Texte intégral
L’Humanité - 20 février 1997
Robert Hue : « Avec audace, pour une construction européenne nouvelle »
Soulignant, au cours de son allocution, l'importance au regard de la démocratie d'une consultation des Françaises et des Français, Robert Hue à déclarer notamment : « J'observe de bien curieuses palinodies, de bien étranges revirements chez ceux qui refusent de voir ainsi notre peuple consulté sur son avenir. Souvenez-vous, en effet : il y a quelques temps personne n’avait en haut lieu de mots assez durs pour condamner « l’Europe lointaine », « l’Europe des technocrates », la « bureaucratie bruxelloise ». Et dans tous les discours, on exprimait alors le souci bien-pensant d'une « Europe proche des peuples », d'une « Europe proche des citoyens », dans laquelle ils puissent reconnaître leurs aspirations. Eh bien, comment mieux y satisfaire qu’en consultant notre peuple, précisément à la veille du franchissement d'un pas dont tout le monde s'accorde à reconnaître - même si c'est avec des avis opposés - qu'il va être décisif ?
Une consultation nécessaire est d'actualité. Évoquant « sans volonté polémique, dans un esprit unitaire » l'un des arguments avancés par le PS pour refuser le référendum - on ne peut pas consulter les Français une seconde fois sur ce qu'ils ont déjà tranché -, le secrétaire national du PCF a remarqué : « Il n'est pas vrai de prétendre et d'affirmer de consulter les Françaises et les Français sur la monnaie unique telle qu'elle est conçue aujourd'hui reviendrait au même que de les consulter sur ce qu'ils ont effectivement trancher lors du référendum sur le traité de Maastricht. Car il y a cinq ans, les électeurs se sont prononcés pour une union monétaire étendue à tous les membres de l'Union européenne. Il s'agit aujourd'hui, avec l'euro, de toute autre chose : une monnaie construite sur la disparition des monnaies nationales et réduite à quelques pays - ceux de ce que les Allemands appellent « le noyau dur », qui devront satisfaire à un certain nombre de critères de convergence - et refusée à d'autres États-membres parce qu'il n'y satisferont pas. Ce qui est à l'ordre du jour de la monnaie unique aujourd'hui, ce n'est donc pas l'union monétaire envisagée il y a cinq ans, mais tout au contraire une division monétaire. Une division de l'Europe. Il est donc tout à fait légitime de prétendre que ce qui se prépare est toute autre chose que ce pourquoi les Françaises et les Français se sont prononcés. Il est par ailleurs aujourd'hui question d'un pacte de stabilité, imposé par la banque allemande alors que le traité de Maastricht n'en soufflait mot. On prévoit des sanctions à la clé pour les gouvernements qui refuseraient de se soumettre aux conditions draconiennes de ce pacte. Autrement dit, un véritable carcan, assurant la soumission des peuples aux conditions fixées par les marchés financiers, et annulant par là même toute velléité d'indépendance, tout libre choix des Français et des élus qu'ils se donneraient, notamment en matière de politique économique et sociale. Comment dans ces conditions surtout si l'on se réclame d'une politique de gauche, ne pas souhaiter remettre en cause un dispositif aussi dangereux et aussi contraignant qui ne vise à rien d'autre qu'à la rendre impossible ? Et comment ne pas souhaiter alerter l'opinion en consultant le pays sur une perspective aussi néfaste à ses intérêts ? Je crois qu'en effet, si nous sommes bien - en tout cas à mes yeux - avec ce pacte de stabilité dans la logique de Maastricht, nous sommes en tout cas en présence d'une disposition nouvelle, élaborée et précisée depuis lors. »
La monnaie unique, un véritable projet politique. Par la suite, Robert Hue a souligné : « Avec ce que l'on appelle la monnaie unique, on est bien loin de simples considérations de technique monétaire dont on pourrait toujours débattre. Il s'agit bel et bien d'un projet politique. Il s'agit bel et bien de constituer un pôle attrayant pour la finance mondiale en quête de rentabilité optimale. Un pôle de plus dans la guerre économique mondiale pour l'aggraver et la rendre plus ravageuse encore, au lieu de la combattre et de travailler à s'en extraire. Et pour que la finance rende plus, il faut que les peuples aient moins, au prix de leur soumission à une concurrence sauvage, balayant tout sur son passage.
