Déclaration de M. Raymond Barre, Premier ministre, devant l'Assemblée nationale, à propos de l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic le 3 octobre 1980, Paris le 8 octobre 1980

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Circonstance : Attentat contre la synagogue de la rue Copernic, Paris le 3 octobre 1980

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Notre pays traverse, depuis vendredi dernier, une dure épreuve.
Une dure épreuve, d’abord, pour la sensibilité de chacun d’entre nous. L’inqualifiable forfait dont la synagogue de la rue Copernic a été le théâtre a soulevé dans l’âme de nos compatriotes, en même temps qu’une stupéfaction incrédule, une immense vague de tristesse et d’indignation.

Le terrorisme est un crime sans visage qui, par sa nature même, ne frappe que des innocents. L’horreur qui s’y attache est encore aggravée par le fait que l’attentat visait ceux d’entre nous qui, il y a quarante ans à peine, ont connu des épreuves indicibles. Qui depuis vendredi dernier n’a cessé d’évoquer le long cortège de ces hommes, de ces femmes, et de ces enfants qui, par millions, ont disparu dans la nuit et le brouillard.

Je salue la mémoire des quatre victimes fauchées par cet ignoble attentat.

A nos compatriotes juifs légitimement émus par la renaissance de sentiments et de comportements que nous pensions appartenir à un passé entièrement révolu, j’adresse le témoignage de la sympathie que leur porte, dans cette circonstance tragique, l’ensemble de la Nation, dont personne ne peut, ni ne veut à aucun moment les dissocier.

Une dure épreuve aussi, parce que les criminels, quels qu’ils soient et quels que soient ceux qui les ont inspirés ou qui ont armé leur bras, n’ont pas seulement frappé la France  au cœur. Ils voulaient de toute évidence attenter à son âme. Ils espéraient compromettre son unité, saper les fondements de son système politique, profaner les valeurs auxquelles elle est profondément attachée.

Le racisme qui a inspiré ce geste criminel est la négation même des principes de liberté, d’égalité et de fraternité sur lesquels repose la République. Quelles que soient les formes qu’il prend et les prétextes dont il se couvre, il pose comme principe que les hommes sont différents en nature, que certains sont supérieurs à d’autres, qu’ils doivent être traités de façon inégale, qu’ils ne jouissent pas des mêmes droits. Rien n’est plus contraire à l’image que la France a toujours voulu donner d’elle-même.

De plus, les auteurs de cet acte criminel visaient manifestement à déclencher un processus de violence en chaîne, de manière à compromettre le fonctionnement démocratique de notre société.

Les nations libres n’ont pas d’autre ciment que la volonté de leurs citoyens de vivre ensemble sous la seule autorité de lois qu’ils ont librement choisies. Briser ce consensus, déchirer le contrat qui l’exprime : tel est depuis toujours le but poursuivi par tous ceux qui, s’inspirant d’idéologies diverses ou même opposées, ont pour objectif premier la ruine de la démocratie et de la liberté.

C’est pourquoi je demande, dans les circonstances présentes, à tous les Français et à toutes les Françaises de faire preuve de résolution et de sang-froid. De résolution : en rejetant toutes les formes, même apparemment mineures, mais toujours méprisables, de discrimination raciale ou confessionnelle. Mais aussi de sang-froid en évitant de verser dans l’excès des accusations sans preuve et du soupçon généralisé.

J’ai entendu dire ici ou là que le Gouvernement n’a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévoir et pour prévenir les activités délictueuses des ennemis de notre démocratie. Ces allégations sont diffamatoires et scandaleuses ; je plains ceux qui, pour des raisons partisanes, n’ont pas hésité à les répandre. Qui peut douter des sentiments et de la détermination d’hommes et de femmes qui n’ont jamais donné de gages au racisme et au totalitarisme et qui ne sont pas disposés à en donner !

Toutes les actions conduites par les pouvoirs publics au cours des derniers mois en apportent la preuve, qu’il s’agisse de l’interdiction de réunions à caractère néo-nazi, de poursuites engagées contre les auteurs d’actes de profanation et de violence raciales, de la dissolution d’associations et de groupements d’inspiration raciste et antisémite, de la protection des personnes et des lieux menacés. Ces actions seront poursuivies et renforcées. La Police nationale, qui a toute la confiance du Gouvernement et des Français, s’y emploiera avec la plus grande détermination. Elle montrera ainsi, une fois encore, que dégagée de tout esprit partisan, elle est au service exclusif de la République.

Certes les démocraties sont moins bien armées que les régimes dictatoriaux pour se défendre contre les actes terroristes. Souhaite-t-on pour autant que les citoyens soient systématiquement contrôlés, surveillés, épiés ? Souhaite-t-on que nos libertés soient réduites ou mises en cause ?

La réponse est évidente : pour prix d’une sécurité illusoire, personne ne peut accepter l’arbitraire.

Voici donc la France exposée à une menace que d’autres grandes nations voisines et amies ont connue avant nous. Notre pays saura surmonter cette épreuve. J’en vois le signe dans l’unanimité avec laquelle nos compatriotes rejettent le terrorisme, l’antisémitisme et le racisme. Ils jugeront aussi, j’en suis sûr, avec sévérité les tentatives de récupération que l’on peut malheureusement observer et qui risquent, hélas !  de se retourner contre la cause même que nous entendons tous défendre.

Une enquête est en cours. Elle sera conduite avec la plus grande célérité. Le Gouvernement a pris toutes les dispositions nécessaires à cet effet. Lorsque les coupables auront été découverts, il reviendra à la justice de les punir : les lois de la République leur seront appliquées sans faiblesse.

Je demande solennellement à tous les Français, à quelque confession qu’ils appartiennent, de quelque parti ou  philosophie qu’ils se réclament, de ne pas céder aux provocations, d’où qu’elles viennent, de rester unis dans le respect scrupuleux de nos lois, de se montrer solidaires dans l’épreuve.

Solidaires, comme le sont tous les Français dans leurs travaux quotidiens. Solidaires, comme ils l’ont été hier sur les champs de bataille et dans les camps de la mort. Solidaires, comme ils le seraient demain si le sort de la France l’exigeait.