Texte intégral
A. Ardisson : « Chers camarades, je suis venu vous dire que je m’en vais. » C’est ce que vous avez dit lors du XXIXème Congrès du PCF. Pourquoi choisir ce moment, au bout de 30 ans, pour partir, alors que le PCF semble précisément se décoincer ?
P. Herzog : J’aurai pu partir avant, mais je me suis acharné. J’ai beaucoup donné d’ailleurs au PCF. A l’époque de G. Marchais, c’était très conflictuel. Et c’est vrai, depuis l’arrivée de Robert Hue, c’est beaucoup plus cordial. Cela dit, je dois bien constater que je n’arrive pas à faire avancer mes projets et que les désaccords demeurent irréductibles.
A. Ardisson : Vous ne croyez pas à la mutation du Parti telle qu’il la décrit ?
P. Herzog : Je pense que les choses sont beaucoup plus contradictoires. Le PCF a envie de changer. Alors il y a des signes évidents du changement. Le secrétaire général a changé : il est rond, il est jovial, il a envie d’entrainer le PCF vers une ouverture à la société, vers une participation gouvernementale, ça c’est incontestable, c’est sincère. Mais en même temps c’est la même organisation et ce sont les mêmes références culturelles, c’est-à-dire que le PCF demeure principalement une force protestataire. Ça n’est pas devenu la force de construction pour laquelle je me suis acharné depuis tant d’années.
A. Ardisson : Votre départ, plus quelques autres, fragilise-t-il R. Hue et ce processus d’ouverture, de coopération avec le PS, en la laissant face-à-face avec les « orthodoxes » ?
P. Herzog : Je ne sais pas si cela fragilise R. Hue ou non. En tous cas il est certain qu’il est prouvé une fois de plus que diriger le PCF en sachant organiser la pluralité, en laissant s’exprimer publiquement les différents apports, en permettant d’expérimenter des projets différents de celui du corps dirigeant, cela s’avère extrêmement difficile. Le PCF demeure un parti très centralisé. Et donc, en termes d’image, ce n’est peut-être pas excellent. D’un autre côté, je suis un contradicteur redoutable, et R. Hue perdra de ce point de vue une force de contradiction qui, sur l’Europe et sur d’autres sujets, a pu être pour lui gênante.
A. Ardisson : Mais perdra-t-il beaucoup de militants ?
P. Herzog : Je crois que j’ai beaucoup d’estime et j’ai une certaine influence chez les militants communistes et que beaucoup sont, comme moi, malheureux, du fait que l’espèce de contrat que nous avions passé s’est interrompue. Je dois dire d’ailleurs que je ne suis pas, comme la majorité d’entre eux, issu d’un environnement, d’une famille communiste. J’y suis venu parce que je pensais que les cadres devaient travailler avec les ouvriers, c’était pour moi un…
A. Ardisson : …vous êtes Polytechnicien. Ce n’est pas courant au PCF !
P. Herzog : Non, et a fortiori à un poste de direction. Mais cet effort, donc, pour que cadre et ouvriers travaillent ensemble à faire de la politique, je dois reconnaître, 30 ans après, que c’est très difficile. Les sociologies sont différentes.
A. Ardisson : Qu’allez-vous faire maintenant ? Vous allez rester député européen ?
P. Herzog : Je suis député européen. Dans le groupe auquel j’appartiens, avec le PCF, il y a un peu de tout, il y a des pro-européens et des anti-européens, la direction de mon groupe est pro-européenne, donc je n’ai pas de difficultés dans ce groupe et je vais donc continuer de travailler.
A. Ardisson : C’est le groupe qui décide, pas le Parti ?
P. Herzog : Tout à fait. C’est d’ailleurs très fréquent, je crois, dans les groupes politiques en Europe. Les partis politiques, après les élections européennes, se désintéressent beaucoup de ce qui se passe dans les institutions communautaires. Donc je suis assez libre de mes mouvements. Je suis un des députés qui s’investit le plus, je viens même – et c’est un paradoxe – de faire passer à une majorité des trois-quarts un rapport préconisant des réformes institutionnelles permettant la participation des citoyens dans le système européen.
A. Ardisson : Vous allez rester en « électron libre » ou vous allez vous rattacher au groupe socialiste ? Où allez-vous aller ?
P. Herzog : Depuis un certain nombre d’années, je suis un acteur politique indépendant, qui avait gardé le statut de dirigeant politique, mais il est certain que je suis déjà un peu une passerelle entre des gens de sensibilité communiste et de sensibilité socialiste ou écologiste. D’ailleurs, j’anime une association qui s’appelle « Confrontations », où ces différentes sensibilités trouvent à travailler ensemble. J’assume très bien le fait que j’ai dans mon héritage des traits communistes et de traits socio-démocrates.