Déclaration de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à Paris le 12 octobre publiée dans "Français d'abord" de la première quinzaine de décembre 1996, sur le patriotisme, l'histoire de la France, le combat du Front national "face à la décadence" et sa justification de l'expression "inégalité des races".

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Circonstance : XIIème colloque organisé par le conseil scientifique du Front national sur le thème "les origines de la France" à Paris les 12 et 13 octobre 1996

Média : Français d'abord

Texte intégral

Une certaine idée de la France, la formule est du général de Gaulle et a fait florès. Mais, bien sûr, la France n’est pas seulement une idée, ni le patriotisme une idéologie.

Il n’y aura pas de France sans Français et l’existence, la pérennité, la force et donc l’avenir de la France sont liés à la qualité de la relation que les Français ont avec leur pays.

Il faut d’abord qu’ils soient assez nombreux pour occuper son territoire et assez forts pour le défendre.

Il est nécessaire que le peuple ait conscience de ses droits et de ses devoirs et la volonté de les faire valoir.

Celui-ci doit être homogène, ce qui conduit à n’admettre qu’un nombre d’étrangers compatible avec sa sécurité et sa prospérité. Enfin, il doit être gouverné.

Pas de France sans Français

Le patriotisme s’apparente à l’idée de propriété transmissible, garante de la sécurité et de l’avenir de la progéniture. Le territoire, nous disent les éthologues, est ressenti comme une nécessité vitale de survie par l’animal lui-même.

Mais le petit d’homme doit être civilisé, et les règles de la vie en société doivent lui être apprises. Naguère, elles l’étaient dans la famille, à l’école, à l’armée.

Le grand risque de notre temps, c’est qu’elles ne le soient plus. Or, il n’y a pas de nation sans éducation.

Il est aujourd’hui proposé à notre pays et aux pays européens dont l’émulation, les luttes, ont écrit une grande partie de l’histoire du monde, de disparaître au sein d’un ensemble sans frontières, sans volonté de puissance, uniquement tourné vers l’activité » économique et commerciale sous la férule de Big Brother et de sa police de la pensée unique.

Outre que le temps ne semble pas faste aux empires, ce monstre dinosaurien serait voué à une subordination politique, à une ruine sociale et à une asthénie culturelle irrémédiable.

Qui oserait, à part peut-être quelques traîtres, accepter qu’en échange de ce leurre, la France, morte de terre dans la main du paysan, horizon du marin, berceau de l’enfant, tombeau du héros, mère des arts, des armes et des lois, la France, fille aînée d’Athènes et de Rome, fleuron de l’histoire [Illisible], disparaître ?

La dame mystérieuse

Pour moi, la France, ce fut d’abord le nom d’une dame mystérieuse que j’ajoutais dans ma prière du soir, sur les genoux de ma mère, à ceux de papa et de maman.

C’est pour elle, m’avait-on dit, que s’en étaient allés et n’étaient jamais revenus, les gars du pays dont les noms couvraient le monument de granit au centre du village, et pour elle, que s’étaient battus tous ceux qui n’étaient pas morts et qui défilaient le 11 novembre derrière les drapeaux tricolores, avec, au milieu d’eux, mon grand-père et mon père avec de belles médailles comme celles de l’école.

Cette école où l’on m’avait appris, comme première chanson, celle dont le refrain disait :
    « Nous aimons la patrie.
    Étant tous bons Français.
    À toi France chérie.
    La grandeur et la paix. »

La France, ce fut pour moi, sur la carte d’Europe, un grand hexagone rose avec en bas une île, celle de Napoléon.

Il y avait aussi, très loin, une autre France qui n’était pas d’ici, et où s’en allaient beaucoup de marins, c’était la France outre-mer avec toutes ses tâches roses sur la carte du monde et qui me faisait citoyen des sept océans.

D’autant plus citoyen, que quand mon père fut lui aussi « mort pour la France », je fus nommé pupille de la Nation, un peu plus fils de France, somme toute.

Voilà comment chez nous, l’âme française venait aux petits garçons.

Car, la France, c’est d’abord une géographie, un territoire avec sa terre, ses mers, ses fleuves, ses montagnes, son ciel, ses nuages, son climat, avant d’être une histoire, roman vécu d’un peuple qui s’est peu à peu défini, identifié dans ses différences, ses alliances, ses affrontements. Peuple d’ouvriers, de paysans, de marins, de soldats dont la chair et les os, à chaque génération, se sont fondus dans la glèbe nourricière.

