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La Tribune : Les entreprises françaises d’armement seront-elles concernées par la loi sur les 35 heures ?
Alain Richard : Les industries de défense entrent dans le cadre d’application de la première loi d’orientation sur l’aménagement et la réduction du temps de travail. Elles pourront donc bénéficier des allégements financiers prévus par la loi. Je m’attends à ce que les entreprises d’armement explorent toutes les possibilités de la loi d’autant plus que la plupart d’entre elles ont déjà largement réfléchi à ce problème du fait de la baisse des plans de charge. J’ai engagé le 28 janvier une première discussion avec elles sur la façon dont elles souhaiteraient aborder ce sujet. Notre débat va se poursuivre. J’ai mandaté la société de conseil Stratorg, qui connaît bien ce domaine, afin qu’elle établisse un état de la situation avec les directions des groupes industriels. Les organisations syndicales seront invitées à participer à cette réflexion.
La Tribune : Les 20 000 salariés de la DCN, direction des constructions navales, qui fait partie de la délégation générale pour l’armement (DGA) du ministère de la défense, sont-ils concernés ?
Alain Richard : La DCN exerce des activités industrielles et développe des activités de diversification hors de ses productions strictement militaires mais elle est un service étatique. Sa situation particulière justifie donc une réflexion spécifique.
La Tribune : Comment appliquer cette loi, censée créer des emplois, à l’industrie de défense qui supprime 10 000 postes par an ?
Alain Richard : Contrairement à cette idée reçue, le bilan de l’évolution des emplois dans la défense n’est pas clairement établi. Nous allons d’ailleurs nous employer à éclaircir ces problèmes de chiffrage. Mais il est clair que le domaine de l’armement est touché comme d’autres secteurs par des gains de productivité liés au développement de technologies qui entraînent une réduction du temps travaillé ; il subit en outre, spécifiquement, une baisse globale des marchés. La réduction-aménagement du temps de travail va intéresser plus de 150 000 salariés et devrait donc avoir un impact positif pour des centaines, voire des milliers de postes qui peuvent être consolidés. Il faut tenir compte de la dualité croissante de cette industrie : ainsi, Aerospatiale perd de l’activité dans son secteur missiles mais crée beaucoup d’emplois dans l’aéronautique civile grâce au développement d’Airbus. Sextant Avionique a su tout aussi efficacement jouer de la dualité. On peut même envisager que certains domaines très ciblés enregistrent de la croissance dans les années qui viennent. Je pense à l’activité optronique de Thomson-CSF.
La Tribune : Les effets de la loi sur les 35 heures appliquées à la défense vont-ils se cumuler avec votre décision d’autoriser les départs à 52 ans chez Giat Industries et à la DCN ?
Alain Richard : Le départ anticipé à 52 ans est une autre mesure d’application limitée dans le temps, qui concerne Giat Industries et la DCN, confrontés à la nécessité de réduire encore leurs effectifs. Elle ne présente pas le caractère novateur et durable qu’a la réduction du temps de travail, mais permet de franchir une étape d’adaptation. La baisse négociée de la durée du travail prendra le relais. Pour Giat Industries, entreprise publique, les deux mesures s’additionnent pour faciliter l’adaptation des effectifs.
La Tribune : Dans ce contexte, quel sera le sort des PME-PMI qui travaillent dans l’armement ?
Alain Richard : Pour savoir comment mieux répondre à leurs attentes, il nous faut mieux les connaître. J’ai donc demandé à la DGA de modifier les procédures des marchés pour obtenir, de la part des contractants, des informations plus solides sur l’ensemble des sous-traitants, de premier et deuxième niveaux. La question est d’autant plus décisive que nombre de PME sont moins diversifiées que les grands groupes de défense. Sur la réduction du temps de travail, notre message aux PME est clair : elles pourront bénéficier des aides financières et allégements ciblés de la loi. Le système fonctionnera dès le seuil d’un salarié. Ces entreprises pourront ainsi pleinement entrer dans le processus avec une méthode de négociation locale adaptée, grâce à la nouvelle loi, à leur spécificité.
La Tribune : Que comptez-vous faire pour les aider ?
Alain Richard : Nous sommes convaincus que les PME-PMI vont devoir conclure des alliances, notamment au niveau européen comme c’est le cas pour les grands maîtres d’œuvre. Dans ce mouvement européen, les petites et moyennes entreprises françaises doivent prendre toute leur place. Aussi ai-je demandé à Edwige Avice, ancien secrétaire d’État à la défense, d’étudier la création d’un fonds d’investissement privé européen pour favoriser de tels regroupements entre PME européennes liées à la défense en valorisant leur savoir-faire. Des banques, mais aussi de grands groupes industriels européens, qui y ont tout intérêt, pourront participer à ce fonds.