Un tel projet est désastreux pour la souveraineté, pour la politique française. M. Hans Tietmeyer, le président de la Bundesbank, a d'ailleurs prévenu : « Avec leur politique d'attelage du franc au deutschemark, les Français abandonnent une partie de leur souveraineté. » Avant de poursuivre, je le cite à nouveau : « Les marchés financiers seront les gendarmes des nations.
Il est désastreux pour les salariés de notre pays. Avec la monnaie unique, les écarts de compétitivité entre les économies des différents pays ne se résoudront plus par le biais des parités de change entre les monnaies mais par ce que la langue de bois officielle appelle « des ajustements du facteur travail ». Autrement dit, par les suppressions d'emplois, la précarité, la pression sur les salaires. Un expert prévient en ce sens - je le cite : « L'essentiel de l'action économique doit être laissé aux forces du marché. Aussi il est entendu que des mesures de politique industrielle volontaristes et des mesures en faveur de l'emploi ne sauraient être initiées par une action politique commune. »
Ce projet est désastreux pour la société française, forte de ses originalités que sont l'existence de droits sociaux et d'un secteur public étendu. Il s'agit de soumettre notre pays à un modèle de société étranger à son originalité, à sa singularité : celui de l'ultralibéralisme. Et, pour cela, tout ce qui fait obstacle à la rentabilité financière doit être balayé.
Une perspective désastreuse pour la France. Ce projet est enfin désastreux pour la France elle-même et son rôle en Europe. Un article récent du journal La Tribune est à cet égard terriblement révélateur. Un spécialiste de l'Allemagne et expose ce qu'il appelle « la pensée unique » existant dans ce pays. Autrement dit, ce que les milieux dirigeants allemands « voient derrière le concept de monnaie unique ». Il y expose comment cette pensée unique « dépasse l'Euro et concerne avant tout l'Europe ». Comment avec l'euro, l'Allemagne veux « se lier » la France, et ainsi la neutraliser afin de mieux pouvoir développer sa politique vers les pays de l’Est européen. Je cite sa conclusion : « sous couvert de pensée libérale et du libre jeu des lois du marché, se profile un bouleversement économique continental qui permettra à la RFA d'assurer le partage du leadership mondial que lui en proposer les États-Unis. » On le voit, avec l’Italie et l'Espagne tenues hors de l’union économique et monétaire - comme les Allemands l'ont clairement laissé entendre à Davos -, avec une France alignée sur la monnaie du plus fort, ligotée au sein d'une « zone mark », le pays le plus puissant du continent et ses milieux dirigeants sont loin, bien loin de la construction européenne à laquelle aspirent des dizaines de millions d'Européens. Ce à quoi ils travaillent, c'est à la construction d'une « grande Allemagne » assise sur une position hégémonique sur le centre et l’est du continent européen.
Pour un engagement commun devant les citoyens. Notant l'importance du débat qui s'est engagé à gauche sur ces questions, le secrétaire national du PCF a donné son opinion sur les quatre conditions mises par le PS au passage de notre pays à la monnaie unique, avant de remarquer : « Je trouve, pour ce qui me concerne, qu’il y a beaucoup à discuter sur la nature même des conditions avancées par le parti socialiste. Mais au-delà, une chose est sûre : ces conditions n'ont aucune chance d'être remplies dans la marche actuelle à la monnaie unique. C'est d'ores et déjà évident. Pourquoi faire semblant de croire que c'est seulement en 1998, après une éventuelle victoire de la gauche aux élections législatives que l'on pourra s'en assurer ? C'est pourquoi il y a, me semble-t-il, non pas quatre, mais cinq « conditions ». La cinquième étant : que fait-on dès lors que les quatre autres n'ont aucune chance d'être remplies ? Va-t-on attendre, comme je l'ai dit récemment à Lionel Jospin, « d'avoir le nez sur l'événement » ? Ou bien s’y prépare-t-on ensemble dans le débat entre formations de gauche, avec le concours actif des citoyens et à l'unisson de leurs aspirations ? C'est bien entendu ce dernier choix qui nous apparaît comme décisif si l'on veut que quelque chose de positif pour notre peuple sorte de l'échéance législative de 1998. Car, pour ce qui me concerne, nous l'avons dit, nous voulons tout faire pour que se dégage d'ici là une base d'engagements communs devant les citoyens, répondant aux exigences qu'ils auront formulées. Une base d'engagement commun pour une politique de changement en France et pour que notre pays agisse avec audace pour une construction européenne nouvelle. »
L’Humanité - 20 février 1997
Voici les extraits principaux de l’allocution de Jean-Pierre Chevènement :
« Nous voici rassemblés pour exiger ensemble que le peuple français soit consulté sur une décision qui concerne plus que son avenir, son existence même. Le meeting qui nous réunit n'est pas un meeting ordinaire. Il doit permettre de lancer une dynamique dans tout le pays.
