Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens publiée dans "La Lettre de République moderne" de décembre 1996, sur la mondialisation libérale et le rôle du Mouvement des citoyens pour une alternative républicaine, Saint-Nazaire le 27 octobre 1996.

Prononcé le 1er décembre 1996

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès du Mouvement des citoyens, à Saint-Nazaire du 25 au 27 octobre 1996

Média : La Lettre de République Moderne

Texte intégral

Nous avons choisi la longue marche il y a deux ans, faute de pouvoir emprunter un raccourci, faute d’argent, et en l’absence de tout soutien dans les grands médias de masse. Il est vrai que nous dérangeons. Nous allons à contre-courant de la pensée dominante. Il y faut du courage et du désintéressement. Même si la décomposition du système est loin d’être allée à son terme, nous sentons cependant que les événements viennent à notre rencontre. Nos succès aux municipales ont confirmé et accru notre enracinement. L’élection de Paul Loridant au Sénat et de Pierre Carassus à l’Assemblée Nationale, en 1995, et celle, toute récente, de Roger Meï à Gardanne, que nous avons soutenu dès le premier tour, en lui apportant le renfort d’une partie importante de l’électorat socialiste et républicain, montrent que le Mouvement des citoyens représente d’ores et déjà une sensibilité républicaine qui peul se faire entendre au sein de la gauche et dont, à l’avenir, chacun devra tenir compte.

Aussi bien nous n’existons pas pour nous-mêmes mais pour mettre notre pays à la hauteur des défis qui l’attendent.

La crise, profonde, n’est pas allée à son terme. Le rôle du MDC est celui d’un catalyseur pour préparer une véritable alternative républicaine et progressiste.

I. – La crise, profonde, n’est pas allée à son terme.

A. – La mondialisation libérale est une stratégie sociale.

La mondialisation libérale – libération totale des mouvements de capitaux, libre-échangisme de principe, intégration politique et militaire sous l’égide des États-Unis, normalisation culturelle – exprime non seulement des réalités technologiques objectives, rapidité des transports, essor des télécommunications et de l’audiovisuel, mais aussi une stratégie, celle du capital financier, fraction dominante du capitalisme contemporain. La spéculation est devenue reine. La rente financière prospère au détriment de l’activité productive. Le chômage et les inégalités sociales explosent, les profits et les plus-values aussi : ceux qui vivent de leur travail, salariés mais aussi paysans et artisans, souffrent. La peine qu’ils prennent trouve de moins en moins sa récompense. Pour les classes possédantes, après des décennies d’interventionnisme étatique, l’heure de la revanche sociale a sonné. L’ultralibéralisme né en Grande-Bretagne et aux États-Unis à la fin des années soixante-dix a triomphé tandis que l’Union soviétique implosait. L’ultralibéralisme gagne aujourd’hui notre continent. Libre-échangisme et monnaie forte sont les deux mamelles de l’Europe de Maastricht. La désindustrialisation gonfle le chômage, tandis que les attaques se multiplient, à travers la déréglementation européenne contre les services publics et au nom de la réduction des déficits, contre la protection sociale. Tout se passe comme si les résultats de deux siècles de luttes politiques et sociales se trouvaient brutalement remis en cause.

Le sens même du progrès s’évanouit. Le désarroi, est immense. Le monde du travail n’a pas encore inventé de riposte adaptée à la stratégie de la mondialisation libérale. La construction européenne, par exemple, a fonctionné comme relais efficace et accélérateur de celle-ci. Un boulevard s’offre ainsi à l’extrême droite, en France, mais aussi en Europe. Pourquoi ? La raison en est simple : nos soi-disant élites, en transférant les centres de décision hors de portée des citoyens pour mettre leurs intérêts à l’abri du contrôle populaire, ont mis la démocratie, et, en France, la République en congé. Or, la République c’est ce qui permet la synthèse dynamique de l’universalité et de l’appartenance. Elle seule permet de marier dans un même élan l’exigence des valeurs universelles et le sentiment naturel, et par conséquent légitime, de l’appartenance nationale. C’est ce que la gauche française, dans sa grande majorité, n’a pas été capable, jusqu’à présent, de comprendre. Tout simplement parce qu’elle n’a pas réfléchi sur la France.

B. – La stratégie de nos « élites » depuis 1974 s’est inscrite de plus en plus clairement dans celle de la mondialisation libérale sauf à l’occasion d’une brève parenthèse, de 1981 à 1983.

1. Transfert du pouvoir normatif à Bruxelles et à Luxembourg. Plus de la moitié des normes juridiques sont désormais d’origine européenne. Depuis l’arrêt Nicolo du Conseil d’État en 1989 les règles et la jurisprudence européennes priment sur la loi française.

