Interview de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, à RTL le 29 novembre 1999, sur les conditions de l'ouverture du dialogue sur l'avenir de la Corse et sur les dysfonctionnements des services de l'Etat révélés par les rapports parlementaires sur la Corse.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Tous les journaux le remarquent ce matin : il y avait peu de monde, peu de Corses pour protester contre la violence, samedi à Ajaccio.

- « Oui mais ce n'était pas la manifestation organisée comme celle d'il y a 15 mois. On compare les chiffres avec ceux consécutifs à la mort du préfet Erignac, ce n'est pas la même chose. Le maire d'Ajaccio a dit : "Rassemblez-vous devant la préfecture." J'ai failli ne pas y aller. J'étais à Bastia, le matin, je me suis décidé à midi à descendre. Il est difficile de faire des comparaisons. La mort du préfet Erignac a été quand même un choc émotionnel sans précédent. »

Beaucoup pensent que si les poseurs de bombes et autres personnes cagoulées en Corse sont si peu souvent interpellés, c'est tout simplement parce qu'ils sont un peu comme des poissons dans l'eau au milieu de la population.

- « Je ne le pense pas. D'abord, ils sont de plus en plus souvent interpellés. Il faut bien dire qu'il y a eu des résultats, des élucidations, des gens qui sont déférés en justice... »

Oui, mais il y a plus de bombes aussi !

- « Non, ça va et ça vient ! Je vais vous dire : j'ai entendu apprécier le fait qu'il y avait eu plus de bombes récemment qu'il y a quelques mois plus tôt. Ce n'est pas tellement une question de protection, de fermeté à l'égard des plastiqueurs. Je crois que le Gouvernement mène une politique très ferme. Il y a des attentats lorsque des violents ont l'espoir qu'ils vont peut-être pouvoir aboutir. Cet espoir est entretenu par certains discours et quelquefois par le trouble qui peut être jeté par certains événements. »

Qui proposent ces discours ?

- « Quand j'entends M. Rossi qui dit : "Il faut se réunir, chercher des solutions politiques", quand j'entends M. Léotard dire qu'il faut de l'autonomie à la Corse, etc., on donne aux violents l'espoir que la violence va être payante. Ils se disent : "Encore un petit coup et l'on va y arriver." Il ne faut pas leur ouvrir l'espoir. »

On a entendu M. Giaccobi, président du Conseil général de Haute-Corse, un de vos amis Radical de gauche, dire : « Je ne comprends pas le lien établi entre le dialogue et le renoncement à la violence. »

- « Il ne l'a pas dit comme ça. P. Giaccobi a dit qu'à titre personnel, il avait l'esprit ouvert à des évolutions. Bien sûr ! L'évolution est inscrite dans les réflexions de tout le monde. Dans la France entière on réfléchit bien sur la décentralisation ! Ce qui, à mon avis, est malsain, c'est d'entrer dans des discussions qui légitimeraient, en quelque sorte, la qualité d'interlocuteurs à ceux qui ont pratiqué la violence. Si l'on agit comme cela, que va dire la population ? Elle va penser qu'on va les livrer pieds et poings liés aux violents. »

Qui légitime la violence ? M. Talamoni, par exemple ?

- « Absolument, et de manière scandaleuse. Les pitreries ou les feintes par lesquelles on condamne l'attentat mais sans condamner ceux qui l'ont commis, c'est prendre les gens pour des imbéciles, et l'on déstabilise évidemment l'opinion. Et si, demain, on fait mine de parler d'évolution interne avec ces gens-là, dans un contexte où ces gens-là n'auraient pas changé de position, on déstabilise la population. »

M. Talamoni a fait campagne sur les thèmes qui sont les siens aujourd'hui. A l'époque, on ne lui a pas interdit de faire campagne sur ces thèmes, on n'a pas déclaré illégaux ces thèmes électoraux, et il a été élu avec 17 % des suffrages pour sa liste.

