Texte intégral
Qu’il me soit permis de vous dire en premier lieu le plaisir qui est le mien de me trouver aujourd’hui parmi vous. Ce ne sont pas là des paroles convenues. Je trouve, en effet, extrêmement précieux que des rencontres comme celle de ce soir soient l’occasion d’un dialogue sincère et constructif entre une Communauté aussi importante que la Communauté juive de France et le Gouvernement.
Vous vous êtes fait l'écho, monsieur le Président, des motifs de satisfaction, mais aussi des aspirations et des inquiétudes qui étaient celles des Israélites de notre pays, de même que vous avez tracé les grandes lignes de l'action du CRIF pour l'avenir, définissant ainsi une ambition en forme d'espérance.
À mon tour, je voudrais vous dire, aussi précisément et complétement que possible, les principes qui ont inspirés et qui inspirent notre action, convaincu qu'au-delà de certaines divergences, nos aspirations sont profondément les mêmes et que nous pouvons nous retrouver dans un même désir de servir les intérêts de la France et de construire l'avenir.
Je rappelais à l'instant l'importance de votre Communauté, importance tout à la fois historique, culturelle, intellectuelle, et bien sûr numérique, puisque, grâce aux apports venus d'Afrique du Nord, et du monde Sefarad, elle occupe désormais la première place parmi les Communautés juives d'Europe.
Nombreuse, votre Communauté est aussi très ancienne : en effet, sa présence sur notre actuel territoire remonte à plus de 2 000 ans, ce qui témoigne de la part qu'ont prise les Juifs dans la construction de la France en tant que nation. Enracinée au plus profond de notre terre commune, votre Communauté a puissamment contribué à la naissance de notre langue, expression la plus directe d'une identité culturelle : je n'aurais garde d'oublier ce célèbre viticulteur de Troyes qui fut Rachi, plus connu comme Rabbin et qui exégète de la Bible, qui réalisa, au XIème siècle, le premier glossaire comportant plus de 3 000 mots en français, langue encore balbutiante.
Il était, sans aucun doute, l'un des premiers d'une très longue et très admirable lignée d'intellectuels juifs français qui, dans tous les domaines de la vie culturelle et de la société civile, ont participé, aux avant-postes, au rayonnement de notre pays. Comment ne pas se rappeler ici que le Prix Nobel vient très récemment de couronner Elie Wiesel, pour notre honneur et celui de la langue française.
Si l'histoire, comme je le crois, est faite par les hommes et pour les hommes, je n'hésiterai pas à affirmer que la Communauté juive a écrit une part importante de celle de notre pays – histoire sociale, économique, politique, artistique –, se trouvant au cœur des mutations qui transforment, de manière irréversible, un paysage national.
Compte tenu des événements qui dans un passé lointain ou proche – qu'il s'agisse des persécutions médiévales, de l'affaire Dreyfus, ou du scandaleux statut des Juifs d'octobre 1940 – ont endeuillé votre Communauté, je ne crois pas inutile de rappeler ce que la France lui doit.
C'est dans cet esprit qu'il y a quelques mois, en inaugurant la plaque commémorative des arrestations de juillet 1942 et du drame du Vélodrome d'Hiver, ainsi que la place dédiée à la mémoire des victimes juives, j'ai voulu souligner, tant au nom du Gouvernement français qu'au nom de la ville de Paris, que le martyr des Juifs, pendant la dernière guerre, avait été une tragédie nationale, dont le souvenir ne saurait jamais se conjuguer au passé.
Vous vous êtes émus, à juste titre, des discours tenus par certains hommes politiques qui rappelaient fâcheusement certains souvenirs auxquels je faisais allusion tout à l'heure. Vous vous êtes inquiétés plus encore quand, par la grâce d'une réforme électorale, ces discours ont acquis droit de cité dans l'enceinte de notre Parlement. Nous nous en sommes inquiétés avec vous car, s'il est toujours dangereux de réveiller les vieux démons au premier rang desquels figurent le racisme et l'antisémitisme, il l'est encore davantage de leur donner une légitimité. La nouvelle loi électorale, que le Gouvernement a proposée à l'approbation des Assemblées et qui est désormais votée, lève aujourd'hui cette hypothèse, ce qui me semble plus conforme à l'esprit de notre démocratie et au meilleur de nos traditions républicaines.