2. Transfert du pouvoir monétaire ensuite à la Banque de Francfort par le canal aujourd’hui de la Banque de France dite indépendante et demain d’une « Buba bis ». Par ce biais les marchés financiers sont érigés en souverains maîtres de notre politique. C’est ainsi que le traité de Maastricht affirme la totale indépendance de la Banque centrale par rapport à toute instance procédant du suffrage universel. Quant à l’idée d’un « gouvernement économique », plus ou moins avancée par les gouvernements français successifs, Pierre Bérégovoy, Édouard Balladur, pour rééquilibrer l’influence de la Banque, et réintroduite à Dublin par Jean Arthuis sous le nom de « Conseil de stabilité », c’est un leurre complet. Outre que le texte du traité exclut toute autorité du Conseil sur la Banque centrale, il faudrait être bien naïf pour penser que le Conseil puisse exprimer, dans le rapport de forces qui prévaut aujourd’hui, autre chose que les vues de la démocratie chrétienne allemande. Surtout si la monnaie unique se résume à un mark bis, dans un moignon d’Europe réduit à l’Allemagne, au Benelux, à l’Autriche et à la France.

M. Karl Lamers, proche du Chancelier Kohl, dans un article récent donné au « Monde » du 12 octobre, intitulé : « Non, Monsieur Seguin, il n’y a pas d’autre politique ! » affirmait, je cite : « la politique doit être orientée par rapport à la réalité supranationale. Les attentes des marchés financiers internationaux en sont une expression... Les règles de l’union monétaire européenne, telles qu’elles ont été formulées dans le traité de Maastricht sont inspirées du modèle allemand et apparaissent comme un diktat allemand. Mais il ne s’agit pas de cela. C’est le diktat de la réalité supranationale, celle de la concurrence globale ». 
Il est difficile d’être plus clair !

3. Un troisième transfert – plus discret – été celui de notre politique commerciale extérieure. On sait que d’après le traité de Rome, c’est la Commission – en l’occurrence M. Brittan – qui négocie au nom de la Communauté. Mais avec la signature des accords du GATT à Marrakech en 1994, c’est dans les panels d’experts de l’OMC – l’Organisation mondiale du commerce), dominée par l’idéologie libérale et l’influence américaine – que vont s’élaborer les règles quasi juridictionnelles qui définiront le régime de nos importations, comme de nos exportations.

4. Plus subreptice est le transfert d’un quatrième pouvoir qui est en train de s’opérer par le biais des critères de convergence du traité de Maastricht, je veux dire le pouvoir budgétaire. Le gouvernement vient de prendre à Dublin des engagements extrêmement graves en acceptant de plafonner définitivement à partir de 1999 le déficit budgétaire à moins de 3 % du PIB. M. Arthuis a accepté le prix fixé par M. Waigel, le ministre allemand des Finances pour l'accession à la monnaie unique : cela signifie la rigueur à perpétuité, le rétrécissement permanent de la sphère d’intervention de l’État, bref une impuissance consentie de l’État à remplir ses missions, au service du long terme et de la cohésion sociale.

Cette capitulation de première grandeur a été presque complètement occultée, sauf dans un article du « Monde » de M. Izraelewicz. Capitulation d’autant plus grave qu’elle prélude au bradage généralisé de l’industrie française dont la cession de Thomson Multimédia à Daewoo, subventionnée à hauteur de 11 milliards de Francs par le contribuable français constitue un prélude caricatural.

5. Le cinquième transfert est, en effet, celui du pouvoir dans les grandes entreprises. Les privatisations massives du patrimoine industriel français font apparaitre comme un jeu d’enfant le partage des biens nationaux en 1792 : Reviens Balzac ! Le Père Grandet est un nain minuscule à côté de Jean-Luc Lagardère ! Ces privatisations fragilisent encore plus un capitalisme français dont les ressources financières sont loin d’être à la hauteur de celles de ses concurrents. 
En régime de monnaie unique et de concurrence généralisée, et faute que les finances publiques puissent désormais être mobilisées les restructurations industrielles et bancaires se feront naturellement autour du capitalisme le plus puissant : l’industrie allemande pèse deux fois la nôtre. Rien ne peut faire qu’il en soit autrement. Mais rien n’obligeait l’État en France à se priver de tous les leviers de commande, à entrer dans le jeu d’une concurrence inégale, les mains liées derrière le dos ! Rien, sauf le désastreux tropisme de nos classes dirigeantes qui les a toujours poussées, de 1792 à nos jours, à chercher à l’extérieur, en Allemagne ou aux États-Unis, un protecteur pour maintenir en France leurs privilèges.

