Texte intégral
J.-P. Elkabbach : Quelle est, à votre avis, la meilleure méthode pour lutter contre le terrorisme, et en particulier le terrorisme du GIA exporté d’Algérie ?
R. Hue : Dans l’immédiat, la réponse la plus forte, la plus efficace, c’est le calme et le refus de nos concitoyens de céder à la pression terroriste. Alors, par ailleurs, des mesures sont prises par le gouvernement. Un certain nombre de mesures sont tout à fait légitimes, nécessaires. En même temps, il ne faut pas, à mon avis, confondre ou contribuer à faire confondre dans l’esprit des Français, les musulmans, les immigrés et le terrorisme, c’est très dangereux. On sait que l’odieux Le Pen, là-dessus, a essayé, dès hier, de récupérer l’affaire, ça révèle quand même des choses très inquiétantes pour la société et pour le monde. On voit bien que la société est confrontée à des fractures nouvelles, aux montées des nationalismes, des intégrismes, des fanatismes religieux. Tout cela appelle des réflexions sur l’avenir de la société française et du monde en général.
J.-P. Elkabbach : Dans l’immédiat, c’est « tous ensemble contre le terrorisme » et, en même temps, c’est une sorte de solidarité, certains disent « union sacrée », autant qu’on peut.
R. Hue : Pas « d’union sacrée », ces formules ne sont pas nécessaires. Les citoyens eux-mêmes réagissent en voyant bien la solidarité nécessaire, mais le gouvernement a des responsabilités singulières : il est au pouvoir, il doit mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire à la paix civile.
J.-P. Elkabbach : Le gouvernement les applique en ce moment ?
R. Hue : Il prend les mesures qui s’inscrivent dans cette démarche ; moi-même, maire de ma commune, je mets en place, depuis hier, le plan Vigipirate.
J.-P. Elkabbach : Il y a une montée des tensions sociales, on ne peut pas le nier. La prochaine semaine va être animée, le PCF va y participer abondamment. Votre objectif est-il d’abattre le gouvernement Juppé dans la rue et par la rue ?
R. Hue : L’objectif des communistes, c’est de contribuer à soulager tout ce qui peut soulager les peines, les violences que subit aujourd’hui la société et donc contribuer au mouvement social et donc contribuer à ouvrir une perspective politique. Je dois dire qu’il y a des choses qui se passent, importantes, de ce point de vue. La politique de régression sociale de pouvoir n’est pas fatale, un certain nombre de grande luttes sociales ou de prises de position fortes de l’opinion font reculer ce pouvoir. Et ça me semble tout à fait intéressant, cela donne du souffle, d’ailleurs, à mon avis, au mouvement social. Je pense à la privatisation de Thomson qui a été stoppée dans les conditions que l’on sait, où il y a eu à la fois les salariés qui ont riposté, mais aussi l’opinion. Vous savez, quand on met en cause – comme l’a fait avec un certain mépris, une certaine arrogance, le Premier ministre – ces atouts de la France que sont des sociétés nationales comme celles-là, c’est un peu de la dignité de la France qu’on mutile et qu’on brade, avec ses atouts. Et donc, face à ça, les Français ont réagi. Ce qu’il est important de noter, c’est l’évolution des choses. Regardez comment l’opinion est favorable à un certain nombre de mouvements, bien que n’y participant pas. On avait senti ça en 1995, cela paraît aujourd’hui encore plus évident avec les routiers, la sympathie des gens, parce qu’ils s’identifient.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que les politiques ne doivent pas faire aussi de la pédagogie, à coups de « manifestations » dans tous les secteurs : on arrête la mondialisation galopante ; on arrête la concurrence internationale qui fait les dégâts que l’on voit parce qu’on est dans un univers ouvert ? On ne peut pas nier les réalités et vivre les yeux fermés ?
R. Hue : Il ne s’agit pas de nier les réalités, ça ne serait pas efficace du tout. En même temps, on montre que les marges dont on nous parle, les contraintes dont on nous parle, la ligne peut bouger. La preuve, c’est qu’il y a un mois, aurait-on imaginé dans ce pays que les routiers auraient la retraite à 55 ans ? Ce n’est pas vrai.
J.-P. Elkabbach : Cela doit s’étendre ?
R. Hue : Oui, ça doit en tous les cas donner du souffle, une dynamique au mouvement social. Le mouvement social est nécessaire ; ça n’est pas négatif le mouvement social, à condition qu’il fasse reculer les initiatives de régression sociale de ce pouvoir.
J.-P. Elkabbach : On n’entre pas dans une phase accélérée et accentuée de protectionnisme et de nationalisme économique français ?
R. Hue : Ce serait mauvais, ce serait terrible, il faut au contraire défendre les intérêts de la France tout en ayant un regard sur l’extérieur, et le PCF propose à la fois une politique européenne très différente de celle qui est préconisée aujourd’hui et des ouvertures sur le monde.
J.-P. Elkabbach : Voulez-vous dire que vous, à gauche, vous avez la clé ? Peut-être le PCF, le PS… Est-ce que vous seriez prêts à gouverner ? Que feriez-vous face aux réalités si vous étiez au pouvoir aujourd’hui ?