Tel est le double souci qui inspire notre politique. Nous sommes décidés à lutter sans trêve contre tous les racismes et à permettre à chaque Communauté française de préserver son identité culturelle et religieuse. Cela passe, bien évidemment, par la protection des lieux de culte, et vous rappeliez, monsieur le Président que le Gouvernement a tout mis en œuvre pour que les Juifs de France, en ces temps difficiles, puissent prier en paix et en sécurité dans les synagogues.
Cela passe, également, par le développement des écoles juives qui, par la voie de contrats et de conventions, sont aidées par la puissance publique. Je sais combien vous êtes attaché à leur bon fonctionnement, à juste titre, car les générations nouvelles seront demain en charge d'une histoire et de traditions que nous avons aujourd'hui la responsabilité de leur transmettre.
Cela passe, enfin, par des initiatives culturelles marquantes, telles que l'installation dans l'hôtel de Saint-Aignan d'un musée d'art Juif qui regroupe notamment des collections du musée de Cluny, dont vous avez souligné qu'il était entré dans sa phase de réalisation, le programme muséographique étant même en cours d'élaboration.
Je souhaite, comme vous, la mise en œuvre rapide de ce projet qui me tient à cœur, spécialement en tant que maire de Paris, car je suis conscient de tout ce que signifie le musée de Saint-Aignan pour la Communauté juive et l'ensemble de la Communauté française : il permettra le regroupement et la mise en valeur d'une part de notre patrimoine artistique national, en même temps qu'il sera un lieu de rencontres et de rayonnement culturel, et bien sûr, un rendez-vous de la mémoire collective.
Votre Communauté a payé un tribut suffisamment lourd à la défense de son identité, pour que l'expression de cette identité soit encouragée. Il est très vrai, monsieur le Président, que dans les camps d'extermination les Juifs mouraient parce qu'ils étaient Juifs. C'est au nom de cette réalité, que nul ne peut contester, que j'ai émis les plus grandes réserves à titre personnel, à l'opportunité d'implanter un Carmel à Auschwitz.
Mais parallèlement à cette préoccupation, nous avons aussi la volonté naturelle de préserver et de renforcer notre identité nationale. En effet, et je crois que vous en serez d'accord, si nous sommes israélites, catholiques, protestants ou musulmans, nous sommes avant tout des français, liés par une histoire, une civilisation et une langue qui sont celles de notre patrie.
C'est la raison profonde pour laquelle le Gouvernement a souhaité que l'acquisition de la nationalité française ne résulte pas d'un simple automatisme, mais qu'elle soit liée à un choix qui engage la personne. La manière dont ce choix pourrait s'exprimer est actuellement à l'étude, mais nous sommes très attachés à son principe : l'obtention d'une nationalité confère des droits mais oblige aussi à des devoirs ; c'est pourquoi l'on ne saurait devenir français par hasard, ou malgré soi.
Voilà rapidement esquissées, Mesdames et Messieurs, quelques-unes des lignes de force qui ont inspiré notre action au cours des derniers mois. Je crois que, sur ces différentes questions, la sensibilité des responsables de votre Communauté est très proche de celle du Gouvernement français.
Au commencement de votre propos, vous avez évoqué, monsieur le Président, vos liens personnes avec la terre d'Israël. Avec toute l'ardeur que vous inspirent les grandes et légitimes ambitions que vous avez pour notre pays, vous avez appelé au renforcement des liens entre Israël et la France pour que ce rapprochement serve la cause de la paix.