6. Un sixième transfert de pouvoir s’opère enfin, dans l’incompréhension générale : il s’agit de notre pouvoir de décision en matière diplomatique et militaire.

La création d’une petite armée de métier vouée aux taches expéditionnaires sous contrôle opérationnel américain, ou avec le feu vert du Département d’État, s’accompagne d’une réintégration de l’OTAN à la fois sotte et piteuse. Sotte parce que l’URSS contre laquelle l’OTAN avait été bâtie a disparu. Piteuse, parce que la France mendie un commandement subordonné à Naples ou en Yougoslavie, que les États-Unis lui refusent, dans une chaîne de commandement qui relèvera d’ailleurs toujours de généraux américains et, en dernier ressort, du Président des États-Unis. Où est l’intérêt national là-dedans ?

Pendant ce temps, nous dissimulons notre impuissance ordinaire par un insupportable bavardage sur une « politique étrangère et de sécurité commune », la « PESC », dont chacun sait qu’à quinze pays, dont tous sont américano centrés et dont deux seulement ont une tradition de diplomatie mondiale, elle se réduit à l’art des communiqués.

Bavardage d’autant plus ridicule que le président de la République vient de faire ces jours-ci la démonstration de ce que peut signifier une politique étrangère indépendante de la France au Proche et au Moyen-Orient, en posant clairement les conditions d’une paix juste et durable dans cette région du monde : reconnaissance d’un État palestinien, condition de la sécurité d’Israël, et levée d’un embargo inhumain sur l’Irak. Ne boudons pas notre plaisir quand Jacques Chirac nous donne raison six ans après, et fait entendre une voix qui s’était tue depuis la guerre du Golfe : celle de la France. Le Mouvement des Citoyens ne doit pas hésiter à saluer une politique quand elle est courageuse. D’autant plus qu’elle fait mieux voir aujourd’hui qui, hier, avait raison, et qui s’était fourvoyé !

Il faudrait que Jacques Chirac continue et rompe dans tant d’autres domaines avec le règne du prêt-à-penser importé des États-Unis I Nous en sommes – hélas – encore loin ! Déjà l’Allemagne et la Grande-Bretagne nous rabrouent tandis qu’un haut fonctionnaire européen, M. Brittan, ose déclarer tout haut que l’Europe ne peut pas exister diplomatiquement en dehors des États-Unis

C. – La République mise en congé et l’impuissance de la gauche.

La stratégie visant à transférer les centres de décision hors de France a pu se déployer depuis plus de vingt ans, d’une part parce qu’elle va dans le sens des intérêts des classes possédantes, et d’autre part parce que la majorité de la gauche, prisonnière d’un internationalisme mal compris, et incapable de poser correctement la question nationale s’est laissé piéger, au nom de l’Europe, par la mondialisation libérale.

1. La fin programmée de la République française.

Quand tous les pouvoirs sont transférés hors de France, et à l’abri de tout contrôle populaire, la démocratie citoyenne dépérit. La prétendue « démocratie contentieuse » qui réduit le citoyen au justiciable, sur le modèle américain, ne la remplace pas. Quand la souveraineté populaire est vidée de tout contenu, la politique devient théâtre d’ombres et la France, construction avant tout politique, tombe gravement malade, beaucoup plus malade que d’autres nations qui se définissent par la tradition comme la Grande-Bretagne ou par l’ethnie, comme l’Allemagne.

Quand la France n’a plus de projet collectif, elle n’est plus la France. La crise de la citoyenneté procède de cette absence. Qu’est-ce qu’un Français ? C’est un citoyen français. Et quand la citoyenneté perd son sens actif – la capacité à construire ensemble l’avenir – comment s’étonner que la machine à intégrer fonctionne moins bien ?

Le projet de Maastricht débouche aujourd’hui sur la perspective d’une monnaie unique, réduite à un moignon d’Europe, autour de l’Allemagne, c’est-à-dire sur l’absorption du franc par le mark. L’euro sans l’Italie ni l’Espagne, dont les milieux dirigeants allemands ne veulent pas, et sans la Grande-Bretagne qui préfère se tenir à l’écart, ne sera qu’un mark bis. Un pays qui renonce à sa monnaie au profit d’un pays plus puissant perd sa liberté. La disparition du franc sera aussi celle de la France, dans un nouveau Saint-Empire, dont la vraie capitale sera à Francfort, au siège de la Banque centrale indépendante. Indépendante du suffrage universel bien sûr, mais non pas des marchés financiers ! Tout se passe comme si avait été programmée la disparition de la République française. S’en est-on aperçu ? Une République, conçue comme Projet collectif délibéré en commun, est en danger