Espace de sécurité, de liberté, de prospérité, véritable pôle attractif pour les rivaux, peuplades ou armées ennemies de pillards ou d’envahisseurs, mais aussi pour l’élite étrangère, s’y intégrant par adhésion individuelle sans provoquer, ni justifier de phénomène de rejet.

C’est un patrimoine construit de mains d’hommes et de femmes au long des siècles, peut-être le plus riche du monde par son étendue, sa variété, sa qualité.

Par les aléas que comportait son destin, elle n’a eu de chance et de sens que par la volonté des hommes, leur amour, leur travail, leurs sacrifices, leur génie.

Vercingétorix et Clovis

Ce sont les révoltes de Camulogène et de Vercingétorix qui exprimèrent les premières aspirations à l’indépendance, sans laquelle il n’y a pas de nation. Mais, c’est à Clovis, baptisé par Rémi, qu’il appartiendra de créer l’acte fondateur et de donner avec le nom de son peuple, un contenu géographique et historique organisé à ce qui sera bientôt la France.

Pendant plus d’un millénaire, la descendance des Mérovingiens, Carolingiens, mais surtout Capétiens, en sera la colonne vertébrale.

L’épopée de la France s’articulera autour de la saga personnelle de la dynastie des rois de France, créant les conditions qui président à l’homogénéisation du peuple français avec sa langue et ses riches particularités.

La géographie sera le cadre de cette politique à dimension humaine tendant à atteindre les limites naturelles du pré-carré, moins bien définies aux plaines du nord-est, et dont naîtront de millénaires affrontements aux alentours du fleuve européen médian qu’est le Rhin. Les peuples sont forgés par la nature, par les chances qu’elle offre et les difficultés qu’elle engendre. Une nature trop farouche, trop inhumaine, sclérose : une nature trop généreuse amollit et expose aux appétits de prédateurs. Parce ce que cette nature est chez nous, variée, équilibrée, tempérée, parce que la France est au carrefour des nations d’Europe, son histoire sera riche de combats, d’échecs, de chutes et de sursauts, de gloire aussi.

Je voudrai pouvoir égrener comme une litanie les noms que lui donnèrent ses amoureux et ses poètes, mais le temps, le terrible temps, me presse.

À contre-courant des idées molles

Constater que nous traversons une époque de décadence, pleine d’angoisses, de doutes, d’incertitudes, une période de crise profonde à l’orée d’un nouveau millénaire, peut apparaître comme une banalité. Mais, ce qui semble être une vérité évidente pour l’homme de la rue ne l’est visiblement guère pour le sociologue du CNRS ou le faiseur d’opinion des cafés du boulevard Saint-Germain. Quant à l’homme politique de cette fin de vingtième siècle, trop couard pour dire la vérité et trop veule pour braver les nouveaux tabous, il dit ce que les loges, les médias, les lobbies de tout poil lui intiment de dire.

Aller à contre-courant de la marée rose des idées molles équivaut à être mis au ban de la société. De la sorte, émettre la simple constatation que les races sont inégales, surtout quand on s’appelle Le Pen, aboutit à se faire administrer des volées de bois vert par les nouveaux bien-pensants. Qu’importe ! Et pourtant, elle tourne, aurait dit Galilée ! Les faits sont têtus comme aimait à le répéter Lénine, et les subtilités sémantiques comme les logorrhées dialectiques ne peuvent en rien modifier la nature du réel.

On peut cependant légitimement s’étonner de l’importance accordée par certains commentateurs malveillants à l’expression « inégalité des races », prononcée en réponse à une question perfide d’un journaliste lors de l’université d’été de Front national. Dire que les races connaissent des développements culturels différents, et donc qu’elles sont inégales entre elles à un moment donné de l’histoire et à leurs stades respectifs d’évolution, est une simple contestation et ne constitue nullement un jugement de valeur. Ce n’est en aucune manière être « raciste ». Mais, il est vrai qu’énoncer de semblables truismes équivaut à s’exposer aux critiques acerbes des pseudo-autorités morales et autres gardiens de la pensée du politiquement correct. C’est dire si le combat des idées, si les combat pour la liberté de penser, s’inscrit au cœur même du débat politique. Il n’est pas inutile à ce jour de noter que le sondage de l’IFOP commandé par L’Express mais jamais publié révèle qu’à la question : « Croyez-vous à l’inégalité des races ? » 55 % des personnes interrogées ont répondu, oui, et 25 %, non.

