Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "Achkhar" du 29 octobre 1996 et dans "Les Nouvelles d'Arménie" du 8 novembre, sur le renforcement des liens entre la France et les pays de Transcaucasie et sur le développement de la coopération économique avec l'Arménie.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. de Charette en Russie, en Arménie, en Georgie et en Azerbaïdjan du 8 au 13 octobre 1996.

Média : Achkhar - Les Nouvelles d'Arménie - Presse étrangère

Texte intégral

Entretien au journal Arménien « Achkhar » : 29 octobre 1996

Q. : Quelle impression globale avez-vous retirée de votre visite dans les trois États de Transcaucasie ?

Hervé de Charrette : L’impression dominante est que les États de Transcaucasie, qui renouent avec leur passé, forment un véritable pont entre l’Orient et l’Occident et se présentent comme une nouvelle zone émergente aux fortes potentialités économiques. La France, qui a de réelles affinités avec les trois pays de Transcaucasie, est décidée à développer et renforcer les relations qui l’unissent déjà à l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. J’ai également eu le sentiment que les présidents Ter Petrossian, Aliev et Chevardnadze avaient pleinement conscience de la nécessité d’aboutir à des solutions négociées et acceptées par toutes les parties était comprise, me semble-t-il, comme un préalable indispensable à la stabilisation et au développement économique durables de toute la région.

Q. : Plus singulièrement, quelle impression avez-vous ressentie à la suite de vos entretiens avec les principaux dirigeants arméniens que vous rencontriez pour la première fois dans leur pays, au milieu de leur peuple ?

Hervé de Charrette : Les relations franco-arméniennes sont très particulières. Ces liens doivent beaucoup à la présence en France d’une importante communauté arménienne dont l’enracinement chez nous date de plusieurs générations. Aussi est-ce sur un ton chaleureux et en ami que je me suis entretenu avec les principaux dirigeants arméniens pendant mon premier séjour à Erevan. J’ai noté que mes interlocuteurs étaient très ouverts et très désireux de développer avec la France une coopération dans tous les domaines. Et c’est ce que nous allons faire.

Q. : Au-delà des termes de votre conférence de presse à Erevan, y a-t-il des éléments de vos entretiens qui peuvent avoir été modifiés après votre visité à Bakou ? Par exemple, quant au règlement du différend autour du Haut-Karabakh ?

Hervé de Charrette : La France n’a pas l’intention d’imposer un règlement du conflit du Haut-Karabakh. Nous sommes naturellement disposés à apporter notre contribution pour trouver une solution équitable, juste et durable, qui respecte l’intégrité territoriale des nouveaux États issus de l’URSS, mais aussi la spécificité des populations locales. A cet égard, la prise en compte des aspirations des Arméniens du Haut-Karabakh est une condition sine qua non d’un règlement.

Mais, c’est bien sûr d’abord aux parties elles-mêmes de manifester clairement leur réelle volonté d’aboutir à un règlement politique du conflit du Haut-Karabakh.

Q. : A court ou moyen terme, quelles retombées prévisibles dans les relations franco-arméniennes au plan politique, économique voire culturel ?

Hervé de Charrette : Ma visite à Erevan m’a permis de mesurer les attentes de nos amis arméniens à l’égard de la France. Nous avons de notre côté marqué non seulement notre souhait de renforcer nos relations culturelles, scientifiques et techniques, mais aussi de donner un nouvel élan à la coopération économique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des hommes d’affaires français m’accompagnaient pendant ma visite.

J’espère que les initiatives prises par les entreprises françaises, telles que Thomson et Alcatel, rencontreront un accueil favorable. Il me semble, en effet, que la concrétisation de tels projets entraînera une nouvelle dynamique qui permettre de renforcer davantage les liens d’amitié qui nous unissent à l’Arménie.

J’ai constaté également avec satisfaction un écho à nos propres préoccupations auprès du Premier ministre arménien. Les PME hésitent à se lancer sur les marchés extérieurs. Il importe donc de les aider à s’orienter vers l’exportation. C’est dans cet esprit que nous nous sommes engagés, M. Bagratian et moi-même, à ouvrir davantage le champ de notre coopération économique aux PME-PMI française et arméniennes.

Q. : Des accords ont-ils été conclus ? Le Président Chirac se rendra-t-il prochainement en visite officielle à son tour en Arménie ?

Hervé de Charrette : Comme je vous l’ai dit, des engagements ont été pris lors de ma visite en Arménie. Le Président Ter Petrossian était en visite officielle en France en juillet dernier. Je viens à mon tour de me rendre en Arménie où j’ai eu des contacts très intéressants pour développer notre coopération.

En tout état de cause, je tiens à vous confirmer qu’il y a, tant du côté français que du côté arménien, une réelle volonté de renforcer nos relations et il ne fait guère de doute que me visite sera suivie d’autres visites.


Entretien avec les « Nouvelles d'Arménie » : 8 novembre 1996

Q. : - Quels sont les objectifs que poursuit la France au Caucase ?

Hervé de Charette : Nos objectifs sont clairs. Il s'agit, d'abord de développer et de renforcer les relations politiques, économiques et culturelles qui unissent déjà la France à l'Arménie, la Géorgie et l'Azerbaïdjan. Ma visite dans les trois pays de Transcaucasie a été l'occasion d'afficher cette priorité. Nous avons ensuite naturellement marqué notre disponibilité à rendre service, notre souhait étant une stabilisation durable de la région. Cette stabilisation durable de la région passe bien évidemment par le règlement politique des conflits, qui déchirent depuis trop longtemps cette région. C'est à cette condition que les Etats de la région retrouveront bonheur et prospérité. · Le préalable du règlement des crises de Transcaucasie levé, notre troisième et dernier objectif, certes ambitieux, est de contribuer à la stabilité de l'ensemble de la région, notamment en facilitant son désenclavement et, de ce fait, son développement économique. Pour atteindre ces objectifs, la France n'a pas l'intention d'imposer des solutions. Elle entend seulement répondre si une contribution lui était demandée.