2. La gauche désarmée par sa méconnaissance de la question nationale

La gauche dans sa majorité ralliée au libéralisme, s’est désarmée elle-même parce qu’elle a fait l’impasse sur la question de la nation. Faute d’avoir défendu la conception républicaine et citoyenne de la nation, elle a abandonné le terrain de la nation à l’extrême-droite qui en donne une version xénophobe et repoussante. Un cercle vicieux s’est ainsi instauré qui nous entraine de plus en plus vers le bas. Le PS méconnaît largement la réalité de la nation, c’est-à-dire le besoin d’une appartenance politique à une réalité qui, tout en dépassant l’horizon borné de la petite patrie, du terroir, du « Heimat » comme disent les Allemands, ne peut se confondre d’emblée avec l’Humanité, catégorie morale ou zoologique mais non politique, comme l’a fort bien montré Pierre-André Taguieff.

Or, la République est ce qui a permis de concilier, depuis deux siècles, le sentiment de l’appartenance nationale française et l’exigence des valeurs universelles. Cette remarquable conquête en avance de plusieurs années-lumière – c’est le cas de le dire – sur la conception ethnique ou particulariste de la nation, est en train d’être remise en cause.

a) Les illusions de la supranationalité :

L’erreur du PS et des fédéralistes sincères a été de croire que la libération des échanges et la création d’une monnaie unique feraient naître un sentiment d’appartenance commun à tous les peuples d’Europe. Une identité collective ne se façonne pas ainsi. C’est méconnaître le poids des siècles voire des millénaires. Qu’on le veuille ou non, la nation reste encore pour longtemps l’espace pertinent du débat démocratique, et par conséquent la source de la légitimité : seul le sentiment d’une identité commune, qui va bien au-delà d’une simple solidarité de destin, fait que la minorité accepte de s’incliner devant la loi de la majorité.

b) Les dangers du communautarisme :

La République française a toujours reposé sur quelques principes simples : tous les citoyens sont titulaires de droits égaux, excluant toute tonne de discrimination. Par ailleurs, seuls les individus, comme hommes et comme citoyens, sont titulaires de droits inaliénables, jamais les groupes. En dehors de la loi qui est la mime pour tous, les mœurs sont libres. La liberté d’association existe. Mais au regard du droit, les hommes se définissent par ce qu’ils font, non par ce qu’ils sont, en fonction de leur origine ou de leurs convictions. La République française offre ainsi un barrage conceptuel parfaitement efficace contre les thèses de Le Pen.

La grandeur de la République est d’avoir réussi à faire vivre ensemble des gens issus de toutes origines, religions, langues et cultures. Elle n’y est parvenue que grâce à la laïcité de l’État. Nous tenons à l’idée laïque, qui nous semble seule à même de dépouiller le vieil homme tribal, et de surmonter les particularismes familiaux, claniques, ethniques, ou religieux.

Nous savons que le différentialisme conduit bien vite à la différence des droits. Certes le modèle républicain connaît des difficultés qui sont liées d’abord au chômage de masse et à la précarité. Il fonctionne cependant toujours, comme l’a démontré Emmanuel Todd dans son livre « Le destin des immigrés », et il fonctionnerait beaucoup mieux si la France et la gauche renouaient avec la République.

Non ! Contrairement à une campagne savamment orchestrée, la République n’est pas devenue de droite. Toute l’histoire de ce pays démontre le contraire. La droite française s’est résignée la fin du XIXe siècle à accepter la République. Mais quand la gauche l’abandonne ou est tentée de l’abandonner – on l’a vu dans les années trente et on le revoit aujourd’hui –, alors la République est vraiment en danger !

II. – RÔLE MDC : PRÉPARER UNE ALTERNATIVE RÉPUBLICAINE. 

A. – L’enjeu politique de la période.

1. De 1994 à 1996.

Rappelez-vous dans quel hiver Idéologique et politique se trouvait la France il l’automne 1994, quand se tenait à Belfort notre dernier Congrès. Entre Édouard Balladur et Jacques Delors tout était prêt, planifié, médiatisé : nous allions assister à un duel entre le Centre droit et le centre gauche d’où sortiraient vainqueurs le renoncement et la résignation.