Nos modernes sophistes ont engagé contre moi une querelle d’Allemand, mais se sont pris les pieds dans le tapis en ouvrant le débat sur l’inégalité. Car, le monde est dans sa nature même un ordre subtil constitué de hiérarchies. L’égalité n’existe qu’en droit. Pour le reste, clic n’est qu’une chimère. Et, il est piquant de

Nos modernes sophistes ont engagé contre moi une querelle d’Allemand, mais se sont pris les pieds dans le tapis en ouvrant le débat sur l’inégalité. Car, le monde est dans sa nature même un ordre subtil constitué de hiérarchies. L’égalité n’existe qu’en droit. Pour le reste, elle n’est qu’une chimère. Et, il est piquant de constater que les rhéteurs d’opérette qui nous font ce procès, ignorent que le problème du même et de l’autre est aussi vieux que la philosophie elle-même. Qu’ils relisent donc le dit du vieux Parménide, et surtout, le dialogue de Platon qui porte son nom… S’ils sont honnêtes, ils feront leur miel de ce raisonnement en même temps que leur mea-culpa !

Oui, il y a inégalité des races comme il y a inégalité des civilisations. Je persiste et signe, et précise que sans inégalité, la France ne serait pas la France.

À la vérité, le « racisme » est devenu un moderne croquemitaine que les pseudo-autorités morales agitent tous azimuts pour effrayer l’électeur. Être fier d’être Français, revendiquer haut et fort son appartenance à cette nation à nulle autre pareille, est-ce donc aujourd’hui condamnable ? Nos adversaires voudraient confondre et assimiler la défense de l’identité au racisme. C’est une ruse dialectique sans grande finesse. Le Front national reconnaît comme socle fondateur de notre société l’appartenance à une communauté de destin appelée nation. Une telle conception se situe à l’opposé du racisme biologique auquel les obsédés de « antiracisme » font aujourd’hui allusion. Peu importe la race, la religion ou l’opinion philosophique, dès lors qu’à l’instar du Front national, on reconnaît la nation comme cadre essentiel du développement harmonieux des rapports humains.

La France, un destin

Or, s’efforcer de définir une certaine idée de la France est un exercice délicat. Car, il revient à s’interroger sur son identité comme sur son devenir. La France n’est-elle qu’une idée ? C’est peu probable, j’y reviendrai plus loin. Mais, il est clair de prime abord, que la France, c’est d’abord un destin forgé au cours d’une histoire.

La France doit son nom à une peuplade germanique que le médiéviste, Pierre Vial, connaît bien. D’aucuns voudraient nous faire accroître, et Jean-Yves Le Gallou a dénoncé cette mystification, que la France serait une terre d’immigration et notre peuple, le fruit d’un métissage permanent. Cela est faux, Renan le savait, lui qui disait que « la population française se compose d’un petit nombre de races toutes apparentées entre elles et mêlées dans des proportions qui, malgré des apports réduits et sporadiques, n’ont guère changé depuis mille ans ». Renan écrivait cela à la fin du siècle dernier. Mais, il est vrai que ces cinquante dernières années, la France s’est davantage modifiée qu’en vingt siècles. Car, les grandes invasions germaniques qu’évoque Jean-Marc Brissaud (dans « Clovis, roy des Francs », Éditions Nationales 1996, ndlr), ne faisaient somme toute que compléter et recouvrir d’autres invasions de même origine et de même source indo-européenne. La France, c’est cette subtile fusion de trois héritages d’une même origine, un héritage celte, un héritage latin, un héritage germanique. Ces trois composantes ont donné à notre peuple et notre territoire ce visage si particulier et si raffiné qui force l’admiration du monde entier. La France stricto-sensu est née à l’aube du Moyen-âge, de l’union subtile du vieux fond indo-européen et du christianisme. Ces facteurs biologiques, culturels et spirituels, firent que notre peuple resta homogène durant des siècles et put connaître le développement harmonieux qui fut le sien.

