Texte intégral
A. Ardisson : Lorsque C. Pasqua a parlé de « déconfiture du pouvoir », d'A. Juppé comme excellent directeur de cabinet de Jacques Chirac » ou de la « société française à la veille de la révolte » - c'était dans les coulisses d'une réunion du RPR – vous avez réagi par une affliction indulgente. Et puis, hier, il a récidivé et ça n'était pas de la peinture à l'eau. Êtes-vous toujours aussi indulgent ?
J.-F. Mancel : Je vais peut-être vous décevoir au plan de la polémique mais je crois que, chez les gaullistes, ce qui compte c'est de rassembler et non pas de diviser. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une situation difficile pour les Français. Le Gouvernement mène une action très courageuse, dans la ligne qui a été fixée par le président de la République. Et on a besoin de tout le monde pour remettre la France debout et en marche. C. Pasqua est un gaulliste, c'est un de nos compagnons, on a également besoin de lui, et je souhaite qu'il tienne le même langage que nous et que, même si parfois il a des divergences, ils viennent les exprimer chez ses compagnons, auprès d'eux, et on discutera ensemble.
A. Ardisson : Vous ne considérez pas qu'il a franchi « la ligne jaune » toutefois ?
J.-F. Mancel : Je crois qu'on n'a jamais intérêt, quand on est gaulliste, à parler des critiques aussi vives que celles qu'il a pu porter hier ou avant-hier. Mais je vous le dis : ce qui me paraît essentiel c'est toujours de rassembler et non pas de diviser. Et c'est vrai d'ailleurs pour l'ensemble de nos concitoyens. Pour se sortir de la situation dans laquelle les socialistes nous ont plongée, il faut que nous nous y mettions tous ensemble. Donc, rassemblons et gardons-nous de diviser.
A. Ardisson : Mais est-ce que ce qu'il a exprimé est le ressentiment voire l'amertume d'un homme seul ou bien est-ce qu'il exprime finalement la rogne de gens qui ont fait confiance à J. Chirac, à A. Juppé, et qui sont déçus ?
J.-F. Mancel : Je crois là, on dépasse la personne de C. Pasqua. C'est tout simplement les conséquences de la situation dans laquelle nous sommes. Nous menons une politique de redressement, je vous le disais, d'assainissement du pays, qui est une politique difficile et dure pour tout le monde. Nous le savons bien, nous en sommes bien conscients, nous entendons ce que disent nos concitoyens. En revanche, c'est un passage obligé, inévitable, pour que demain les Français vivent mieux qu'aujourd'hui. Alors, dans des situations aussi difficiles que celle-là, il est normal qu'ici, là, ailleurs, il y ait un certain nombre de gens qui protestent, qui ne soient pas contents, qui disent qu'il faudrait faire autre chose. Mais faire autre chose, c'est facile à dire. C'est moins facile à démontrer. Jusqu'à maintenant, je n'ai entendu personne qui propose véritablement une autre politique. A partir de là, je crois qu'il faut faire preuve de courage.
A. Ardisson : Sauf à décrocher des critères de Maastricht…
J.-F. Mancel : Sauf à décrocher… ce n'est pas tout à fait ça, c'est aller plus loin et dire : il faudrait fermer les frontières, il faudrait que la France se referme sur elle-même, il faudrait qu'on laisse le franc se dévaluer. Est-ce une bonne solution ? Regardez ce que nous venons d'obtenir hier : la vente de plusieurs centaines d'Airbus. C'est une extraordinaire victoire de la France, des Français et de l'Europe. Ça doit nous donner le moral et ça doit nous donner envie de continuer à nous battre et d'aller dans la bonne direction. C'est la raison pour laquelle je continue à penser qu'il faut faire preuve aujourd'hui de courage, d'obstination. C'est exactement ce que fait A. Juppé et il le fait parfaitement bien, et il le fait dans la ligne fixée par le président de la République. Et on va s'en sortir, je vous le dis, les Français vivront mieux demain !
A. Ardisson : Et il le fait pour combien de temps ? Jusqu'aux prochaines législatives ?
J.-F. Mancel : Il le fait jusqu'au moment où les choses iront mieux. Et j'espère qu'après, quand les choses iront mieux, il continuera.
A. Ardisson : C'est comme le refroidissement du fût du canon, ça peut demander un certain temps.
J.-F. Mancel : Hélas ! oui. Ça demande du temps, Et c'est ce qui justifie d'ailleurs, et explique bien l'impatience de nos concitoyens qui voudraient que ça aille plus vite. Mais c'est à nous aussi de leur faire comprendre que, dans une société comme la nôtre, une décision économique, une décision sociale ne peut porter ses véritables fruits, hélas ! Qu'après parfois un an et demi à deux ans – entre le moment où elle est prise et le moment où elle rentre dans la vie quotidienne des gens.
A. Ardisson : J'en reviens aux critiques de C. Pasqua : avez-vous senti une critique de la politique menée par A. Juppé, par son gouvernement ou au-delà, une critique directe du président de la République ?
