, des deux institutions.

Au sein de l'Union, la compétence du Conseil européen pour définir les principes, orientations et priorités de la politique de défense commune doit être affirmée ; le processus de décision de l'Union européenne doit être rendu plus efficace ; enfin, une clause de solidarité politique engageant les Quinze, doit être introduite dans le Traité.

L'Europe de la défense, c'est aussi pour nous la recherche d'une réelle complémentarité entre nos industries de défense, aujourd'hui en cours de restructuration. Afin de faire face à la diminution des budgets militaires et à l'intensification de la concurrence mondiale dans le domaine de l'armement, l'Europe doit en effet disposer d'une base industrielle et technologique performante, permettant à nos forces années d'acquérir leurs équipements au meilleur rapport coût-efficacité.

La conception française de la future architecture européenne est ambitieuse, car ce sont les intérêts essentiels de nos peuples qui sont en jeu. Notre continent a connu les pires épreuves au cours du siècle qui s'achève : il nous appartient aujourd'hui de crier ensemble les fondements solides d'une Europe forte et d'une Europe de la paix, pour le siècle qui s'ouvre.