Interviews de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, dans "L'Humanité" du 12 novembre 1999 et dans "Marianne" du 22, sur les enjeux de la conférence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Préparation de la conférence internationale de l'OMC à Seattle (Etats-Unis) du 30 novembre au 3 décembre 1999

Média : L'Humanité - Marianne

Texte intégral

L'HUMANITÉ - 12 novembre 1999

Q - Vous serez à la conférence ministérielle de Seattle aux côtés du commissaire européen chargé de négocier, Pascal Lamy. Jusqu'à maintenant, les résultats de l'OMC ne paraissent pas probants. Les échanges commerciaux s'accroissent, mais les inégalités se creusent dans le monde, les États-Unis dominent les rapports commerciaux. En défendant l'idée d'inclure de « nouveaux sujets » dans ce cycle de négociations, ne prenez-vous pas le risque de mettre des domaines tels que l'environnement, la santé ou l'éducation sous la soupe directe des marchés ?

François Huwart. Non, je ne pense pas. L'Organisation mondiale du commerce permet un surcroît de croissance, important pour l'emploi. S'il y a besoin de davantage d'accès au marché, celui-ci ne peut pas répondre à tout. Il peut y avoir des excès. C'est pourquoi nous souhaitons réguler et exclure de ce type de démarches commerciales des sujets qui relèvent de la souveraineté des États, comme la diversité culturelle, les services publics ou la santé.
Pour le reste, vouloir introduire de la régulation est le seul moyen dont disposent les États, représentants légitimes de peuples, pour équilibrer le développement sans cesse accru et sans fin de la mondialisation, des firmes multinationales dont les pouvoirs sont de plus en plus importants. Par conséquent, nous devons soutenir les institutions internationales chargées de réguler, de fixer des cadres et sécuriser les investissements dont les entreprises elles-mêmes ont besoin. Il ne s'agit pas de faire de l'OMC le tribunal suprême ou le parlement qui produirait les normes. Les accords multilatéraux sur l'environnement sont des références dont nous devons prendre acte dans le cadre de l'OMC. L'Organisation internationale du travail est compétente pour produire des normes sociales fondamentales. Simplement, pour réguler le commerce mondial, il faut bine parler de ces sujets à l'OMC.

Q - L'Europe a-t-elle le rapport de forces nécessaire pour imposer cette régulation dont vous parlez ?

François Huwart. La position européenne est forte en capacité d'entraîner. J'observe que les États-Unis, avec lesquels nous ne sommes pas systématiquement en conflit comme on voudrait le laisser croire, ont des sujets de désaccord avec les pays en voie de développement. Pour démontrer que notre souci de régulation va dans le sens de l'intérêt de ces pays, il faut faire un effort de pédagogie, s'expliquer, communiquer, envoyer des signes de notre bonne foi. Ils doivent comprendre que notre discours est sincère, et que nous sommes capables, nous l'Union européenne, de proposer, par exemple un meilleur accès de leurs produits à nos marchés.


MARIANNE – 22 au 28 novembre 1999

(…) plus « social » de délocaliser le travail non qualifié au Bangladesh (ou de faire venir de la main-d'oeuvre du Bangladesh) et de ne conserver chez soi, réservé à ses propres ressortissants, que le travail le plus qualifié. La conséquence en est que la croissance mondialisée s'organise alors sur des bases des plus en plus inégalitaires.
Elle s'accompagne d'une financiarisation absolue des processus économiques. Autrement dit, l'argent qui fabrique de l'argent, de façon de plus en plus spéculative, prend partout le pas sur le capital productif qui crée des emplois dans le but de proposer aux consommateurs des marchandises.
Les flux financiers, à la recherche de plus-values fortes et rapides, devenant alors plus importants et plus décisifs que les échanges de marchandises, la santé des nations (en particulier des nations non dominantes) est de moins en moins tributaire de l'état réel de leurs économies ou des sacrifices consentis par leurs peuples, et de plus en plus dépendante de l'humeur des marchés, c'est-à-dire de la spéculation internationale.