Q. : Dans une interview publiée par « Le Figaro », vous réaffirmez votre soutien au principe de l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan. Est-ce que vous comprenez le Haut Karabakh comme partie intégrante de l'Azerbaïdjan ?

Hervé de Charrette : La France est fermement attachée au respect du droit international et des principes de l'OSCE et, notamment, au respect de l'intégrité territoriale des États issus de l'URSS, au respect des Droits de l'Homme, y compris le droit au retour des réfugiés, à la prise en compte des aspirations des Arméniens du Karabakh : sécurité des Karabakhtsis dans le cadre d'une très large autonomie ; liens sans entraves avec l'Arménie par le couloir de Latchine, qui devra bénéficier d'un statut spécifique.

La France, en tant que membre du Groupe de Minsk, s'efforce de contribuer à trouver une solution à la question du Haut Karabakh. Nous pensons que les efforts de tous ceux qui ont une responsabilité engagée dans cette affaire doivent se rassembler pour permettre de parvenir à une issue qui réponde aux attentes des uns et des autres. Ce n'est évidemment pas une tâche facile. Mais la France se déclare disposée à apporter toute contribution qui permettrait d'accélérer une issue positive.

Q. : A propos du Traité de Lausanne qui, contredisant les termes du Traité de Sèvres, attribuait à la Turquie les territoires de l'Arménie occidentale, Winston Churchill a déclaré : « le sang des Arméniens a pesé moins lourd que le pétrole de Bakou ». Aujourd'hui de quel poids pèse le Karabakh face aux gisements de la Caspienne ?

Hervé de Charrette : Mesurer le poids respectif des pays en fonction de leurs ressources énergétiques me parait une approche partielle. Elle ne prend pas en compte toute la complexité du contexte régional. Il est bien sûr reconnu maintenant que la région de la Caspienne s'annonce comme un nouvel Eldorado pétrolier. Les énormes potentialités de cette région, émergente attirent par conséquent de multiples convoitises. Ce qui est, somme toute, normal. Cependant, le développement économique de cette région, donc celui de la Transcaucasie, repose avant tout sur une stabilité retrouvée où les intérêts de chacun auront été pris en compte. C'est la raison pour laquelle, il nous semble nécessaire de ne pas imposer de solutions, mais au contraire de marquer, de façon désintéressée mais constructive, notre disponibilité à œuvrer à la stabilité régionale en prenant en compte toutes les spécificités de la région.

Q. : Un intellectuel turc, M. Taner Açam, a déclaré que la solution au conflit du Karabakh passe par la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie ; un tel geste pouvant contribuer à décrisper les relations entre les différentes nations de la région, en jetant les bases d'un dialogue plus sincère. Qu'en pensez-vous ? Et que peut faire Paris pour favoriser une initiative en ce sens ?

Hervé de Charrette : Vous savez que peu de pays ont, plus que la France, montré activement leur condamnation des événements de 1915. L'importance de la communauté d'origine arménienne accueillie en France en témoigne.

La France respecte la mémoire des victimes. Elle s'est toujours associée à la commémoration, par les rescapés et leurs descendants, des événements tragiques de 1915. J'ai moi-même, à l'occasion de ce voyage, déposé une gerbe devant le mémorial aux victimes de cette tragédie, qui est un lieu très émouvant.

Mon pays a de longue date appelé la Turquie à se pencher sur sa propre histoire avec lucidité.

Nous considérons aujourd'hui que cette question doit être traitée sans passion. L'Arménie et la Turquie ont toute deux intérêt à renouer un dialogue. Il n'appartient qu'à elles d'en déterminer les modalités.

Q. : En dépit des diverses critiques concernant le bon déroulement des élections présidentielles en Arménie, la France a reconnu la légitimité du président Ter Petrossian. Est-ce que, parmi les raisons qui ont guidé ce choix, il y avait le souci d'éviter de donner du crédit à une opposition arménienne plus radicale sur la question du Karabakh que le président sortant ?

Hervé de Charrette : La France n'a pas l'habitude de prendre position dans les débats internes. Je n'ai donc pas l'intention moi-même d'entrer dans les débats entre la majorité et l'opposition en Arménie.

La France a en revanche constaté que, comme l'a montré la tenue des récentes élections en Arménie, la construction de l'État de droit se poursuit en dépit des difficultés qui ne doivent pas faire renoncer au respect des normes démocratiques. Mon voyage en Arménie a d'ailleurs été l'occasion de dire sans complaisance à nos partenaires arméniens : « si vous voulez vous rapprocher de l'Europe, vous devez vous rapprocher des normes européennes ». Ces propos ont trouvé un écho auprès du président Ter Petrossian. Les quatre députés emprisonnés ont été libérés, dont un à la veille de ma visite, deux pendant et le dernier le 16 octobre. Je constate donc que sur ce point la partie arménienne a respecté ses engagements. Par ailleurs. Le président Ter Petrossian a annoncé que, conformément aux recommandations des observateurs de l'OSCE, il modifierait un certain nombre de dispositions contestables du Code électoral.