Notre responsabilité est à la mesure de l'enjeu : il s'agit, vous le savez, de l'abandon de la monnaie nationale, le franc, pour une monnaie dite unique, qui risque de se borner pour l'essentiel à une fusion franc-mark. Cette décision doit intervenir au printemps de 1998. Elle ne pourra donc pas être occultée d'ici aux élections législatives, parce qu'elle commande tout. Un pays qui abandonne sa monnaie abandonne sa liberté. Que va-t-il en résulter ? Plus de prospérité, comme on nous le dit ? Ou une nouvelle servitude ? Notre peuple a besoin d'être éclairé. Voilà pourquoi le Mouvement des citoyens et le Parti communiste Français ont décidé, le 7 janvier dernier, de prendre des initiatives communes dans tout le pays. Communistes, membres du Mouvement des citoyens, et bien d'autres, nous venons d'horizons différents. Naturellement, nous avons chacun notre histoire, notre personnalité, notre culture. Le MDC s'est développé sur le terreau du socialisme républicain. Le fait que nous ne soyons pas communistes ne nous empêche nullement de reconnaître nos convergences fortes, en particulier pour affirmer le rôle démocratique et progressiste de la nation et pour redresser la construction européenne.
Nous apprécions à sa juste valeur la contribution que les militants communistes ont su apporter, à plusieurs reprises, au mouvement démocratique et à la liberté de la France. Ensemble, nous avons partagé des espérances et des expériences. Ensemble, nous devons en tirer les leçons pour ouvrir la voie à l’espérance.
C'est la République elle-même qui est aujourd'hui en jeu. C'est en unissant les efforts de tous les républicains que nous pourrons offrir un débouché politique au mouvement social, et enfin, dans l'immense désarroi actuel, bâtir, face à l’extrême-droite, un recours pour l'espérance et pour l'action. Notre responsabilité est immense car le pays va mal et nous sommes devant des échéances redoutables. Il faut bâtir une alternative véritable.
C'est la politique maastrichtiennes - qu’on appelait hier la politique du franc fort, qui fait le Front fort, non seulement parce qu'elle creuse le chômage, mais aussi parce qu'elle brûle les repères républicains. Quand la gauche offre une perspective, qu'elle élimine le candidat maastrichtien au premier tour, elle gagne au second tour et fait reculer Le Pen. Le plus grand mérite du référendum que nous proposons sur la monnaie unique est de remettre l'avenir entre ses mains. L'expérience a montré qu'en 40 ans de construction européenne, le débat public n'a pu s'instaurer qu'une fois : à l'occasion du référendum de septembre 1992. Et pourtant, à cette occasion, les enjeux véritables ont été occultés (…).
Eh bien, malgré tout cela, malgré ce déferlement de propagande, 49 % des Français ont voté « non ». Le Parti communiste Français et le Mouvement des citoyens qui s'est formé à cette occasion peuvent s'honorer d'avoir résisté à ce flot de mensonges. Tout montre aujourd'hui que si le texte du traité était à nouveau soumis au suffrage universel, il y aurait une forte majorité pour le repousser (…).
Les choses se présentent aujourd'hui de manière tout à fait nouvelle : la monnaie unique risque fort de se réduire à une fusion franc-mark. Elle n'aurait d’européenne que le nom. Son introduction signifierait, avec le plan de stabilité décidé à Dublin, la rigueur à perpétuité. La Banque centrale indépendante s'interroge, au nom de la stabilité, des pouvoirs en matière de change que les traités ne lui donnaient pas. Beaucoup de nos concitoyens doivent encore en prendre conscience.
Le projet de monnaie unique est antisocial, antidémocratique, antinational et, enfin, il est antieuropéen. La logique de la monnaie unique est de happer les uns après les autres des pans toujours plus nombreux de souveraineté. Après la souveraineté monétaire, c'est la souveraineté budgétaire. Le pacte de stabilité budgétaire accepté à Dublin par la France, sous la pression allemande, constitue un système d'amendes très lourdes (elles peuvent dépasser, pour la France, 40 milliards de francs par an pour obliger les pays déficitaire de plus de 3 % du PIB à redoubler de rigueur). C'est un mécanisme qui revient à enfoncer sous l'eau la tête de ceux qui n'arrivent pas à nager. Les marges de manœuvre de chaque État iront se rétrécissant sans cesse. C'est la clochardisation de l'État qui pointe à l'horizon : toutes les politiques publiques sont déjà en crise.