Je comprends votre appel. Les liens de la France avec Israël sont solides. Ils ont été confortés depuis six mois par les entretiens que j'ai eus avec M. Shamir et, à deux reprises, avec M. Shimon Peres. Ils ont été illustrés, de façon particulièrement symbolique et heureuse, par la commémoration à l'initiative de Monsieur l'Ambassadeur Ovadia Soffer, au château de Versailles, du centenaire de la naissance de David Ben Gourion et par l'exaltation du courage et de l'opiniâtreté du peuple d'Israël.
Je puis enfin vous assurez, qu'au-delà de l'amitié qui nous unit à ce pays et des rapports économiques que nous devons renforcer, je me préoccupe du développement de nos relations culturelles auxquelles je sais que de part et d'autre de la Méditerranée, nos élites sont profondément attachées.
Je veillerai avec ténacité à ce que cette relation si forte soit au service de la paix au Proche-Orient, afin que, dans cette terre aujourd'hui si tragiquement déchirée, nous revienne le message de fraternité et d'espoir qui fut à la source de notre civilisation.
Nous savons que la paix au Proche-Orient passe par le respect de principes simples, inséparables du droit des gens : la sécurité pour les États, la justice pour les peuples. Inlassablement la France a affirmé ces principes. Elle les a fait consacrer par ses partenaires européens, elle les a défendus devant la Communauté des Nations. Ce sont ces idées qui devront inspirer la négociation d'un règlement d'ensemble au Proche-Orient.
Les modalités d'un tel règlement font l'objet d'une exploration constante. Périodiquement des projets de conférence ou de négociations sont avancés. Tout dernièrement encore, l'URSS a proposé la préparation d'une conférence, dont nous avons approuvé le principe. La France, pour sa part, que tant de liens unissent au Proche-Orient et qui assume à cet égard une responsabilité historique, a le droit et le devoir de contribuer à l'élaboration de ce règlement de paix.
Elle est prête à s'y attacher. Mais comment ne pas reconnaître et proclamer que la plus élémentaire exigence, la première des conditions d'une recherche sincère de la paix, est, entre peuples ou États qui s'ignorent, de s'accepter enfin, de reconnaître leur réalité, bref, de dialoguer ?
Voilà pourquoi, monsieur le Président, vous entendrez le Gouvernement approuver toujours et aussitôt, sans calcul, sans arrière-pensée, sans réticences, les gestes qui vont dans le sens de l'acceptation mutuelle et du dialogue. À chaque fois qu'une main sera tendue entre Israël et les pays arabes, la France dira oui. Ainsi ai-je salué la rencontre d'Ifrane et celle d'Alexandrie. Puissent ces récents exemples conforter l'esprit de la paix et ouvrir les voies à la justice et à la réconciliation.
Vous savez que la très ancienne et sincère amitié de la France et des pays arabes est un facteur d'équilibre. Cette tradition, qui répond au rôle particulier de la France dans cette région du monde, nous conduit à affirmer notre présence. Il est de votre intérêt, il est de l'intérêt de la Communauté juive de notre pays que la France soit présente et qu'elle entretienne des relations suivies avec tous les États de la région, afin de mettre ses relations et ses amitiés au service de la paix.
Je l'ai dit récemment à l'Assemblée nationale et je le répète aujourd'hui notre vocation au Proche-Orient est de contribuer à la stabilité et au développement de la région. Elle est donc de lutter contre la montée des extrémismes et notamment de l'intégrisme. Dans cet esprit, nous ne pouvons que nous opposer à toutes les actions qui déstabiliseraient directement ou indirectement les États arabes modérés. Dans ce même esprit, une rupture avec la Syrie, point de passage obligé de toute solution à la crise libanaise, dans la mesure où cette rupture ne viendrait pas à s'imposer, amoindrirait notre capacité à assumer nos responsabilités dans ce Liban déchiré cher au cœur de tous les français.
Naturellement, cette résolution ne va pas sans risques. Ceux qu’exaspèrent les valeurs de paix, de liberté, de concorde dont notre pays est le symbole, portent leurs coups. Malgré le prix payé, devrons-nous renoncer ? Bien entendu, non. La France a vocation à honorer les engagements que lui ont légués son histoire et ses traditions.