Une entité vivante

Le baptême de Clovis a consacré l’irruption de la France comme entité vivante sur la scène de l’Histoire. Mais, elle pré­existait à cette communion. Ce que nous appelons la France ce n’est pas seulement un territoire, c’est la somme des efforts, des sacrifices, des larmes et du sang qui ont été versés au cours des siècles pour que notre pays devienne ce qu’il est. En ce sens, nous sommes les héritiers des dizaines de générations qui se sont succédé pour donner à notre pays le visage harmonieux qui, aujourd’hui, est le sien. Nous sommes les héritiers des bâtisseurs de monastères, des constructeurs de forteresses, des tailleurs de pierres des cathédrales, les héritiers des soldats de Jeanne d’Arc, des grognards de la Grande Armée, des poilus de 14. Cette terre de France ne se réduit pas, bien sûr, à la simple évocation de l’hexagone. Elle s’incarne plutôt dans la longue litanie de ces hauts lieux où souffle l’esprit dont Maurice Barrès nous entretient en ouvrant sa « Colline inspirée ». C’est ce souffle épique qui parcourt des siècles d’Histoire, qui vient à présent s’affaiblir et échouer sur les rivages du troisième millénaire.

Face à la décadence

À contempler les hauts faits de la Geste des Francs, il est faible de dire que nous sommes en décadence. En vérité, nous sommes entrés dans ce processus depuis déjà longtemps. Le seul fait de l’affirmer constitue, aux yeux des adeptes de la modernité, une hérésie. Mais, le mythe du « Progrès », fruit empoisonné des Lumières, est en train de se consumer. Il a fait long feu. Gageons que bientôt, les historiens de l’avenir reconnaîtront que toutes les époques ne se valaient pas, qu’elles n’étaient pas égales entre elles. Il est des temps propices aux renaissances, d’autres enclins aux décadences. Il est des périodes où le temps se durcit, d’autres où i s’écoule avec fluidité. Mircéa Eliade comme Georges Dumézil ou Fernand Braudel le savaient, eux, qui distinguaient dans notre passé et dans le passé de l’humanité des périodes d’inégale intensité.

La France traverse aujourd’hui une période clé de son Histoire. Les périls qui la menacent mettent en jeu son existence même. Ce n’est pas seulement notre bien-être, notre confort, qui se trouvent menacés, mais notre substance même, substance biologique, substance morale, substance spirituelle. Depuis plus de 20 ans, le Front national, à l’instar de Heimdal aux portes de Asgard, sonne le cor pour annoncer l’arrivée des périls qui mettent en danger l’équilibre et l’existence même de notre société.

Pourquoi avons-nous si souvent raison contre l’établissement ? Ce n’est pas que nous lisions l’avenir à l’instar des augures ou des aruspices ! Mais, notre bon sens et notre intuition nous permettent de deviner, de déceler, et de dénoncer les menaces présentes et à venir. Nous n’avons pas la prétention d’être les seuls à avoir accompli une semblable démarche. D’autres l’ont fait avant nous. Les théoriciens du déclin de l’Occident, de Joseph de Maistre à Maurice Bardèche, en passant par Louis de Bonald ou Edmund Burke, ont suffisamment montré comment la perte des valeurs qui ont fait la grandeur de notre civilisation a constitué une fatalité pour notre pays. D’autres penseurs et philosophes se sont efforcés de mettre en relief tout ce que nous devions à la Tradition, et ont mis en évidence le rôle essentiel que constitue la connaissance vécue d’une sagesse primordiale pour toute entreprise sérieuse de renaissance politique. L’Occident a sombré dans le matérialisme absolu. Celui-ci peut bien, à l’instar de Janus, avoir deux visages intitulés tour à tour « libéralisme » ou « socialisme », il n’en demeure pas moins que l’absence de morale, l’extinction de toute mémoire, le refus de respecter l’ordre naturel des choses conduisent l’homme sur la voie de l’ubris, c’est-à-dire, vers la démesure, cet aveuglement de l’homme qui le conduit à sa perte et qui constituait aux yeux des Grecs, le défaut majeur de toute civilisation entrant en dégénérescence.

Respecter l’ordre naturel du monde

Notre ami Blot, dans son intervention, nous parlera de ce que nous devons à l’héritage antique. Mais, d’ores et déjà, nous pouvons poser comme principe de base qu’une politique digne de ce nom ne peut en aucun cas se dissocier de l’ordre naturel du monde, et qu’en conséquence, tous les constructivismes, de quelque nature que se soient, amènent inéluctablement la chute de l’homme et sa réduction en esclavage. Chacun sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pour notre part, nous préférons tirer nos leçons de l’observation des lois naturelles et des expériences des Anciens, plutôt que des manuels sulfureux des idéologues.