Vous connaissez la suite. La France ne se résigne plus. Elle gronde. Le fatalisme de nos classes dirigeantes, sourdes, aveugles et arrogantes ne passe plus. L’idée qu’il n’y aurait qu’une politique économique possible est maintenant majoritairement repoussée dans les urnes comme dans les sondages alors qu’il y a encore quelques années elle était, à force de matraquage, entrée dans les têtes. Les deux tiers des Français voteraient aujourd’hui contre Maastricht. Nous sommes aujourd’hui gouvernés par des comptables. Pour eux, il y a trop de tout : trop d’agriculteurs, trop d’ouvriers, trop d’enseignants, trop de médecins, trop d’infirmières, trop de cheminots, trop de soldats, trop de jeunes qui veulent du travail et trop de vieux qui veulent une retraite décente !

Le chômage grimpe : Avec 12,4 % de la population active nous allons bientôt prendre à l’Espagne qui nous talonne, le maillot jaune du chômage en Europe. Les plans sociaux ne se comptent plus. Les délocalisations se multiplient, de JVC à Moulinex. Les restructurations dans la défense coûteront aux alentours de 60 000 emplois en cinq ans.

Les jeunes à la recherche d’un premier emploi « galèrent » parfois plusieurs mois et se voient souvent contraints d’accepter un emploi temporaire. Le contrat à durée déterminée devient la règle. La précarisation et le sous-emploi sont aujourd’hui organisés par l’État lui-même. Les personnes travaillant à temps partiel mais recherchant un emploi à temps complet sont passées selon l’INSEE, de 351 000 en 1992 à 565 000 en 1996. Voilà un chiffre qui devrait faire réfléchir ceux qui font de la réduction du temps de travail l’alpha et surtout l’oméga de la lutte contre le chômage.

2) la responsabilité de la gauche pour demain.

Le mouvement social à besoin d’un débouché politique que la gauche jusqu’à présent ne lui a pas offert.

Quand l’on pousse un peuple vers le désespoir, le vent mauvais de l’extrême droite se lève. Plutôt que de s’attaquer au chômage, le gouvernement donne par électoralisme des gages à l’électorat Le Pen par des opérations démagogiques et brutales telle que la gestion ultra médiatisée de l’affaire des sans-papiers de l’Église Saint-Bernard. 
L’erreur serait pour la gauche d’apporter une réponse simplement moralisatrice à la montée d’une extrême droite raciste et fascisante. Il n’y a pas en France 15 % de fascistes mais un immense désarroi devant la montée du chômage et de la précarité, le mal vivre au quotidien, la perte des repères, et l’incertitude de l’avenir.

Pour faire reculer Le Pen et engager la reconquête républicaine de l’électorat, il faut d’abord prendre les moyens de faire reculer le chômage et ensuite donner des repères à nos concitoyens, en réinvestissant le champ de la nation républicaine, en levant haut le drapeau d’une citoyenneté active, en montrant que la France, loin d’être finie, est encore capable de répondre à leurs aspirations légitimes.

La France a subi hier des éclipses plus profondes encore qu’aujourd’hui, ainsi en 1940. Elle n’est pas plus bas aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1958. Elle a toujours montré dans l’Histoire une extraordinaire capacité de rebondissement.

B. – Le contenu de l’alternative républicaine.

1. La France, à travers Maastricht, est prisonnière de la mondialisation libérale. Elle doit retrouver des marges de manœuvre et pour cela recouvrer d’abord sa liberté monétaire. Le reste viendra par surcroit.

Rien n’obligeait M. Arthuis à capituler à Dublin devant M. Waigel et à accepter un « pacte de stabilité », qui enferme la France clans des engagements qu’elle ne pourra tenir qu’au prix de nouvelles capitulations. La fusion franc-mark est fondamentalement contraire à l’intérêt de la France. Or, c’est en avril 1998, au lendemain des législatives françaises, que la liste des pays éligibles à la monnaie unique sera fixée. On sait que les milieux dirigeants allemands, prisonniers dans leur majorité, de la religion de la monnaie forte, ne veulent pas que l’Italie et l’Espagne soient admises dans le « premier cercle ». Ils se refusent à poser le problème de la parité avec le dollar et de la surévaluation du mark. Ils ne craignent pas les dévaluations compétitives de la lire, de la livre et de la peseta. Le SME bis ne sera pas obligatoire et de toute façon sera si peu contraignant ! Il autorisera des marges de fluctuation de 30 % et de nouvelles dévaluations, soit à l’initiative des gouvernements nationaux concernés, soit – nouvelle reculade française – à l’initiative de la Banque de Francfort, peu soucieuse de compromettre la solidité de l’euro par un soutien inconditionnel à quelque monnaie du Sud que ce soit. Ce n’est plus Maastricht, c’est Maastricht plus !

