Texte intégral
A. Ardisson : On l'a entendu ce matin, ça bouge beaucoup à la Réunion depuis onze jours, il y a même eu des manifestations dont certaines ont mal tourné avec de « la casse », on peut le dire. Ce que l'on comprend mal, c'est que ces manifestations ont pour objet la suppression d'une sur-rémunération des fonctionnaires pour laquelle vous affirmiez avoir l'accord des partis politiques sur place et même des syndicats ?
J.-J. de Peretti : Oui, c'est un grand débat qui a été lancé, d'abord par les Réunionnais eux-mêmes il y a maintenant plus d'un an. Le Président de la République, lorsqu'il s'est rendu à la Réunion, le 19 mars dernier, pour fêter le cinquantenaire de la départementalisation, avait dit : si c'est un dossier qui doit être ouvert, il peut être ouvert mais avec deux conditions, que l'on ne touche pas aux droits acquis des fonctionnaires en place et deuxièmement, que l'ensemble des marges de manœuvre qui sont dégagées puissent être réutilisées à la Réunion sur des investissements créateurs d'emplois, etc. J'ai consulté pendant plus d'un an, j'ai écouté les uns et les autres, nous avons mis en place un observatoire. Bien sûr il est très difficile d'avoir un consensus sur une réforme comme celle-ci et donc j'avance sur la pointe des pieds et je n'ai fait, lors des dernières assises de la Réunion, que des propositions et ce que je souhaite vivement…
A. Ardisson : « Propositions », pas « décisions » ?
J.-J. de Peretti : Aucune décision. Je n'ai même pas préparé les textes.
A. Ardisson : Tout cela peut être rediscuté ?
J.-J. de Peretti : Bien sûr, tout cela doit être rediscuté. Je l'ai dit à plusieurs reprises : rien ne se fera contre les Réunionnais, c'est leur affaire. Pourquoi ? Parce que cette affaire part du problème du développement économique de la Réunion, du modèle de développement économique. Qu'est-ce qui est au cœur de cette réforme ? Ce n'est pas la fonction publique, c'est le problème du développement économique de la Réunion. Qu'est ce qui est également au cœur de cette réforme ? Ce n'est pas la rémunération de 53 %, c'est le problème de la hausse des prix parce que le système, tel qu'il a été établi, tire les prix vers le haut. Alors bien sûr, il faut également s'attaquer aux mécanismes de formation des prix et faire en sorte que, par exemple, une aile de véhicule automobile, lorsqu'elle est remplacée, ne soit pas payée plus de 300 % plus cher qu'en métropole, ce qui est totalement absurde.
A. Ardisson : Mais les fonctionnaires qui sont là-bas disent : on va nous supprimer nos 53 % et ce n'est pas pour autant qu'ils seront réinjectés dans l'économie locale.
J.-J. de Peretti : Tout le problème est de savoir si l'on va, encore une fois, vers une proposition comme celle-ci, mais je crois qu'encore une fois, et compte tenu des réactions sur place, il faut en rediscuter et que chacun remette bien en ligne et en cohérence son argumentation. Bien sûr, on a des problèmes plus importants, c'est le contrôle. Alors comment faire en sorte que le contrôle du recyclage des marges de manœuvre dégagées bénéficie à la Réunion et notamment à l'insertion professionnelle des jeunes – parce qu'il faut savoir que toute cette idée de réforme et ces propositions tournent autour du problème des jeunes et de l'insertion ? Eh bien, tout simplement avec un contrôle parlementaire. Il faut que le contrôle soit inscrit dans la loi, que la ligne budgétaire soit inscrite au budget du ministère de l'Outre-Mer et, qu'en même temps, ce soit les parlementaires, les élus, les chômeurs, les fonctionnaires – pourquoi pas ? – qui vérifient bien que cet argent est réétudié et réinjecté immédiatement dans le modèle économique et dans le système économique de la Réunion.
A. Ardisson : Cela fait au moins deux ou trois fois que vous employez le terme « il faut en rediscuter ; il faut en discuter », quand les grévistes ou les manifestants vous somment de retirer vos propositions. C'est un peu ce que vous venez de faire quand vous dites qu'il faut en rediscuter ?
J.-J. de Peretti : Eh bien, c'est toute l'ambiguïté. Moi, je ne suis pas attaché particulièrement à un terme mais je trouve totalement absurde de dire : je vais retirer une proposition. Le problème n'est pas là. Le problème est de savoir si l'on veut ou non le statu quo. Or, je n'ai jamais entendu quelqu'un me dire, jusqu'à présent en tous les cas, sur place, qu'il faut le statu quo. Donc, s'il ne faut pas le statu quo – c'est déjà un grand pas en avant –, à ce moment-là, je dis : mettez vos propositions sur la table et discutons-en. Et à ce moment-là, je pense effectivement que si l'on doit rediscuter, on aboutira à des propositions qui ne seront sans doute pas celles que j'ai moi-même proposées mais à des propositions qui, sans générer un consensus sur cette affaire – parce que c'est très difficile d'avoir des consensus – eh bien, permettra d'aller de l'avant dans l'intérêt bien compris de la Réunion.
