Déclaration à la presse de M. Hervé de Charette et interview dans "Kurier" le 30 octobre 1996, sur les travaux de la Conférence intergouvernementale, les propositions de réforme des institutions communautaires, l'élargissement de l'Union et ses relations avec le Proche-Orient.

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Circonstance : Entretien de M. de Charette avec M. Wolfgang Schuessel, ministre autrichien des affaires étrangères à Paris le 30 octobre 1996

Média : Kurier - Presse étrangère

Texte intégral

Propos à la presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à l'issue de son entretien avec le ministre autrichien des Affaires étrangères, M. Wolfgang Schuessel, à Paris le 30 octobre 1996

Les questions débattues au sein de la Conférence inter-gouvernementale ont occupé une très grande partie de nos entretiens, mais aussi tout ce qui concerne les questions de sécurité en Europe. Vous savez qu'il y a de grandes échéances par lesquelles nous sommes les uns et les autres très concernés.

Q. : Quel a été le message de la France concernant la réforme des institutions européennes ?

R. : Je crois que nous avons avec l'Autriche une proximité très grande. Nous partageons la même philosophie de l'Europe. Nous avons vis-à-vis de l'ambition européenne la même démarche extrêmement positive et donc notre message était commun. Il faut tenir le calendrier et il faut résoudre les problèmes. Il ne suffit pas de reporter au lendemain les questions. Il ne faut pas laisser la Conférence inter-gouvernementale s'enliser. Il faut que la négociation s'approfondisse et que les quinze pays européens parviennent aux décisions fortes qu'exige le calendrier qui nous est soumis.

Q. : - La question de la pondération des voix en fait partie ?

R. : Bien entendu. Du point de vue français, les priorités sont les réformes des institutions, pour tenir compte de la perspective de l'élargissement de l'Union. C'est aussi la coopération renforcée. C'est enfin la subsidiarité.

Q. : Et sur la réduction du nombre des commissaires, il semblerait que la partie autrichienne soit un peu méfiante vis-à-vis de ...

R. : Nous n'avons pas sur ce sujet encore parfaitement rendu nos points de vue convergents. Mais nous progressons.

Q. : Dans quelle voie ?

R. : Dans la bonne voie.

 

Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à l'issue de son entretien avec le quotidien « Kurier »

Q. : La France plaide pour une nouvelle répartition des voix au sein des instances européennes. C'est notamment la proposition d'abolir le principe que chaque pays soit au moins représenté par un commissaire au sein de la Commission européenne qui inquiète le gouvernement autrichien et plusieurs autres États membres. Ils voient là une tentative d'établir une hégémonie des grands pays. Que répondez-vous à ces inquiétudes ?

R. : Les propositions de réforme que vous évoquez ont pour objectif de permettre à l'Europe de demain de fonctionner. L'élargissement sans précédent qui se prépare, et que la France accueille chaleureusement, impose une profonde réforme du système institutionnel de l'Union. Celui-ci, conçu pour six États membres a déjà atteint ses limites à quinze.

La réforme de la pondération des voix au Conseil vise à rétablir l'équilibre, la légitimité et l'efficacité du processus de décision. Il s'agit simplement d'adapter l'Union aux critères élémentaires de la démocratie en vigueur dans chacun de nos pays. Je rappelle d'ailleurs qu'une telle modification avait été effectuée lors du premier élargissement à la Grande-Bretagne, au Danemark et à l'Irlande, en 1973. Cette fois-ci, il devrait s'agir d'une modification plus ambitieuse.

En ce qui concerne la réforme de la Commission, il faut être clair. La Commission n'a pas vocation à assurer la représentation des États membres (le Conseil est là pour cela), mais l'intérêt général communautaire, c'est-à-dire l'intérêt de tous. Ses membres doivent donc être indépendants des États et des intérêts nationaux. Pour être le moteur institutionnel de l'Union, la Commission doit conserver son caractère collégial et sa capacité d'initiative. L'extension indéfinie du nombre de ses membres qu'elle a connue avec les élargissements passés est en train de la paralyser. C'est pourquoi la France propose de la ramener à une dizaine de membres. Elle est même prête pour sa part, à renoncer à ses deux Commissaires, au profit d'un système de rotation qui garantisse que tous les États pourront être représentés chacun leur tour.

Il ne s'agit donc pas d'établir, comme vous le voyez, une hégémonie des « grands États » mais de faire prévaloir l'intérêt communautaire.