- « Oui, mais dans ces cas-là, il y a toujours beaucoup de refus. Les commentateurs, les responsables politiques qui ne sont pas dans la mouvance de M. Talamoni, il faut qu'ils soient responsables ! Et il ne faut pas qu'ils prennent des positions qui apparaîtraient comme des encouragements à ce type de comportements. »

N'y a-t-il pas une sorte de sympathie diffuse de la population ? Souvent des témoins qui vont en Corse relatent que lors de manifestations culturelles ou de concerts, il y a une sympathie plus ou moins discrètement affirmée envers Y. Colonna.

- « Non. C'est une infime minorité. Ce que je reprocherais à mes concitoyens et à l'ensemble de ceux qui exercent des responsabilités c'est de ne pas effacer certaines inscriptions tout à fait scandaleuses et anormales. Oui, c'est vrai, c'est vrai, il y a un peu de scepticisme. Il faut le combattre ! Ce gouvernement est celui qui met en place la seule politique qui puisse réussir en Corse. Il l'a fait depuis deux ans. Pendant 25 ans, on a fait tout et n'importe quoi. Cette politique est simple : elle a au moins le mérite de donner des repères à la population. On va appliquer la loi tranquillement et l'on va développer la Corse. C'est tout simple. Il ne faut pas venir perturber la lecture. Et l'attentat, il est destiné à perturber la lecture de l'action du Gouvernement. Il ne faut pas tomber dans le piège. »

Que répondez-vous à ceux qui pensent que si les Corses veulent rester français et se sentent français, ils devraient participer un peu plus activement au rétablissement de l'Etat de droit ?

- « Il demeure que lorsque les Corses sont appelé à voter, votent à 80 % ou plus pour la République. D'autre part, si les Corses n'ont pas participé de manière beaucoup plus active, c'est que pendant de longues années ils ont pu penser que les services de police n'étaient pas sûrs ; s'ils venaient se confier à la police, ils ne savaient pas où allaient leurs témoignages. Cela induit une certaine prudence. Mais maintenant, tout est transparent. On a "daubé" sur certains dysfonctionnements au sein de la police, de la justice. Mais, maintenant, tout cela se sait. C'est la différence avec ce qu'il y avait avant : avant on n'en parlait pas. »

Les dysfonctionnements mis en lumière par les derniers rapports parlementaires, notamment celui de l'Assemblée nationale, doivent amener une réorganisation des services de l'Etat ?

- « Je ne sais pas. Certainement une plus grande vigilance et d'autre part rassurer les citoyens, parce que, maintenant, on sait et on dit les choses. Il y a maintenant des commissions d'enquête parlementaire. Maintenant, la justice fait son travail. Maintenant, les ministres vont s'exprimer et sont entendus par des commissions d'enquête parlementaire. »

Ces rapports parlementaires sont positifs ?

- « Comme dans tout il y a de l'outrance, mais il y avait des propositions qui ne paraissaient pas tout à fait fondées. Mais le fait qu'il y ait cette expression, à défaut de ne dire que des choses parfaitement exactes et quelquefois de créer un peu de trouble dans la population, au moins maintenant, les choses sont dites. »

M. Chevênement devrait faire le ménage dans les services de police ?

- « C'est son problème. »

Mais vous êtes au Gouvernement quand même !

- « Oui, d'accord !... »

Quel est votre sentiment là-dessus. Ils sont bons les services de police ?

- « Ecoutez, ne posez pas la question comme cela ! Il y a des gens qui travaillent très bien, il y a des dysfonctionnements. Le ministre de l'Intérieur amènera les remèdes qu'il faut. Mais au moins maintenant, les choses sont dites. Ce n'était pas le cas avant. »

Oui, mais s'il n'y a pas de conséquences, cela sert à quoi que les choses soient dites ?

- « Il y aura des conséquences, évidemment ! Mais, pour l'homme de la rue, je pense que c'est plus rassurant. Et à ce prix-là, les Corses vont pouvoir se mettre vraiment dans le jeu, à condition, encore une fois, qu'on n'ait pas l'air d'encourager les violents et qu'on ne leur donne pas l'espoir que la violence sera payante. »