Qu’il soit bien clair aux yeux de tous, que nous n’avons pas pour ambition de réaliser le paradis sur terre, car sur terre, il n’y a pas de paradis, ni rouge, ni rose, ni même tricolore. Ceux qui s’y sont essayés ont inéluctablement échoué dans les méandres des goulags ou des camps de concentration. Nous qui savons regarder la voûte céleste avec humilité, connaissons la vanité de toutes les entreprises terrestres. Perdus parmi des milliards de galaxies, nous ne prétendons pas connaître l’alpha et l’oméga de toutes choses. Nous nous contentons de constater que pour vivre en bonne intelligence avec les siens, l’homme doit se garder de toute démesure, de toute utopie, et qu’il ne peut construire qu’en respectant l’ordre naturel des choses. Si d’aucuns parmi vous en doutaient, qu’ils se souviennent seulement de l’affaire de la vache folle. On n’enfreint pas impunément les lois de la Vie...

Le sursaut héroïque

Le processus de pourrissement des sociétés commence toujours par l’inobservation des lois fondamentales de la vie et de la nature. Or, notre époque est, dans son essence même, négatrice des valeurs qui ont fait la grandeur de notre civilisation. On retrouvera notre splendeur passée, non pas en se lamentant, mais en prenant conscience de l’aspect éminemment tragique de de notre situation, et surtout en provoquant le sursaut héroïque, seul capable d’empêcher la course à l’abîme. En ce sens, l’homme politique digne de ce nom a un rôle essentiel à jouer. Et, c’est la conception qu’il a de la France qui doit le guider dans son action.

Le devoir de l’homme politique ne consiste pas seulement à gagner des élections, mais bien à assurer à la société dans laquelle il vit, son équilibre et son harmonie. Or, l’équilibre s’obtient par rapport à des pôles, à des repères, à des perspectives. Nous refusons le « tout vaut tout » de l’ère contemporaine et du New Age. Nous croyons, ou plutôt, nous voyons, par l’expérience, en observant le monde autour de nous, que la diversité engendre l’inégalité, et que tout dans la société est une question de rapport de force, de puissance, d’attirance ou de répulsion.

À cet égard, ce que nous enseignent les sciences sociales les plus modernes comme l’éthologie, c’est-à-dire, la science du comportement, qui connut ses lettres de noblesse grâce aux travaux du prix Nobel allemand, Konrad Lorenz, n’est guère différent de ce qu’annonçait le prophète et thaumaturge Empédocle d’Agrigente, il y a de cela vingt-cinq siècles. Le monde est le lieu de l’affrontement des puissances. La haine et l’amour sont les deux forces qui non seulement régissent la matière, mais encore font se mouvoir, et les hommes, et les dieux.

Notre conception du politique est fondée sur l’observation des lois du monde. Notre conception de l’État est donc une conception organique, c’est-à-dire que nous voyons la nation non pas comme la simple addition d’individualités, mais comme un grand corps qui vit, croît et dépérit, en fonction des âges et des épreuves qu’il traverse. Les remarquables travaux menés par des médecins comme Gustave Le Bon, Alexis Carrel ou Carl-Gustav Jung, prouvent à l’évidence que les peuples ont une âme. La psychologie des profondeurs nous en apprend bien plus sur l’état de désarroi dans lequel se trouve aujourd’hui notre peuple que toutes les études statistiques aseptisées de l’INSEE. L’homme politique doit en tenir compte. L’être humain ne se nourrit pas seulement de pain et de vin. Il doit aussi nourrir son âme. Or, comme l’avait prédit Max Weber, le désenchantement du monde a gagné nos civilisations vieillissantes. Quand la sève n’irrigue plus le bois, le chêne s’étiole et dépérit. Pour ce grand corps social qu’est la nation, il en va de même. Quand l’esprit qui l’anime s’évanouit, quand le souffle épique agonise, quand la volonté de vivre cède la place à une dangereuse fascination pour la mort lente, quand on préfère survivre couché plutôt que vivre debout, quand le Veau d’or de la bourse a supplanté dans les cœurs les flèches des cathédrales, alors, le juste sait que son peuple se trouve au bord du gouffre.

Autrefois fiers et puissants...

Nos ancêtres ont conquis des empires, défriché des sols inhospitaliers, construit des barrages, asséché des marais, fécondé des terres. Hier, nous étions fiers et puissants. Nous voici à présent complexés et faibles. La vieille Europe a entamé sa course à l’abîme par un grand suicide collectif, consacré par deux guerres civiles européennes où sont tombés les meilleurs de ses fils, dans ces orages d’acier qu’évoquait si intensément l’écrivain Ernst Jünger. Depuis, elle n’a cessé de décliner, de s’abaisser, de renoncer, de reculer, perdant un à un ses comptoirs, ses colonies, les emblèmes de sa puissance, les lambeaux de sa souveraineté. Nous y avons perdu aussi notre honneur, notre dignité, noire identité.