Après la souveraineté budgétaire, ce sera le tour de la souveraineté fiscale. Les capitaux, dans la zone euro, demanderont partout et encore plus fort le régime le plus favorable : on réformera la fiscalité, mais à l'envers de ce qu'il faudrait faire, au bénéfice du capital et au détriment du travail ! La logique de la monnaie unique est d'opérer un transfert massif de compétences publiques hors de la portée des citoyens, d'où la crise de la citoyenneté qui nourrit Le Pen.
La monnaie unique - si elle voit le jour - ne sera pas le couronnement du marché unique. Elle le divisera. D'un côté, il y aura autour de la fusion franc-mark, à laquelle le gouvernement de droite à par avance consenti, une zone de monnaie surévaluée, la zone euro. Et, de l'autre, des monnaies sous-évaluées : la livre britannique, la lire italienne ou la peseta espagnol.
Les critères de Maastricht fonctionnent à l'évidence comme des critères d'exclusion vis-à-vis de l'Europe du Sud et de l'Europe orientale. L’Europe n'a pas besoin d'un traitement par électrochocs ! La vérité est que les financiers veulent un euro fort pour attirer les placements. C'est pour cela que Monsieur Tietmeyer ne veut pas des pays ironiquement baptisés en Allemagne pays du « Club Med » : Italie, Espagne, Portugal, mais qui pour la France sont des nations sœurs.
Quel paradoxe : l’euro se ferait sans Rome, qui a pour la première fois dans l'histoire unifié l'Europe, sans l'Italie qui faisait partie du noyau fondateur à six, celui du traité de Rome justement ! Quant à l'idée que l’euro permettrait de concurrencer le dollar, c'est une douce plaisanterie. La domination du dollar reflète l'hégémonie globale des États-Unis. Croyez-vous qu'il existe aujourd'hui chez les dirigeants allemands, britanniques, italiens, la volonté de contrecarrer celle-ci ?
Nous pouvons ensemble briser l'engrenage de la monnaie unique. Il faut pour cela donner la parole au peuple français. D'abord, c'est l'exigence de la démocratie : en votant « oui » à 51 % le 20 septembre 1992, le peuple français n'a pas renoncé à sa souveraineté. Il n'a pas décidé d'abdiquer et de mettre la démocratie en congé. Beaucoup de ceux qui ont voté « oui » en 1992 ont le sentiment d'avoir été roulés dans la farine (…).
Le PS reste, pour le MDC et j'imagine aussi pour le parti communiste, un partenaire que nous voulons aider à se mettre à la hauteur de ses responsabilités. Aucune force politique ne peut prétendre porter à elle seule l'avenir de la gauche et le destin du pays. La légitimité de la gauche réside dans la pluralité et dans le dialogue des forces qui la composent. L'exigence du référendum et le référendum lui-même ont pour but de mettre notre peuple à la hauteur des enjeux véritables. Le PS doit comprendre qu'il ne suffit pas de poser verbalement des « conditions » pour capter des voix. Il faut tenir ces conditions au gouvernement ! C'est plus difficile. Il faut bâtir un rapport de force à l'échelle de l'Europe. Il faut donc définir les contours d'une autre Europe. Faisons-le ensemble ! Faisons de la politique en Europe ! Cessons de faire de l'économie libérale ! Le référendum sur la monnaie unique est un excellent mot d’ordre. Il rencontre un puissant écho dans le pays. Le consensus de nos soi-disant élites sur la monnaie unique est un consensus de façade. Les brèches qui se sont ouvertes ne se refermeront pas. Des gens aussi différents qu’Henri Emmanuelli et Valérie Giscard d'Estaing ont reconnu l'erreur qui a consisté à accrocher le franc au mark, monnaie qui reste la plus surévaluée du monde.
Une puissante dynamique peut être créée à partir d'aujourd'hui dans le pays. Elle ne sera pas sans conséquence sur la suite ! Vous le sentez. Un vent nouveau se lève qui peut changer la donne dans notre pays. C'est encore une brise légère. C'est peut-être demain un vent irrésistible, si vous le voulez.