J.-F. Mancel : Je crois qu'on ne peut pas faire de distinction entre la politique menée par A. Juppé et puis ce que veut J. Chirac. A partir du moment où J. Chirac fait une confiance totale à A. Juppé, la politique de J. Chirac c'est celle d'A. Juppé. Et si J. Chirac estimait que la politique que mène son gouvernement ne correspond pas à ce qu'il a envie de voir faire en, France, il changerait de gouvernement et de Premier ministre. A partir du moment où il maintient A. Juppé comme Premier ministre et où il lui maintient sa totale confiance – il l'a répété à plusieurs reprises -, je crois qu'on ne peut pas enfoncer le moindre coin entre la vision qu'a J. Chirac de l'avenir du pays et de l'avenir des Français et celle que met en oeuvre A. Juppé quotidiennement.
A. Ardisson : C'est dangereux d'une certaine façon ?
J.-F. Mancel : Non, ça veut dire tout simplement qu'il n'y a pas d'opposition – ce qui me paraîtrait quand même assez aberrant – entre le président de la République d'un côté, qui définit les grandes lignes de la politique du pays, et le Premier ministre qui les applique au quotidien. Il y a une confiance réciproque et il y a, pour A. Juppé, une action qui s'inscrit dans la ligne définie par le président de la République.
A. Ardisson : Pendant ce temps-là, vous voulez moderniser la vie politique, ceci explique d'ailleurs peut-être cela, vous avez entre autres décidé que les parlementaires ou les candidats parlementaires de plus de 75 ans seraient recalés aux investitures, ce que n'apprécient pas un certain nombre de sénateurs voire un certain nombre de députés qui se disent : après tout, on a fondé le RPR et maintenant, on nous jette comme un citron, pressé.
J.-F. Mancel : Il n'y a pas que ça, d'ailleurs, il n'y a pas que la limite d'âge. Dans les décisions que nous avons prises au sein de notre conseil national, je crois que nous avons été les premiers, la première formation politique à avoir le courage de mettre en oeuvre un certain nombre de décisions qui vont nous permettre d'apporter plus de démocratie à nos concitoyens, une plus forte participation des femmes à la vie politique, des règles de cumul des mandats beaucoup plus sévères que celles qui existaient jusqu'à maintenant et, c'est vrai, une limite d'âge.
A. Ardisson : Vous voulez bien les rappeler, sur le cumul des mandats ?
J.-F. Mancel : Sur le cumul des mandats, par exemple, beaucoup de Français nous disent : quand on est membre du gouvernement, on ne devrait faire que ça. Parce que c'est une tâche essentielle qui est très prenante. Nous proposons qu'un texte de loi soit élaboré qui empêche d'exercer tout autre responsabilité politique lorsqu'on siège au gouvernement.
A. Ardisson : Justement, qu'est-ce qui relève de la loi, du règlement intérieur, dans votre vision ?
J.-F. Mancel : Le cumul des mandats, c'est tout à fait la loi. En ce qui concerne les décisions intérieures, c'est la participation des femmes à la vie politique et nous avons par exemple décidé qu'une fois sur trois serait placée en position d'éligible pour les élections régionales. En ce qui concerne les élections législatives, il y aurait mixité entre le député candidat et le suppléant. Et cela relève de décisions intérieures. La limite d'âge, c'est aussi une décision intérieure. Un mot sur la limite d'âge, puisque que c'est la question que vous me posiez : c'est sûr que ce n'est pas facile à faire appliquer car nous avons chez nous des hommes, des femmes qui ont écrit des pages de l'histoire de France. Mais je crois qu'inéluctablement, on doit comprendre les évolutions de la société. Et chez nos concitoyens, il y a une demande de voir mise en oeuvre cette limite d'âge pour permettre le renouvellement et le rajeunissement de la vie politique. Alors, nous le faisons et avec beaucoup de considération, de respect et d'affection pour celles et ceux qui sont concernés. Mais je crois qu'il fallait le faire.
A. Ardisson : Êtes-vous gêné par le fait que vos collègues de l'UDF disent oui au non-cumul des mandats exécutifs mais, par contre, soient beaucoup plus réservés sur la limite d'âge ?
J.-F. Mancel : En ce qui concerne le RPR et l'UDF, on cherchera – et ça a été la volonté du conseil national – à trouver des solutions communes parce que nous sommes profondément attachés à l'union de la majorité. Mais en revanche, il est tout à fait normal que chacun puisse avoir ses positions. Le RPR a été le premier de toutes les formations politiques à délibérer sur ce sujet et c'est sans doute celui qui a choisi d'être le plus novateur, le plus courageux et le plus sérieux dans ce domaine. Et c'est ce qu'attendent les Français en ce qui concerne une vie politique plus démocratique et plus moderne. N'oublions pas que l'on va entrer, dans quatre ans, dans le XXIème siècle.
A. Ardisson : Est-ce que la mise en examen probable de X. Tiberi secoue le RPR ?
J.-F. Mancel : Je crois que, sur les affaires de justice, il n'y a pas de commentaires à faire. En revanche, ce que nous devrons faire sans aucun doute dans des délais brefs, c'est entamer une réflexion, qui soit la plus sereine possible mais qui est attendue par les Français, sur la place de la justice dans notre pays, sur son organisation, sur son fonctionnement, sur les moyens qui lui sont alloués. Car je crois que c'est une fonction essentielle de l'État, qui elle-même doit évoluer, compte tenu de l'époque à laquelle nous nous trouvons. Et cela, je crois que ça sera l'objet et ça doit être l'objet d'une réflexion générale qui s'insère dans le débat démocratique national.