Tout semble indiquer que le gouvernement français, derrière M. Trichet, et ses nombreux soutiens politiques, du PS au RPR en passant par l’UDF, s’est résigné à un tête-à-tête franco-allemand, d’entrée de jeu déséquilibré. Tout cela pour jouer les seconds couteaux dans une Europe qui ne sera qu’une Allemagne agrandie. À l’horizon, c’est toujours plus de chômage, toujours plus d’inégalités. L’Europe qui se dessine c’est une Europe de nations hiérarchisée, aux antipodes de la conception républicaine, une Europe dominée par les oligarchies de l’Argent, un nouveau bloc, le bloc des riches dressés contre les pauvres, à l’extérieur, et à l’intérieur ! Apartheid Nord-Sud entre les deux rives de la Méditerranée et fracture sociale aggravée dans nos cités entre les classes d’âge et bientôt les communautés

Il n’est pas trop tard pour réagir. Le salut ne peut venir que du peuple souverain. Il faut exiger un référendum sur l’Europe, sur le passage à la monnaie unique. C’est le peuple qui doit décider, le peuple auquel on veut voler son avenir. Il doit se défendre. Car la monnaie dite unique dont l’Allemagne a besoin pour pouvoir dire « l’Europe » et non plus « l’Allemagne » (« l’Europe exige » et non plus « l’Allemagne exige »), cette monnaie-là ne peut rigoureusement pas se faire sans la France. La France détient la clé.

Faire comme si ce choix-là, celui de la fusion franc-mark, n’existait déjà plus, c’est jouer les autruches, c’est manquer à la responsabilité historique qui incombe à la gauche ! Je sais bien que le parti socialiste hésite à renier son « oui » enthousiaste à Maastricht en septembre 1992, mais rien ne lui interdit de poser des conditions : 
    – Une monnaie européenne avec l’Italie et l’Espagne et pas un mark bis avec la France seule, offerte en sacrifice, telle une nouvelle Iphigénie, pour faire lever un improbable vent européen.
    – Rien n’interdit au parti socialiste de réclamer publiquement une parité réaliste avec le dollar aujourd’hui sous-évalué de 30 %. 
    – Tout devrait le conduire à exiger, et d’abord des sociaux-démocrates allemands, un pacte de croissance et non pas de stabilité, car ce qu’il faut combattre aujourd’hui, ce n’est pas l’inflation, c’est le chômage.

Et si ces conditions n’étaient pas remplies, il devrait annoncer publiquement son intention d’en tirer les conséquences.

La question essentielle qui se pose est donc de savoir si le parti socialiste restera prisonnier de ses choix libéraux ou s’il saura s’en affranchir. Nous ne voulons pas insulter l’avenir mais nous ne ferons pas confiance les yeux fermés. Pour notre part, nous jugerons aux actes, mais parce que nous nous plaçons résolument dans la perspective d’une victoire qui mettrait la gauche à la hauteur de ses responsabilités, nous soutiendrons qu’elle ne pourra rien faire face à ses partenaires sans l’appui du peuple exprimé par référendum.

Nous sommes contre Maastricht et la monnaie unique. Nous ne sommes pas contre une Europe républicaine, ouverte à l’universel. Elle est notre objectif. La monnaie unique elle-même, et c’est notre critique fondamentale, crée un carcan rigide. Elle interdit tout ajustement monétaire entre les nations différentes dont l’Europe est faite. La seule régulation qu’une monnaie unique instaurerait entre économies divergentes par l’inflation et par la productivité serait celle des salaires et donc du chômage. Un marché unique n’a nullement besoin d’une monnaie unique. C’est une naïveté de croire qu’une identité européenne puisse surgir d’une monnaie, d’autant que le dollar la poussera à la hausse, chaque fois que ce sera l’intérêt des États-Unis.

Que d’illusions dans l’esprit de ceux qui prétendent, à travers l’euro, concurrencer le dollar ! Pour quoi faire ? attirer les fonds de pension japonais ou doper nos exportations ? Ils ne s’avisent pas que dans le premier cas, il faudrait un euro fort et dans le second un euro faible. Ils négligent le fait que la domination des États-Unis est globale – économique, financière, mais aussi diplomatique, militaire, culturelle. Ils ne veulent pas voir que l’Allemagne du Chancelier Kohl, interlocuteur privilégié des États-Unis en Europe, ne veut surtout pas d’un affrontement avec eux.