La conception que j’ai de mon pays est aux antipodes de ce constat tragique.

Ma conception de la France est d’abord une approche poétique et spirituelle d’une réalité.

Aucun déclin n’est inéluctable. Le soleil est chaque jour nouveau et la vie commence toujours demain. Et comme le dit le poète, il faut croire au soleil car, il revient toujours. Cette conception de la France qui est la mienne, peut apparaître comme irrationnelle à certains. Qu’importe ! Je crois que notre patrie bénéficie de la Grâce du Ciel, je crois que les mânes de Jeanne étendent leur sainte protection sur notre pays. Le philosophe Fichte, dans ses « discours à la nation allemande », affirmait la prédestination métaphysique du peuple allemand. Je crois plus modestement que notre peuple bénéficie d’une mission particulière dans son devenir historique, qu’il incarne une certaine manière de concevoir l’homme et sa place dans le monde, qu’il est porteur d’un humanisme au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire, qu’il s’efforce de mettre en valeur ce qu’il y a de beau et de bon dans l’homme, conformément à l’idéal antique de la « Paideia ».

Le combat pour la survie

Consacrer un colloque aux origines de la France me paraît être à cet égard un acte politique tout à fait essentiel. En effet, dans un monde prisonnier du matérialisme, qui se nourrit de la confusion des esprits, de la perte des repères, et de la négation des identités, notre combat apparaît dans toute sa terrible grandeur. Car, ce qui est en question en cette fin de siècle, c’est moins la préservation des intérêts acquis ou le maintien illusoire d’un éphémère niveau de vie, que la survie même de la France en tant qu’entité historique et méta-historique. Nous ne nous battons pas pour des prébendes, des passe-droits ou des privilèges, mais bien pour que la France soit encore la France à l’aube du troisième millénaire.

Disons-le sans ambages : au clivage gauche-droite qui s’estompe peu à peu en même temps que s’évanouissent les brumes de la guerre froide, succède un nouveau clivage qui se développe à l’échelle planétaire. Il voit s’opposer les défenseurs de la nation et les sectateurs du mondialisme. Le Front national est le fer de lance de ce combat identitaire. Il porte sur son étendard, inscrits en lettres d’or, l’indéfectible croyance en la renaissance de notre nation. Et, de tous les points du globe convergent vers nous des messages d’espoir et de soutien. Parce que la machine à broyer les peuples, dans sa volonté démentielle de domination universelle, se heurte fatalement un jour à des résistances. Le Front national incarne cet esprit de résistance, celui qui animait aussi bien Vercingétorix que d’Estienne d’Orves. Le nouvel ordre mondial, au fur et à mesure de son expansion gigantesque, multiplie bien malgré lui les prises de conscience et suscite les réactions, sans lesquelles les peuples seraient condamnés à ne plus exister autrement que sous la forme d’agrégats d’individus considérés seulement comme des consommateurs.

À ce titre, nos réflexions, nos initiatives, notre engagement militant, constituent autant de points de référence historique, dont nous ne mesurons pas toujours pleinement, ni l’effet immédiat, ni les conséquences lointaines. Nous sommes entrés de plein pied, pour paraphraser Oswald Spengler, dans des années décisives. Ceux qui l’emporteront dans cette lutte titanesque ne seront pas ceux qui auront le plus d’argent, le plus de moyens, mais ceux qui auront le caractère le plus trempé, ceux qui sauront répondre aux questions essentielles que tout Européen et tout Français se pose lorsqu’il s’arrête, au cours de sa marche dans la forêt de la vie, et à travers les arbres, interroge les cieux et questionne les étoiles : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? ».

Oui, au cœur du combat politique, au cœur d’une certaine idée de la France, se situe la question de la mémoire. Il y a, face à face, ceux qui veulent nous imposer une mémoire falsifiée, préfabriquée, étrangère à notre tradition, qui vise à établir de nouvelles tables de la loi, et de l’autre, ceux qui, comme moi, croient, en suivant la leçon du maître de Sils-Maria, que « l’avenir appartiendra à celui qui aura la mémoire la plus longue ».