R. Hue : Je crois que laisser penser un seul instant qu’il y a des recettes miracles et qu’on peut régler les problèmes d’un coup de baguette magique participe d’une démarche qui n’est pas bonne et c’est pour cela, d’ailleurs, que je veux dire que ça n’est pas parce que la droite connaît une certaine déconfiture dans l’opinion que la voie royale est ouverte à la gauche. Les Français sont conscients – on vient de le dire à l’instant – que cela ne peut plus durer comme cela, qu’il faut faire des choses, mais ils ressentent en même temps – je veux le dire ici – que la gauche ne s’est pas encore donnée de projet politique nécessaire à l’alternative politique. Tout cela manque beaucoup de visibilité parfois.
J.-P. Elkabbach : C’est une autocritique ?
R. Hue : C’est à la fois une autocritique, mais qui vise à être constructive quant à la nécessité de cette alternative à gauche, progressiste ; c’est aussi une réflexion par rapport à ce qui, aujourd’hui, peut apparaître comme des projets de toute la gauche et qui n’en sont pas.
J.-P. Elkabbach : Soyons clairs : vous parlez du projet économique du PS ?
R. Hue : Naturellement, je parle du projet du PS. Je pense que si dans un certain nombre d’objectifs il peut séduire, il reste qu’il ne se donne pas les moyens d’une véritable politique. Tout cela manque de visibilité et même de crédibilité et, je le dis ici : je suis inquiet – je le dis de façon unitaire – par rapport à cette attitude quant au projet actuellement proposé.
J.-P. Elkabbach : Les socialistes se comportent avec trop de certitudes, comme si c’était déjà fait ?
R. Hue : Non, mais j’entends beaucoup de gens dire « le projet socialiste, c’est le projet de la gauche ». Non. Légitimement, le PS a « son » projet, mais la gauche est plurielle, pluraliste. Négliger qu’il faut construire avec l’ensemble des forces de gauche les choses me semble devoir conduire la gauche à des impasses. J’ajoute que, quand j’entends, et sur votre antenne, Lionel Jospin – on comprendra mon esprit, qui n’est pas polémique – défendre pied à pied la monnaie unique presque de la même façon qu’Alain Juppé, je dis : c’est dangereux. Cela ne contribue pas à ce que, pour la gauche, ce soit lisible.
J.-P. Elkabbach : C’est peut-être réaliste pour quelqu’un qui se prend pour un futur gouvernant ?
R. Hue : Le réalisme, c’est d’avoir le courage de s’attaquer à l’argent qui domine cette société, de dire qu’il y a incompatibilité entre la monnaie et un certain nombre de grandes revendications sociales et réellement s’engager dans une politique de gauche. Le réalisme, ça n’est pas de niveler par le bas les prétentions de la gauche. Sinon, la gauche au pouvoir ne mettra pas en œuvre une vraie politique de gauche et ce sera un désastre politique. Voilà ce que je veux dire.
J.-P. Elkabbach : Vous voulez parler avec le PS ?
R. Hue : Je parle avec le PS.
J.-P. Elkabbach : Plus structurellement ?
R. Hue : Oui, mais ce qu’il faut, c’est que les citoyens donnent leur avis, c’est ça, aujourd’hui.
J.-P. Elkabbach : Je rappelle que vous avez votre XXIXe congrès, que c’est toujours une date importante un congrès du PCF. Il va avoir lieu dans une dizaine de jours et vous me direz à ce moment-là ce que vous voulez faire émerger dans le PCF. Moi, je voudrais vous demander ce que vous pensez de la retraite de Georges Marchais. Qu’a-t-il fait de bien ?
R. Hue : Je crois que Georges Marchais a beaucoup contribué à ce que les changements puissent se faire.
J.-P. Elkabbach : Il ne l’a pas fait trop tard ?
R. Hue : Écoutez, d’une façon générale, le Parti communiste avait pris du retard et c’était avant Georges Marchais. Georges Marchais a contribué, dans les année 70 et 80, à rompre avec le modèle soviétique. Il a ouvert un certain nombre de pistes, avec d’autres à la direction du Parti communiste.
J.-P. Elkabbach : Il a pris du temps, non ?
R. Hue : Mais l’essentiel, c’est là où nous en sommes aujourd’hui. La mutation qui s’opère n’est pas une mutation qui participe du principe de la génération spontanée, elle vient aussi sur une démarche de longue haleine.
J.-P. Elkabbach : Qu’est-ce qu’il y a eu de plus négatif dans le bilan de Georges Marchais ?
R. Hue : Je pense qu’aujourd’hui, je suis tourné vers ce qui est positif, vers la mutation et je pense que l’on a été très injuste avec Georges Marchais et avec sa période à la direction du Parti communiste. Nous avons chacun nos façons de faire.
J.-P. Elkabbach : Il n’y a rien de négatif ?
R. Hue : Je ne dis pas cela. Qui peut prétendre, dans la société aujourd’hui, qu’il n’y a pas quelque chose de négatif quelque part ? Moi, en tout cas, je suis tourné vers la mutation nécessaire qui va se poursuivre et s’accélérer.