Les partisans de la supranationalité, pour beaucoup d’entre eux, ne se rendent pas compte qu’ils ouvriraient la voie non seulement à un donjon monétaire toisant les peuples de sa superbe, mais à une succursale des États-Unis, dressée contre le Sud et le cas échéant contre la Russie, si celle-ci s’avisait un jour de résister à l’hégémonie américaine. Le nouvel ordre mondial dessiné par les technocrates n’est pas très différent en définitive de l’apartheid Nord-Sud prôné par Jean-Marie Le Pen. À cette vision repoussante, le MDC est le seul à opposer une claire vision alternative : politique républicaine de l’immigration rejetant également le mythe de l’immigration zéro que la démagogie gauchiste d’un monde ouvert à tous les flux de population quand il y a en France 5 millions de chômeurs, intégration des immigrés qui le veulent dans la nation française, qui a toujours eu besoin d’apports nouveaux, hospitalité vis-à-vis des étrangers qui sont les hôtes de la République, et enfin et surtout co-développement entre les deux rives de la Méditerranée. L’avenir est dans le développement et dans la démocratie qui seuls peuvent permettre, en particulier en Algérie et dans les pays du Maghreb, de faire reculer l’intégrisme. Cela implique pour les pays du Sud des États dignes de ce nom et un juste prix pour leurs matières premières. Cette vision à la fois réaliste et généreuse est la seule réplique historique à la vision cauchemardesque que nous offrent non seulement Le Pen, mais aussi les technocrates libéraux sous influence américaine, sans parler des intégrismes, quels qu’ils soient, musulman, juif ou chrétien.

Le Mouvement des Citoyens fera donc entendre clairement sa voix pour exiger un référendum sur l’Europe et la monnaie unique, dussions-nous être seuls à le faire. Mais nous ne serons pas seuls.

On nous dira : mais que mettez-vous à la place ? Eh bien, nous proposons de faire de la politique en Europe, pour construire une Europe républicaine. De négocier avec nos voisins un pacte de croissance, de substituer à la monnaie unique une monnaie commune, laissant subsister les monnaies nationales, et autorisant une relance économique, si possible concertée. En tout cas de ne pas rester l’arme au pied face au défi du chômage de masse. De renationaliser la Banque de France. De retrouver des marges d’autonomie. De lancer un grand emprunt d’équipement. De mettre en œuvre l’initiative citoyenne pour l’emploi dont nous avons mûri le projet à la Convention du Kremlin-Bicêtre, en février dernier, de façon créer 2 à 3 millions d’emplois en deux ou trois ans.

Bref, nous nous plaçons résolument dans la perspective d’une victoire qui permettrait à la gauche de se mettre à la hauteur de ses responsabilités. D’autant plus résolument que nous savons que, dans le cas contraire, l’extrême droite ne tarderait pas à hégémoniser la droite.

Nous mesurons d’autant plus la rudesse de la tâche que si la gauche, en 1998, devenait majoritaire à l’Assemblée nationale, elle devrait subir à son tour l’émule de la cohabitation. Le Sénat retrouverait son rôle traditionnel d’obstruction. Le Conseil constitutionnel, la Banque de France, le CSA multiplieraient les chausse-trapes. L’Allemagne démocrate-chrétienne, redevenue en Europe le pays dominant, ne nous laisserait guère d’espace. Bref, il faudra une grande détermination à un éventuel gouvernement de la gauche et une grande capacité à écouter et à se faire comprendre par le peuple. Dès aujourd’hui le Mouvement des Citoyens adopte sur tous les sujets une attitude responsable. Il ne dit rien dans l’opposition qu’il n’envisagerait de faire au gouvernement. Cette attitude est la seule pédagogique, la seule qui, réconciliant le politique et la vérité, ne prépare pas des lendemains qui déchantent.

Nous sommes d’abord et avant tout des républicains, avec ce que cela implique de courage même d’abnégation. Nous ne sacrifierons pas notre liberté de pensée et d’expression. Nous savons que nous incarnons pour demain la chance d’un vrai ressaisissement. Notre seule ambition est de servir la gauche et de servir le pays.

Nous connaissons la fragilité du redressement opéré dans les urnes mais nullement encore dans les têtes. Nous ne sommes pas portés à nous laisser griser par la perspective de quelques maroquins. Le pouvoir pour le pouvoir n’a jamais été notre tasse de thé.

C. – L’alternative républicaine comme stratégie.

Comme tout parti politique, nous entendons peser. Pour cela nous nous sommes fixés l’objectif d’un groupe parlementaire. Cet objectif peut paraître ambitieux mais la gauche ne peut pas réussir sans nous. Nos partenaires devront donc compter avec nous, parce que nous sommes enracinés dans une histoire, et d’ailleurs souvent sur le terrain, et parce que nous représentons un capital moral incontestable, nécessaire à la victoire.