La France que j’aime, celle pour laquelle je vis et me bats, est une France réelle, charnelle, vibrante, vivante, faite de chair et de sang et dotée d’une âme secrète, qui ne se révèle qu’à ceux de ses fils qui savent se donner, tout donner, pour elle. Or, le monde moderne est à l’exact opposé de cette appréhension. Il est par définition le monde de l’illusion. Le mathématicien français René Guénon avait dénoncé au début de ce siècle « la crise du monde moderne ». Les faits lui ont donné raison. Le philosophe italien Julius Evola avait, quant à lui, prôné une « révolte contre le monde moderne ». Il a été entendu. Pour se frayer un chemin à travers les mirages de la société de consommation, à travers les songes fallacieux de la société-spectacle que dénonça avec brio le situationniste Guy Debord, il faut en revenir aux choses simples et vraies. Là est notre ambition. Retrouver le sens premier des mots vrais, des choses vraies, et les vivre intensément, en un mot « réinventer » le sens du vrai, du bon et du beau, dont Xénophon, il y a de cela vingt-cinq siècles, avait fait une exigence de vie, telle est notre ambition.

Pays légal et pays réel

Or, la perception du réel échappe aujourd’hui totalement à la classe politique. Althusser, avant de devenir un fou criminel, avait beau revendiquer la nécessité de procéder sans relâche à une analyse prétendument objective de la situation, il a échoué dans sa démarche comme ont échoué tous les marxistes et les libéraux ?

En revanche, jamais la césure, chère à Maurras, entre le pays prétendument légal et le pays réel, n’aura été aussi profonde. Nos gouvernants sont incapables de prendre de bonnes décisions. D’abord et avant tout parce que leur diagnostic est faux, et leur schéma de raisonnement erroné. Ils ne perçoivent le monde qu’à travers le prisme déformant des idéologies, des schémas inculqués par les écoles du « prêt à penser », et surtout, en craignant la férule impitoyable de la police de la pensée qui les fait s’autocensurer, s’auto-enchaîner, s’autodétruire.

À cette servilité, nous opposons la liberté, dont Thucidyde nous a enseigné quelle constituait le bien le plus précieux des Grecs. De par le monde, la France a longtemps été synonyme de liberté. Cette réputation est aujourd’hui bien amoindrie. Au pays de Voltaire, Lyssenko a fait souche. On fait des lois pour dire les sciences, on fait des lois pour décréter des pseudo-vérités officielles. Défendre une certaine idée de la France implique donc que l’on s’engage dans l’arène politique. Sans cela, c’est se réduire à n’être qu’un intellectuel enfermé dans sa tour d’ivoire. Or, l’impuissance nous a toujours fait horreur.

La politique consiste à conduire les destinées de la cité. En ce sens, elle reflète dans le quotidien une certaine conception de l’homme et du monde. Aujourd’hui, tout nous sépare de nos adversaires. Sur le mode des romans de Marc Luhan ou Orwell, se met en place une société où les hommes ne seront que des numéros, une société où les hommes seront seulement destinés à consommer, surveillés sans relâche, épiés dans leur moindre faits et gestes, et dénoncés, au moindre faux pas, à l’insupportable police de la pensée.

Au rebours de cette sinistre représentation matérialiste de l’homme dans le monde, nous croyons en une société harmonieuse, où la liberté est la première des qualités. Nous refusons le chaos, et croyons, parce que nous en constatons le bien-fondé autour de nous, en la réalité d’un ordre naturel du monde. C’est pour cela que nous défendons une certaine idée de la France. Elle n’est ni de gauche, ni de droite, ni d’hier, ni de demain. Elle est consubstantielle à notre devenir. Elle est indissolublement liée à notre rang, à notre sol, à notre mémoire.

La politique ne se limite pas, fort heureusement el loin s’en faut, à la lecture des traités de la rue Saint-Guillaume (où se situent les locaux de l’Institut d’études politiques de Paris, ndlr.) ou à l’application bornée des codes électoraux. La politique constitue, bien au contraire, à actualiser une mémoire, à maintenir vivante une tradition, à assumer un héritage, et à l’embellir, le parfaire, afin de le transmettre aux générations à venir. Telle est la loi du devenir.