A. Ardisson : C'est le serpent qui se mord la queue, cette affaire : les fonctionnaires disent : « On veut nous enlever une prime qui correspond au surcoût de la vie » ; vous, vous dites : « On veut enlever une prime parce que cela augmente le coût de la vie ».
J.-J. de Peretti : C'est tout le problème ! Si l'on reconnait aujourd'hui qu'il y a, à la Réunion, un coût de la vie qui est de 20 à 25 % plus cher qu'en métropole, on fout en l'air le système économique de la Réunion. Dans toute la zone, les salaires sont excessivement bas, les prix de revient sont excessivement bas. Donc, le système et le dispositif économiques font que, lorsque vous avez une population avec 40 % de chômeurs, un jeune sur deux de moins de 25 ans au chômage, il faut se réveiller, il faut qu'à la limite, les jeunes eux-mêmes prennent ce problème en main. C'est l'un des points les plus importants et c'est pour cela que je souhaite très vite que l'on reprenne les discussions et que je puisse engager des discussions et un débat, notamment avec les jeunes parce que c'est leur affaire, c'est leur avenir. On peut très bien laisser les choses en l'état. Elles le sont depuis plusieurs années. On peut très bien continuer comme ça. Encore une fois, j'ai dit que je ne veux pas imposer un système. Le Gouvernement a fait des propositions.
A. Ardisson : Ce système est-il ressenti comme une inégalité, sur place, entre fonctionnaires et non fonctionnaires ?
J.-J. de Peretti : Vous avez des gens qui gagnent zéro franc ; vous avez des gens qui sont au RMI ; vous avez des gens qui sont CES ; vous avez des gens qui sont auxiliaires ; vous avez des gens qui ne sont pas titulaires, notamment dans la fonction publique territoriale ; vous avez des auxiliaires, des maîtres auxiliaires qui ne sont pas titulaires, donc qui ne sont pas en totale sur-rémunération, mais qui sont indexés un peu plus que les maîtres auxiliaires ici. Tous ceux-là, on n'y touche pas, on conserve les droits acquis. Et puis, vous avez ceux qui sont surrémunérés. Vous avez une Réunion à 25 ou 30 vitesses. Donc, il y a une harmonisation qui ne se fera pas en un jour mais si l'on tient compte de l'intérêt général, du sentiment de solidarité qui doit s'exprimer, le problème est de savoir si, lorsqu'un fonctionnaire ou un enseignant part à la retraite aujourd'hui, il souhaite être remplacé par deux jeunes ou bien s'il souhaite que le dispositif reste comme cela et qu'un seul jeune le remplace. La deuxième question à poser est de savoir si aujourd'hui, on vit moins bien à la Réunion avec 8 000 francs par mois qu'en région parisienne avec 8 000 francs par mois. En mon âme et conscience, je pense que si, au début de ma carrière, lorsque j'étais enseignant à la faculté de droit, on m'avait proposé à l'époque de partir à la Réunion pour 6 500 francs par mois – c'était ce qu'on gagnait à l'époque – j'y serais tout de suite allé.
A. Ardisson : Vous avez des ennuis aussi en Nouvelle-Calédonie. Là, c'est avec les producteurs de nickel qui vous reprochent de vouloir confisquer les mines, alors que l'Etat reprend ses titres. C'est politique ?
J.-J. de Peretti : C'est devenu un problème politique, mais cela aurait dû se régler de la manière la plus simple : vous êtes un élu quelque part en France ; un investisseur vient vous dire "je peux réaliser une usine si vous mettez à ma disposition les ressources naturelles" ; vous auriez alors autour de vous l'ensemble du Gouvernement, la Datar, tous les experts pour permettre cela. C'est ce qui s'est passé en Nouvelle-Calédonie : le Gouvernement a un devoir, après les accords de Matignon, de rééquilibrage vers le Nord. Le numéro deux du nickel est venu proposer un projet ; Eramet, la société dans laquelle l'Etat est majoritaire et que l'Etat protège – parce que c'est sur place, avec la SLN, 2 200 emplois et qu'il n'est pas du tout question de la spolier – eh bien, l'Etat a proposé un accord équilibré dans lequel il garantit la justesse d'un échange de titres qui permettrait précisément à cet investisseur de réaliser l'usine. Si l'usine ne se fait pas, ces titres reviendraient dans Eramet. S'il y avait simplement un peu de bon sens et une volonté d'aboutir, je pense que le problème serait réglé depuis plusieurs mois.