Texte intégral
F. Laborde : L’escale parisienne de K. Annan sur son chemin vers Bagdad, c'est une victoire de la diplomatie française ? Une victoire personnelle du Président de la République ?
P. Moscovici : C’est surtout la reconnaissance que la France s'est battue avec une certaine constance et un certain succès pour que la voie diplomatique soit explorée jusqu'au bout, c'est-à-dire qu'on n’aille pas aux frappes militaires sans que la plus haute autorité internationale puisse, le secrétaire général de l'ONU, se rendre en Irak pour convaincre, pour faire des propositions au nom de la communauté internationale. Et le Président de la République, le Premier ministre et le ministre Affaires étrangères ont travaillé totalement la main dans la main.
F. Laborde : Quelles sont les scénarios qu'on peut envisager aujourd'hui ?
P. Moscovici : Il n'y a qu'un scénario qu’on peut attendre aujourd’hui : c'est le succès de la voie diplomatique. M. Annan va à Bagdad avec des propositions. Ces propositions, J. Chirac l’a rappelé hier, doivent être acceptées par S. Hussein. Ce sont des propositions qui concernent l'inspection des sites présidentiels qui sont potentiellement receleurs de menaces militaires. Il faut que cette inspection puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. Nous espérons que les Irakiens qui disent d'ailleurs qu'ils sont plein de bonne volonté seront capables d'entendre ce message et à partir de ce moment-là, il n'y aura plus de raisons qu’il y ait un conflit. Nous sommes, à ce stade, en train d'explorer la voie diplomatique est uniquement celle-ci. Nous sommes comptables, responsables d'aucune autre issue à ce jour.
F. Laborde : On a l'impression côté américain que tout ça est un peu de la diplomatie de façade et qu'au fond, les Américains sont pratiquement décidés à faire un raid sur l'Irak et qu'ils attendent simplement que K. Annan soit rentré à New York.
P. Moscovici : C'est un peu plus compliqué que ça parce que nous ne sommes pas dans la situation de la guerre du Golfe. L'Irak n'est pas non plus dans le même état, les pays arabes ne sont pas groupés comme ils l’étaient à l'époque contre l'Irak, l'opinion américaine est beaucoup plus hésitante. Donc, non, je crois que la mission de K. Annan n’est pas une espèce d'habillage qui présage une attaque, c'est une véritable mission diplomatique. Elle a des chances d'aboutir. Il y a aussi, il faut le reconnaître, un temps très court. Ça n'est pas vraiment facile mais il faut aujourd'hui tout miser sur son succès.
F. Laborde : Dans l'hypothèse où il y aurait un raid américain, comment les Européens réagiraient ?
P. Moscovici : Il sera temps de le voir le moment venu et vous-même vous prononcez le mot : raid américain. Là encore, ce n'est pas la même chose qu'à l'époque de la guerre du Golfe où c'était une action dans le cadre de l'ONU. On verra. D'ailleurs, il faudra que l'ONU se prononce en fonction du résultat de la visite de M. Annan à Bagdad. Et encore une fois, il faut nous concentrer là-dessus. Il faut que la voie diplomatique réussisse car honnêtement, les éléments d'une solution militaire seraient tout à fait regrettables.
F. Laborde : K. Annan va rencontrer le Conseil de sécurité de l’ONU mardi, il doit sortir de cette réunion des éléments de réponse concrets avec des engagements écrits de S. Hussein ?
P. Moscovici : Il va revenir de sa mission. J'espère qu'il aura une réponse positive à apporter au Conseil de sécurité. Mais encore une fois, aujourd'hui, nous Français, sommes plutôt satisfaits effectivement que M. Annan ait été mis en mesure de se rendre à Bagdad avec des propositions précises qui sont susceptibles d’être acceptées par les autorités irakiennes. Nous espérons qu'elles seront acceptées et donc on aura plutôt des bonnes nouvelles qui permettront une désescalade et la reprise du travail normal de la Commission de contrôle, sur place en Irak, pour que le désarmement de ce pays, que ces dangers potentiels soient effectivement éliminés.
F. Laborde : Sur le plan militaire, la France n'envisage pour l'instant aucune forme d’intervention ?
P. Moscovici : Nous ne sommes pas dans un scénario ultérieur autre que celui dont je viens de parler.
F. Laborde : Vous ne nous le diriez pas, même si c'était le cas ?
P. Moscovici : Je ne le dirai pas même si c'était le cas mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas. Nous sommes comptables de ce que nous pensons c'est-à-dire que la diplomatie doit l'emporter et non pas une attitude agressive.
F. Laborde : À propos des régionales, il y a une particularité en Franche-Comté car on ne connaît toujours pas le nom du candidat à la présidence de la région. Est-ce que ce sera vous ? Vous allez faire comme D. Strauss-Kahn ?
P. Moscovici : C’est une question un peu mineure d'un certain point de vue parce que le mode de scrutin est départemental donc il faut d'abord gagner l’élection. Il y a des tas de gens qui sont capables de diriger cette région.
F. Laborde : Mais ils aiment bien savoir pour qui ils vont voter, qui sera le président.
P. Moscovici : Honnêtement, ce qu'il y avait en Île-de-France, c'est qu'il y avait M. Balladur était candidat au nom de la droite. C’était une personnalité. Il fallait lui opposer quelqu'un, le combat étant très nationalisé. En Franche-Comté, c'est un peu différent, c’est M. Humbert - il n'y a que 10 % des habitants du Doubs qui le connaissent - qui est la tête de liste de la droite. Donc, nous avons plusieurs personnes qui peuvent présider la région. Il y a un socialiste, il y a le président du Mouvement des citoyens locales, il y a J.-P. Chevènement, moi-même - qui après tout n'en serait pas totalement incapable. On reparle de tout ça le 15 mars.
F. Laborde : Mais vous choisiriez quoi entre l'Europe et la Franche-Comté ? Entre la monnaie unique et la Cancoillotte ?
P. Moscovici : J’aime bien la Cancoillotte mais plutôt le soir. Entre les deux, mon cœur balance mais j'ai une tâche au Gouvernement, je ne fais pas semblant d'être candidat à la présidence de la région Franche-Comté. Aujourd'hui, je ne le suis pas, le 15 mars en fonction des circonstances, nous aviserons. Ça n'est pas pour moi un problème majeur, nous avons plusieurs hommes capables de présider la région. Et puis moi c'est clair, j'y vais, je siégerai au conseil régional et j'irai pour essayer d'y compter. Quel que soit le président, je lui parlerai de temps en temps pour lui dire la façon dont je vois les choses. Et puis c'est le PS qui sera la grande force là-bas si la gauche encore une fois l'emporte. Il ne faut pas faire comme si ces élections régionales étaient jouées. Ce sont des élections nationales, il faut que les électeurs se mobilisent. Le premier ennemi, c'est l'abstention. Ce sont aussi des élections régionales, il faut que les grands enjeux soient portés donc que la gauche continue à être ce qu'elle est, c'est-à-dire diverse, plurielle. Faire comme fait L. Jospin à Paris au fond.