Un peuple, une terre, une tradition

Pour qu’il y ait politique, il faut donc que se combinent trois éléments fondamentaux : un peuple homogène, vivant sur le territoire dont il a hérité de ses pères, et vivant en accord avec sa tradition. Cette France des terroirs et des clochers, mais aussi des mers et de l’espace que nous chérissons tant, est aussi vieille que notre mémoire. Clovis comme Hugues Capet, Philippe Auguste comme Saint-Louis, ont été les artisans de cette France magnifique qui a rayonné sur l’Europe et sur le monde. C’est si vrai que l’obstination avec laquelle nos adversaires s’efforcent maladroitement de nous combattre n’a d’égale que leur absence de mémoire et de points de repère. Jean Haudry vous parlera des racines du peuple français, et Dieu seul sait comme elles sont profondes. C’est en prenant conscience de la magnifique et émouvante saga de notre peuple depuis la nuit des temps, en mesurant les extraordinaires sacrifices consentis par nos ancêtres, que nous pouvons puiser l’énergie nécessaire pour poursuivre cette histoire à nulle autre pareille.

Dans le combat que nous menons, il importe de temps à autre, de prendre du recul et de la hauteur. L’anthropocentrisme exacerbé qui sévit en notre époque, sous sa forme la plus doucereuse et la plus perverse qui soit, celle des « Droits de l’Homme », cette obstination à prendre l’humain, trop humain, comme échelle de tout, aboutit à une désacralisation du monde. Cette France pour laquelle vous vous battez, nous nous battons au quotidien, n’a rien à voir avec ces mesquineries et ces pleurnicheries. Elle remonte aussi loin que notre sang. Non, ils n’étaient point des primitifs, nos lointains ancêtres qui, après avoir traversé l’Europe, dressèrent face à l’immensité de l’océan, ces pierres de granit appelés dolmens ou menhirs. Henri Hubert ou Paul-Marie Duval ont en leur temps rendu hommage au génie de cette race qui, sur les récits acérés de l’extrême-occident, a posé sa marque face à l’immensité et face à l’éternité. Dans nos veines sourd encore leur mémoire. Des écrivains comme Gustave Thibon ou Henri Vincenot ont su magnifiquement mettre en évidence le rapport intime qui unit l’homme à la terre et la terre à l’homme. La France est une réalité qui existe tant au niveau physique qu’au niveau philosophique et spirituel.

Aussi, est-il judicieux de se poser la question : peut-on avoir une certaine idée de la France ? Car, enfin, poser la France comme une idée sous-entend une représentation, donc une dissociation, problème aussi vieux que la philosophie. La n’est pas, je crois, affaire de dialectique. Elle se pense moins qu’elle ne se vit.

Or, notre patrie ne pourra vivre, ni poursuivre son histoire, ne pourra se perpétuer, que si elle manifeste clairement sa capacité à relever et à affronter les défis majeurs que lui pose l’agonie du monde moderne, la fin des idéologies et le déchirement des illusions nées des Lumières. « Polemos, le combat, est le père de toutes choses », enseignait Héraclite d’Éphèse, il y a vingt-cinq siècles. Oui, ce combat est nécessaire et il sera salvateur car, sans lui, nous subirons les affres de la mon douce. L’issue de ce combat est claire : ce sera l’anéantissement ou la résurrection de la France. Pour notre part, notre engagement est total, aussi total que notre détermination. Nos adversaires doivent le savoir.

Le courant de renaissance national que nous incarnons est aujourd’hui un modèle pour beaucoup de nationaux et de nationalistes, en Europe et dans le monde. Faire échec au mondialisme par la défense des nations, tel est le défi que nous lance l’Histoire. Le discours que je suis invité à faire dans quelques jours, place Kossuth, à Budapest, pour le 40e anniversaire du soulèvement du peuple hongrois contre l’envahisseur communiste et pour sa liberté en est une preuve et une étape (100 000 Hongrois y ont assisté, le 27 octobre 1996, ndlr.).

Mes chers amis, il pourra sembler peut-être pour le moins curieux, sinon paradoxal, que pour conclure ce plaidoyer savant, j’en appelle ;à cette prière que beaucoup d’entre vous connaissent, la prière du para, dont les paroles ont été rédigées par l’aspirant Zimheld, mort dans les SAS en Libye, et qui résume de façon poignante notre indéfectible attachement à notre mère-patrie : « Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste, donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas, mais donnez-moi aussi le courage, et la force et la Foi ».

Telle est pour moi aussi ma prière pour la France. Je sais qu’au fond de vous, vous la partagez. Puisons le courage au fond de nos entrailles et laissons à Dieu le soin de décider de la victoire !

Je vous remercie.

Jean-Marie Le Pen