Texte intégral
Lionel Jospin : Je sortais de ma permanence, je vois que les choses sont très organisées. Je voulais simplement dire qu'il me semble que les résultats de ce premier tour, quant aux élections cantonales qu’aux élections régionales, sont plutôt satisfaisants pour la majorité. J’y vois pour le gouvernement un encouragement ; mais l'essentiel, malgré tout, je le sais, c'est l'élection de majorités solides et de présidents de talent dans les régions, c'est cela, l'enjeu. Ce n'est pas un enjeu politique nationale, même si les résultats ont une signification nationale. Et je crois que les choses se dessinent de façon positive. Mais en même temps, elles ne sont pas suffisamment nettes au moment où je m'exprime ; tout se jouera aussi sur l'élection des présidents, sur la clarté des votes émis par les uns et par les autres. Et donc je ne peux pas aller au-delà de ce commentaire ce soir - au-delà d'une certaine satisfaction et d'un désir de clarté au moment de l'élection des présidents dans les régions.
David Bilalian : Juste une précision, Monsieur le Premier ministre. Justement, à propos de cette clarté, en cas de majorité relative de droite dans une région, vous demanderez aux élus de gauche de voter pour la droite modérée ?
Lionel Jospin : Je ne leur demanderai pas, parce que je n'ai pas besoin de leur demander. Il est évident que s’il y a une majorité relative de droite, elle aura tout naturellement la majorité dans sa région et dirigera la région.
David Bilalian : Dernière chose. Certains sondages indiquaient une forme de raz-de-marée de la gauche plurielle à propos de ces élections régionales. Cela ne semble pas être le cas, même si la victoire est franche. Est-ce que vous êtes un peu déçu ou est-ce que vous considérez que c'est normal, finalement ?
Lionel Jospin : Je ne sais pas où vous avez eu ces sondages et ces raz-de-marée, parce que moi, ils ne sont pas venus me mouiller les pieds jusqu'à Cintegabelle - encore que là, plutôt, le résultat est assez satisfaisant. Donc là, vous êtes en train de faire des constructions. Vous rêvez peut-être sur les sondages que nos concitoyens n'ont pas entendus dans les derniers jours. Mais moi, ce que j'ai entendu des sondages m'a paru être quelque chose de plus équilibré ; d'autre part, j'ai toujours pensé que ce qui était important, c'était le vote des hommes et des femmes qui sont nos concitoyens ; je regrette d'ailleurs qu'ils n'aient pas voté plus nombreux…
Alain Duhamel : Je voudrais savoir votre réaction, aussi, non pas sur le vote des Français, mais sur le non-vote des Français, c'est-à-dire sur ces 42 % de Français qui ne se sont pas déplacés ?
Lionel Jospin : C'est bien ce que j'allais dire au moment où vous êtes intervenu, et je me réjouis de vous entendre, A. Duhamel ; à savoir que j'aurais souhaité que ces Françaises et ces Français soient plus nombreux. Peut-être y a-t-il un moment, où les élections ont lieu, peut-être faut-il qu'elles soient couplées avec d'autres élections. En tous cas, il y a certainement un effort pour faire que, même dans ces élections régionales et cantonales, qui ne sont que sur une partie des cantons en France - on le sait -, les votes soient plus nombreux. En tout cas, je pense que le résultat est satisfaisant, que le gouvernement peut se trouver relativement conforté dans son action. Il me semble quand même que c'est la première fois, sous la Ve République en tout cas, qu'une élection - se situant neuf mois tout de même après une élection législative, la mise en place d'une nouvelle majorité et d'un nouveau gouvernement - n’aboutit pas à une sanction ou à un avertissement du gouvernement en place, mais plutôt conduit à le conforter. Je ne voudrais pas qu'on l’oublie.
Alain Duhamel : Est-ce que vous-même, comme chef de gouvernement, cette fois-ci, vous tirez des conclusions pratiques de ce taux de non-participation ? C’est-à-dire est-ce que vous dites : eh bien maintenant, il faut passer à une seconde phase, et il y a un certain nombre de choses que l'on n’a pas encore eu le temps de faire en neuf mois, mais qu'il faut que l'on engage maintenant pour que la prochaine fois, les Français se sentent plus concernés et plus motivés ?
Lionel Jospin : Vous savez très bien que je suis favorable à des simplifications dans la vie politique française, à une certaine moralisation. Je pense notamment aux propositions que je ferai sur les limitations du cumul de mandats. J'espère que je serai suivi à cet égard par l'Assemblée nationale et par le Sénat. C'est un élément qui peut contribuer à un civisme plus grand des Français. Pour le reste, au moment des élections législatives qui ont mis en place cette nouvelle majorité et contribué à ce que ce gouvernement existe, le taux de votants était naturellement beaucoup plus élevé. Je crois que l'on ne peut pas comparer des élections différentes. Mais vous savez, moi, je suis dans un canton, à Cintegabelle, dans lequel on vote traditionnellement beaucoup. On a voté - je n'ai pas le résultat exact, mais je me tourne vers le maire - à plus de 75 %, en moyenne, sur l’ensemble canton. Il y a dans un certain nombre de nos régions rurales, dans des régions aussi qui sont des terres républicaines, comme l'idée que ce vote, on l'a conquis ; et que c'est très important de l'exercer. Chez nous, on vote. Alors, j'aimerais que partout, en France, on vote, et on vote davantage.
David Bilalian : C’est la première fois que vous êtes élu au premier tour ?
Lionel Jospin : Non. La première fois où j'ai été élu dans ce canton, j'ai été élu au premier tour. La deuxième fois, j'ai été élu au deuxième tour, de justesse. Cette fois-ci, je suis élu au premier tour avec un score beaucoup plus fort que la première fois. Cela montre la relativité des choses. Cela montre surtout aussi qu'à chaque moment, le peuple est le souverain juge, et qu'il faut être capable de le convaincre.