Q. : Le président Chirac a, lors de son voyage à Varsovie, promis que la Pologne serait membre de l'UE en l'an 2000. Cependant les responsables français exigent comme condition préalable à tout élargissement la réforme fondamentale de l'UE. Et le débat sur la réforme semble actuellement bloqué. Tablez-vous sur une relance des négociations sur les institutions de l'UE et autour de quelles propositions ?

R. : Mon ami Klaus Kinkel a détaillé dans vos colonnes, au début de ce mois, ce qu'on appelle « l'Agenda 2000 » et qui regroupe les grands objectifs à atteindre par l'Union : la Conférence inter-gouvernementale, l'élargissement, la monnaie unique, l'examen des politiques communes et l'adaptation du système de financement. L'agenda est chargé et le calendrier est très serré.

La première des échéances, c'est la CIG. Il est indispensable d'aboutir comme prévu en Juin 1997, pour éviter le télescopage avec la monnaie unique et pour permettre aux négociations d'adhésion de s'engager sans retard, six mois après la conclusion de la CIG et compte tenu de ses résultats. Cette profonde réforme est vitale pour permettre l'élargissement. Ceux qui la bloqueraient devraient réfléchir aux conséquences en ce qui concerne les perspectives d'élargissement.

Le débat n'est pas bloqué, il vient tout juste de s'ouvrir. La véritable négociation a été lancée par la réunion du Conseil européen de Dublin, au début de ce mois. Les propositions sont sur la table, et j'entends, avec Klaus Kinkel, nourrir le débat, comme nous l'avons fait il y a deux semaines en déposant un document sur les coopérations renforcées.

Q. : La France et l'Autriche coopèrent de plus en plus étroitement pour préparer l'élargissement de l'UE vers les pays d'Europe centrale. Assiste-t-on à l'émergence d'un axe Paris-Vienne à l'est de l'Europe ?
 
R. : Cette coopération n'est pas nouvelle : depuis près de 20 ans, nos deux pays réfléchissent et œuvrent en commun en faveur de l'Europe centrale et orientale, notamment dans le cadre du Centre franco-autrichien, dont je vous rappelle qu'il a été créé sur l'initiative de M. Jacques Chirac, alors Premier ministre et du chancelier Kreisky. Cette volonté commune correspond au meilleur de la longue tradition d'amitié entre nos deux pays. En effet, l'Histoire a intimement lié la France à l'équilibre de l'Europe centrale et orientale, comme elle a fait de l'Autriche un acteur primordial de cette région et un vecteur de la civilisation européenne à l'Est. Cette coopération entre Paris et Vienne prolonge une vieille tradition européenne qu'illustre l'Autriche : faire aussi de la politique européenne une affaire de cœur !

Q. : La France a été par le passé réticente face à l'édification d'un espace judiciaire et policier européen. Est-ce que cette Europe des citoyens connaîtra des avancées ?


R. : Oui, c'est un point important de cette négociation. La France est favorable à un espace européen de liberté et de sécurité. Le fait qu'elle soit membre fondateur de la Convention de Schengen le prouve.
Cette convention est très ambitieuse dans ses objectifs et si la liberté de circulation n'est pas encore totalement réalisée, c'est que nous voulons qu'elle s'effectue dans les meilleures conditions de sécurité possibles de sécurité pour les citoyens. Or, comme vous le savez, des difficultés subsistent en matière de drogue et nous devons encore travailler au renforcement de la coopération policière et judiciaire avec nos partenaires.

C'est également la démarche que poursuit la France dans la réforme de ce que l'on appelle le « troisième pilier » de l'Union. Améliorer les conditions de fonctionnement de la coopération en matière d'affaires intérieures et de justice, pour constituer un espace homogène de liberté, de sécurité et de droit en Europe est une priorité de la CIG, notamment en vue de lutter plus efficacement contre le trafic de drogue, le terrorisme et la criminalité organisée, car ce sont en effet des fléaux qui menacent la sécurité des citoyens. Il en va de la crédibilité de l'Union. La France est prête à réaliser de grandes avancées dans ces domaines, à la faveur de la réforme du Traité.

Q. : La France a œuvré pour une démarche propre de l'UE au Proche-Orient, qui se démarquerait de la politique américaine. Mais cette proposition n'a eu qu'un écho très limité parmi vos partenaires. N'est-ce pas un mauvais présage pour la politique extérieure commune ?