Je ne raisonne pas d’abord en termes électoralistes, mais en termes moraux, ou si vous préférez politiques. Ce que nous disons, même étouffé, est entendu. Bien sûr nous pouvons jouer un rôle essentiel dans beaucoup de circonscriptions ou à l’occasion des élections régionales. Ceux qui voudraient l’ignorer se tromperaient lourdement. Même si, pour nous, il y a un avenir après 1998, nous chercherons à créer les conditions d’un rassemblement qui permette une véritable victoire.

Participer pour nous ou ne pas participer à un éventuel gouvernement n’est pas le problème : nous nous déterminerons sur des choix politiques, le moment venu. Bien sûr, nous ne renierons pas l’idée qu’il vaut mieux avoir un programme, quand on sollicite les suffrages du peuple.

S’il n’y a pas de programme commun que ferons-nous ? Eh bien, nous irons à l’élection avec notre propre programme, non sans en avoir débattu au préalable, avec qui le voudra. Et si la gauche, malgré ce déficit politique qui serait réel, selon nous, l’emporte, eh bien nous verrons s’il est possible après l’élection de se mettre d’accord sur un contrat de législature, une législature qui n’ira peut-être pas à son terme. Comme les choix essentiels devront être faits rapidement, nous saurons vite à quoi nous en tenir.

Mais, me direz-vous, pour faire élire nos députés, comment allons-nous nous y prendre ? C’est très simple : nous allons présenter beaucoup de candidats ou plus exactement de pré-candidats. Ils feront peut-être des scores inégaux, selon leur enracinement. C’est pourquoi il faut qu’ils se mettent rapidement au travail. Et puis bien sûr, nous négocieront. Quelles voies emprunter ?

Nous résigner à faire l’appoint, en reconnaissant l’hégémonie du PS, ce serait d’emblée accepter l’alternance sans alternative. Nous n’en voulons pas. Notre attitude dépendra strictement de celle du PS à notre égard. Ce n’est pas à nous de lui dicter sa conduite. Le réalisme serait bien sûr qu’il ne veuille pas exercer une attitude hégémonique et qu’il tienne compte de la diversité réelle de la gauche qui, jusqu’à un certain point, constitue un atout.

Le MDC représente une gauche républicaine qui cristallise des sympathies nombreuses qui peuvent, dans certaines circonstances, se transformer en votes. Il est devenu de bon ton, dans l’Establishment ou ailleurs de gommer la signification éminemment politique de l’élection de Gardanne. La mobilisation de l’électorat communiste mais aussi le basculement dès le premier tour d’une partie importante de l’électorat socialiste et républicain en faveur de candidat qu’Edmonde Charles-Roux, Félix Weygand et moi-même sommes allés soutenir à Gardanne, le 9 octobre, ont clairement montré l’enjeu : en votant contre le gouvernement Juppé, mais aussi contre candidat dont « Le Monde » titrait, deux jours avant, qu’il était le seul à défendre Maastricht , les électeurs ont manifesté une grande intelligence. Ils ont dessiné une perspective neuve.

Faut-il pour autant parler comme les refondateurs communistes d’un « pôle de radicalité » ? cette conception d’un pôle de radicalité emprunte trop au spontanéisme et ce n’est pas suffisamment mûrie politiquement pour emporter notre conviction. N’oublions surtout pas qu’à Gardanne le renfort essentiel est venu avec le gros bataillons de la gauche socialiste et républicaine qui ne voulaient pas de la politique maastrichtienne incarnée par Bernard Kouchner.

Faut-il parler comme Robert Hue « d’alternative à gauche » ? il vaut mieux être clair : s’il s’agit de fédérer des sensibilités autour du PCF, ce n’est pas notre conception. S’il s’agit de rassembler largement à partir de la gauche et autour d’elle, alors, oui, nous sommes d’accord ! Simplement, nous ne sommes pas et nous ne serons jamais ce qu’on appelait autrefois des « compagnons de route ». L’alliance n’est pas l’hégémonie.

Nous sommes une gauche républicaine, solidement enracinée dans histoire de notre pays et nous croyons que la République est une idée toujours neuve. C’est pourquoi nous préférons parler d’alternative républicaine et progressiste (c’est d’ailleurs tout un). Elle vise à rassembler largement toutes les sensibilités de la gauche et même les sensibilités républicaines.

Peut-être la route est-elle longue ? mais c’est parce que notre choix est exigeant ! L’essentiel est que, demain comme hier, nous fassions entendre notre voix pour sauvegarder la chance du sursaut populaire, du sursaut de la France, pour rassembler demain tous les Français qui, avec nous, encore une fois, voudront que vive la République !