Il en résulte que le moteur du développement économique n'est plus le travail transformé en une épargne, qui, elle-même, se transforme en capital productif, mais la spirale des placements abstraits qui recherchent un profit significatif et immédiat ainsi réinjecté dans la machine à faire fructifier le magot. Ce qui, d'ailleurs, tant que le système tourne rond, peut déboucher également sur des créations d'emplois, puisque les profits qui en résultent soutiennent, comme aux États-Unis, la consommation.
En fonction de quoi le capital - sous sa forme financière - est de plus en plus déconnecté du travail : il ne renvoie plus - qu'à lui-même, puisque son principal objectif est sans cesse son auto-valorisation boursière. D'où le fait qu'on n'est plus actionnaire d'une entreprise mais d'un « fonds de placement », qui peut passer d'une entreprise à une autre, sans se fixer jamais.

La primauté de la finance globale (et sa croissance exponentielle), d'un côté, et la tendance à la baisse du coût du travail, de l'autre, ont pour corollaire que les épargnants les plus mobiles s'enrichissent de plus en plus au détriment des salariés ou des exclus non épargnants et sédentaires. Ce creusement, encore jamais atteint, des différences de revenus (paupérisation brutale ici et accumulation d'énormes fortunes là) exacerbe tous les facteurs d'insécurité à l'échelle planétaire et entraîne des phénomènes pervers aussi différents que l'intégrisme et les proliférations sectaires, les dérives criminelles et mafieuses, les affrontements ethniques ou la délinquance, la corruption et l'extension du marché de la drogue.

Parce qu'elle tend à organiser le monde autour des flux financiers dominants, la mondialisation néolibérale induit, en définitive, une restructuration économique de la planète en fonction des impératifs du capital financier anglo-saxon.

Le développement des technologies de l'information, la primauté de plus en plus évidente d'une économie immatérielle, régie par l'instantanéité des rapports espace-temps que sous-tendent des réseaux qu'irriguent des flux et qu'expriment des « symboles », pourraient, dans l'absolu, contribuer à une formidable libération de l'être humain ; mais, dans le cas de la mondialisation néolibérale, cette mutation technologique accélère le processus de déshumanisation des mécanismes économiques et participe d'une exacerbation de tous les phénomènes pervers évoqués plus haut.

En définitive, la mondialisation néolibérale est à l'« universalisme » vraiment « libéral » ce que l'Église triomphante de la « Sainte-Alliance » fut aux enseignements originels des apôtres de Jésus-Christ.


Marianne : Une partie de la gauche plurielle demande au gouvernement et à l'Union européenne d'imposer un moratoire sur la négociation de l'OMC. Qu'en pensez-vous ?

François Huwart : « Les partisans d'un moratoire ont sans doute de bons objectifs, mais sûrement de mauvais moyens. Il est certain que nous devons mieux organiser la mondialisation et en répartir les profits sur tous les pays, les pays en développement en particulier. Mais c'est à l'OMC, en lien avec la Banque mondiale ou la Cnuced (Commission des Nations Unies), par exemple que ce travail doit s'effectuer, pas en interrompant le fonctionnement de l'organisation. Tel est d'ailleurs le souhait des cinq grandes centrales syndicales, qui ont appelé à un nouveau cycle de négociations global, équilibré et équitable - celui que souhaitent le gouvernement français et ses partenaires européens. Si un nouveau cycle de discussions n'est pas lancé à Seattle, ce sont, à terme, surtout les pays en développement et les pays les moins avancés qui en seront victimes. »

Marianne : Les États-Unis ne protègent-ils pas leur marché intérieur ?

- « Il serait exagéré de dire que les États-Unis sont globalement protectionnistes, surtout quand ils connaissent un important déficit commercial. Néanmoins, certaines activités ou certains secteurs sont plus protégés qu'en Europe. C'est d'abord le cas des marchés publics, dans lesquels, soit au niveau fédéral, soit au niveau des États, les législations en vigueur discriminent fortement les entrepreneurs étrangers. Par ailleurs, dans les services, comme dans les assurances, beaucoup d'États américain empêchent l'installation ou le développement de compagnies étrangères. Enfin, dans le domaine des droits de douane, les États-Unis ont, sur certains produits, des barrières à l'entrée extrêmement élevées.