Article de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Revue de la CFDT" de janvier 1998, sur le racisme et la xénophobie, et sur le rôle des syndicats pour contrer les discriminations, notamment dans l'entreprise, intitulé "Lutter contre le racisme sur le terrain".

Prononcé le 1er janvier 1998

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Média : La Revue de la CFDT - Revue de la CFDT

Texte intégral

Comme le rappelait un ancien militant, parlant de la reconstruction de l'après-guerre et des arrivées massives d'Italiens, d’Espagnols, de Portugais, de Yougoslaves, de Maghrébins sur le sol français, le racisme n'est pas une réalité nouvelle en tant que réflexe individuel ou collectif. L'acceptation de l'autre dans sa différence est un combat permanent. Aujourd'hui cependant, ce réflexe a changé de nature.

Nous nous trouvons dans un contexte nouveau, face à une réalité nouvelle, qui appelle outre de nouvelles responsabilités, de nouvelles pratiques. C'est parce que nous avons pris conscience de cet état de faits à la CFDT, que nous réfléchissons à la meilleure manière d'agir contre l'imprégnation des thèses du Front national. Les nouvelles réalités sont - Michel Wieviorka l’a souligné - l'instrumentalisation du phénomène Front national et de ses thèses comme celle de la « préférence nationale, qui banalisent le racisme. L'origine elle-même des populations étrangères dans l'Hexagone s'est modifiée : si hier la majorité des personnes immigrées étaient d'origine européenne, aujourd'hui ce n'est plus le cas - Philippe Bataille l’a rappelé, chiffre à l’appui.

D’autre part, les problèmes d'intégration que connaissent les populations maghrébines, en particulier, nous interrogent. Il est indispensable d'en connaître les causes afin de savoir comment les combattre.

Il nous faut également nous confronter au terreau sur lequel des thèses comme celle du Front national croissent. Constitué tout à la fois des peurs de l'avenir, des mutations en cours, et des pertes de repères qui en découlent… Dans ce climat de grand désarroi, des idées populistes, souvent simplistes, trouvent à se développer. L'exploitation de cette situation concourt à stimuler les comportements racistes.

* Contre la peur et l'obscurantisme, ferments du racisme

La mondialisation s’avère alors un bouc émissaire tout trouvé, l’Europe en est un autre…, tout est prétexte à alimenter le sentiment de menace. Nous avons face à ces nouvelles réalités, de nouvelles responsabilités, qui consistent d'abord à rétablir les faits, afin de lutter contre l'obscurantisme et l'intoxication qui se développent dans divers domaines. À la CFDT, par exemple, nous nous efforçons de donner les moyens de comprendre et de penser la mondialisation. Est-ce une chance ou un risque ? Et si risques il y a, quels sont-ils ? Comment agir pour organiser la mondialisation afin que personne n'en souffre ?

Il y a beaucoup à faire pour désamorcer le repli identitaire, les réflexes xénophobes et la recherche d'un book émissaire… Pourquoi les thèses racistes du Front national séduisent-t-elles autant d’individus ? Pourquoi pénètrent-elles même au sein de nos structures et se développent-elles ?

Cette réalité, désormais incontournable, concerne particulièrement les syndicats. Si la prise de conscience de l'importance des phénomènes racistes est indispensable parce qu'elle permet de mieux les connaître et de mieux les comprendre, elle ne représente qu'une étape d'une démarche plus vaste. Et nous, syndicalistes, ne pouvons-nous arrêter à une simple profession de foi, une condamnation du racisme sur toutes ses formes au nom des valeurs que nous défendons, dans le respect de la dignité des femmes et des hommes, quels que soient leur race, leur sexe, leur religion. Mais une fois la prise de conscience effectuée, comment faire ?

Si dans les entreprises, les chercheurs ont rarement rencontré des syndicalistes osant aborder ces problèmes de discrimination et de xénophobie, c'est peut-être d'abord parce qu'ils sont démunis pour en discuter avec leurs adhérents et avec les salariés. Et si nous avons appris quelque chose à travers cette recherche, c'est précisément qu'il faut commencer, non pas par des professions de foi, des dénonciations, des jugements hâtifs sur les phénomènes et les comportements racistes, mais par libérer la parole. Ceux qui sont racistes doivent pouvoir l'exprimer, car c'est seulement quand cette parole est libérée que nous avons une possibilité de les faire évoluer, dans leur conscience, en leur expliquant quelles sont les raisons qui font qui font qu'ils se trompent.

J'aime cette formule que j'ai lu sur le mur d'une union régionale : « Le raciste est un homme qui se trompe de colère ». Nous en sommes convaincus. Reste à en convaincre les autres.

* Détecter les inégalités et les discriminations

Pour conclure, qui dit nouvelles responsabilités dit nouvelles pratiques. Après avoir identifié le phénomène du racisme et de la xénophobie, et permis que des équipes syndicales osent l'affronter dans la section, dans leur syndicat ou dans leur entreprise, sans avoir honte, il faut qu'elles osent faire parler des adhérents, des salariés sur le sujet. Il est indispensable qu'elles sachent faire de la pédagogie et non pas seulement qu'elles produisent du jugement. Celui-ci renvoie en général les gens à leurs convictions et à leur mutisme, provoquant un repli qui ne permet guère le dialogue.

Commande donc agir différemment ? Et je ne peux, à ce stade, m'empêcher de dresser un parallèle avec les problèmes d'inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes.

En 1982-1983, à l’époque où nous œuvrions pour la loi sur l'égalité entre les hommes et les femmes, il nous était souvent rétorqué que les hommes et les femmes étaient égaux dans l'entreprise. Personnel d'origine étrangère ou pas, il y a égalité devant l'emploi, devant le logement… et si nous ne stigmatisons pas les discriminations, si nous ne démontrons pas les inégalités, celles-ci n'existent pas. Personne n'y croit. Notre responsabilité, me semble-t-il, consiste à être des détecteurs de ces phénomènes de discrimination, qui existent. À la division sexuelle du travail hier et encore aujourd'hui, il nous faut ajouter une division raciale du travail.

Et s'il faut reconnaître à toute forme de discrimination sa spécificité - afin de ne pas l’occulter dans un ensemble - il est nécessaire, dans le même temps, de la replacer dans une démarche globale afin de lui donner une cohérence. Car rien ne serait pire que de traiter éternellement les immigrés, ou les populations d'origine étrangère de façon spécifique en France. Nous tournerions alors le dos à une vraie et bonne conception de l'intégration qui ne nie pas la différence, mais qui lui permet d'exister dans un cadre de règles et de valeurs collectives auxquelles tout le monde adhère.