Il en est ainsi du Liban, où elle a tenu à maintenir sa présence culturelle, malgré les dangers quotidiens qu’affrontent nos ressortissants, et à apporter sa contribution, par la présence décisive au sein de la FINUL, à la sauvegarde de l’indépendance et de l’intégrité territoriale libanaise. Notre pays n’entend pas se dérober à ses obligations, ou faire en sorte qu’une force, qui dépend largement de son soutien, cesse d’exister.
Mon Gouvernement a cependant le devoir de veiller à ce que le sacrifice de ses soldats ne soit pas inutile ; il en a le devoir également, de mettre la Communauté internationale face à ses responsabilités. C’est ce qu’il a fait. C’est ce qu’il fera.
Vous avez souligné, monsieur le Président la gravité du problème du terrorisme. Nul plus que moi n’en est conscient : comment le maire de Paris pourrait-il oublier les attentats qui ont ensanglanté sa ville ?
Je partage pleinement votre diagnostic lucide sur cet ennemi sans visage dont vous avez très bien décrit les multiples oripeaux. C’est la mission des démocraties de le combattre de manière implacable, car elles luttent par là même pour leur identité, leur principe, et à terme leur survie. C’est leur honneur d’être vigilantes et de déjouer le piège d’amalgames trop faciles qui nourrissent ensuite les racismes et les intolérances. Notre Gouvernement, vous le savez, a résolu d’agir avec la plus grande détermination.
En France, cela a signifié, malgré les contraintes subitement imposées à nos compatriotes, un renforcement impressionnant des mesures de sécurité.
A l’extérieur, il va de soi que la France se sent solidaire des nations qui ont été frappées par ce fléau, d’où qu’il vienne. Depuis le 16 mars, le Gouvernement a pris des dispositions énergiques pour que le sol national ne puisse plus, aussi aisément, servir de refuge à ceux qui se font complices d’attentats commis contre les régimes démocratiques. Dans cet esprit, nous avons proclamé, à plusieurs reprises, notre solidarité avec l’Espagne, comme nous l’avons fait tout récemment vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Dans les jours qui viennent, nous aurons l’occasion de réaffirmer cette solidarité. Par ailleurs, la diplomatie française s’emploie à mettre en garde ceux qui pourraient être tentés d’accorder aux terroristes un soutien, même passif, ou qui entretiennent avec eux des relations ambiguës. Nous avons des raisons d’espérer que notre message de fermeté a été entendu.
Cette double action, à la fois nationale et européenne, est tout à fait nécessaire. Il est clair que l’Europe-Unie a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre le terrorisme, pour que cette lutte revête un maximum de crédibilité et d’efficacité.
Je crois, monsieur le Président, que vous en serez d’accord, vous qui avez pris une part active dans la création du Congrès Juif Européen qui est, à l’évidence, un acte de foi dans l’Europe.
Je me réjouis de ce que cette nouvelle organisation pourra faire en faveur de vos corelégionnaires de Russie Soviétique dont la situation ne laisse pas mon Gouvernement indifférent, puisque très nombreuses ont été les démarches effectuées en leur faveur, comme j’ai eu l’occasion de le dire récemment à Anatoli Chtcharanski et à certains hauts responsables de la Communauté juive mondiale, quand j’ai eu le plaisir et l’honneur de les rencontrer. C’est encore un combat qui nous est commun.
Voilà, monsieur le Président, mesdames et messieurs, ce que je tenais à vous dire ce soir. Nombreuses, je crois, sont les préoccupations qui nous unissent. Même si sur tel ou tel point nos vues ne sont pas exactement les mêmes, il y a entre le Gouvernement et la Communauté juive française assez de respect et d’estime réciproques pour que nous puissions nous rejoindre sur l’essentiel. Nous avons beaucoup à construire ensemble, à imaginer ensemble, nous avons des valeurs fondamentales à défendre, dont la moindre n’est pas le respect et la personne et l’attachement aux principes démocratiques. Je compte sur votre communauté comme sur chaque communauté qui compose notre paysage national pour aborder avec confiance notre avenir commun.