Interview de M. François Hollande, secrétaire national du PS, dans "Le Figaro Magazine" du 23 novembre 1996, sur les élections partielles à Dreux et le programme économique et social du PS, notamment les 35 heures payées 39.

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Média : Le Figaro Magazine

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Catherine Nay : Le PS a-t-il des états d’âme à jouer le front républicain à Dreux ?

François Hollande (porte-parole du PS) : Nous n’avons pas d’états d’âme. Car nous appliquons un principe clair et constant, celui de faire barrage à l’extrême droite, chaque fois qu’elle est en mesure de pouvoir l’emporter à cause de notre présence au second tout. Ce n’est jamais facile pour nos candidats. Mais c’est toujours notre attitude, même si nous préférerions éviter ce cas de figure.

Catherine Nay : Vous avez été déçu par les résultats ?

François Hollande : À Dreux, le « vote utile » contre l’extrême droite a joué en faveur du maire sortant, qui a pris bien soin de ne faire venir aucun ministre du gouvernement Juppé et qui s’est efforcé de rester sur le seul enjeu local de l’élection. Mais cela n’a pas empêché la liste de gauche de gagner six points par rapport aux élections de 1995 !

Catherine Nay : Êtes-vous étonnez par les réactions assez négatives sur le projet économique de la gauche ?

François Hollande : Nous ne déplorons pas que nos propositions soient « taxées » de gauche. Nous en éprouvons même une certaine fierté. Mais nous revendiquons aussi la crédibilité et le réalisme. Il faut à la fois changer de politique par rapport à celle qui est conduite aujourd’hui et qui a échoué, et en même temps en proposer une autre qui puisse véritablement faire diminuer le chômage, sans rompre avec les équilibres économiques et nos engagements européens.

Catherine Nay : Vous-mêmes, vous vous êtes prononcé pour des nationalisations. Cela fait terriblement archaïque.

François Hollande : Nous n’envisageons pas de lancer un programme de nationalisations. Ce n‘est ni opportun ni possible. Car, le voudrait-on, l’état des finances publiques que nous laisserait le gouvernement actuel ne nous autoriserait aucune fantaisie. En revanche, nous le réaffirmons, il n’est pas question de laisser se poursuivre la privatisation de France-Télécom, pas plus que le bradage des entreprises liées à la Défense nationale.

Catherine Nay : Lionel Jospin a prévenu qu’il mettrait en œuvre cette réforme de façon très progressive. Est-ce de la frilosité ?

François Hollande : Il ne s’agit pas d’être frileux, ni d’être timoré. Il s’agit tout simplement de réussir, c’est-à-dire de tenir son engagement durant toute une législature.

Catherine Nay : Les 35 heures payées 39 ? Comment ferez-vous ?

François Hollande : Depuis 1982, la diminution du temps de travail, qui est un processus historique, est arrêtée. Pour l’enclencher de nouveau, il faut fixer une perspective, des principes et laisser les partenaires sociaux trouver ensemble les modalités. Compte tenu du rétablissement des marges des entreprises, il nous paraît aujourd’hui réaliste de faire financer par les gains de productivité le passage aux 35 heures sans baisse de salaire. Mais au-dessous de 35 heures, des aides publiques seront accordées pour favoriser la conclusion d’accords permettant des nouvelles créations d’emplois.

Catherine Nay : La faible mobilisation syndicale vous a-t-elle déçu ce dernier week-end ?

François Hollande : Il n’était pas sérieux d’imaginer que le mouvement social de l’hiver 1995 se reproduirait à l’identique cette année. Le gouvernement aurait cependant tort d’imaginer qu’il en a terminé avec la grogne des Français et qu’il a désormais carte blanche pour, par exemple, accroître la flexibilité du marché du travail. Sectoriellement, le mécontentement est profond, vous le verrez prochainement à l’occasion de la manifestation des salariés de Thomson ou de celle des agents du secteur public des transports. Mais le pire serait la résignation ou la colère rentrée, c’est-à-dire l’implosion.