R. : Je voudrais tout d'abord revenir sur les termes de votre question, et en particulier sur deux points qui me semblent importants parce que générateurs de malentendus.

En premier lieu, je tiens à souligner que les initiatives françaises au Proche-Orient se sont toujours situées dans le cadre européen et nullement en opposition avec la politique américaine. Nous n'avons eu à aucun moment l'intention de prendre la place des États-Unis qui mènent une action utile et efficace dans la région, ou de proposer un processus de rechange.

Nous sommes partis de deux constatations.

La première est que l'Europe, depuis le début de ce processus, a consenti un effort financier très important. Elle ne peut plus aujourd'hui se contenter d'être le principal bailleur de fonds et le premier partenaire économique du Moyen-Orient. Elle doit apporter sa contribution politique au processus de paix.

Deuxième constatation, les négociations de paix sont enlisées. Depuis les attentats de mars 1996 en Israël, le processus est dans l'impasse et chacun se crispe sur ses positions. Les affrontements violents de septembre liés à la réouverture du tunnel dans la vieille ville de Jérusalem ont accentué cette crispation. Il faut donc relancer le processus de paix. Lors de la crise israélo-libanaise d'avril 1996, la France, en mettant à profit ses relations amicales et confiantes avec toutes les parties régionales, a prouvé qu'il était possible d'ouvrir de nouvelles voies de négociation en ne se limitant pas à un « canal unique ».

Par ailleurs, toutes les initiatives de la France se situent, je le répète, dans le cadre européen et se réfèrent aux déclarations adoptées à quinze, par exemple à Florence. La France occupe, certes, une place spécifique au Proche-Orient du fait de ses liens historiques avec les pays de la région, mais en intervenant en faveur du processus de paix, c'est la position de l'UE qu'elle défend. J'en veux pour preuve que c'est en grande partie à l'initiative de la France que les Quinze ont décidé d'envoyer un envoyé spécial au Proche-Orient, ce dont je me réjouis vivement. Tout cela est très constructif pour la politique extérieure commune.

Q. : La France vient de réintégrer toutes les instances de l'OTAN et plaide en faveur d'un pilier européen de l'Alliance qui s'appuierait sur l'UEO. Est-ce qu'un membre de l'UE comme l'Autriche peut, en arguant de sa neutralité rester à l'écart de l'OTAN et de l'UEO ?

R. : La France a annoncé, le 5 décembre 1995 qu'elle participerait dorénavant aux réunions des ministres de la Défense de l'Alliance et qu'elle prenait sa place au comité militaire de l'OTAN.

Elle est prête à l'avenir à participer pleinement à des structures militaires profondément rénovées, si celles-ci font une juste place au pilier européen de l'Alliance.

Nous souhaitons en effet que la rénovation de l'Alliance comporte le développement d'une véritable identité européenne de sécurité et de défense : les Européens doivent pouvoir assumer leurs responsabilités en matière de sécurité. L'UEO a dans ce contexte un rôle charnière à jouer en tant que composante de défense de l'UE.

S'agissant de la place de l'Autriche dans la nouvelle architecture de sécurité en Europe, c'est aux autorités autrichiennes de décider de la participation éventuelle de leur pays aux différentes organisations existantes. Pour sa part, la France se félicite du rôle actif que joue l'Autriche à l'UEO. L'Autriche, comme les autres partenaires européens observateurs à l'UEO, pourrait si elle le souhaite pleinement s'associer à des opérations de maintien de la paix que l'UEO pourrait mener à la demande de l'UE et avec les moyens de l'Alliance.

Q. : - Le chancelier autrichien Franz Vranitzky plaide pour l'ancrage d'une politique de plein emploi dans le futur Traité de l'UE. Cette ambition rejoint-elle le nouveau modèle social européen évoqué par le président Chirac ?

R. : Lorsque le président de la République a présenté le mémorandum « Pour un modèle social européen » à ses partenaires, il voulait avant tout rappeler que la construction européenne n'avait pas qu'une finalité économique et que la dimension sociale et humaine était essentielle.

Il faut donc que l'Union européenne contribue à soutenir les politiques des États membres en faveur de l'emploi. La dimension sociale est directement et étroitement liée à l'emploi. Le président de la République rejoint donc en cela les préoccupations du chancelier Vranitzky et des autres chefs d'État et de gouvernement.