Texte intégral
Lutte ouvrière : 7 février 1997
La Méditerranée est une bien petite mer
Trente et un habitants de Ktiten, un quartier de Médéa, à 80 km au sud d'Alger, ont été égorgés et décapités par un commando intégriste qui a attaqué leur quartier dans la nuit du 31 janvier au 1er février. Ces malheureux, hommes, femmes, enfants ont été conduits les mains liées, un par un, vers le boucher qui les égorgeait. Dans le week-end, ailleurs, sept autres personnes ont été assassinées de la même façon. Et cela s'ajoute à une liste de massacres semblables presque quotidiens.
Pourquoi les intégristes s'en prennent-ils ainsi à la population civile ? Uniquement pour punir et terroriser ceux qui ne les suivent pas : les femmes qui veulent travailler, les hommes qui ne veulent pas de leur régime, les jeunes qui ne veulent pas rejoindre leurs commandos.
Voilà les gens que Giscard d'Estaing proposait, récemment, d'associer aux prochaines élections en Algérie. Il voulait que ces démocrates-là puissent être élus en mettant le couteau sous la gorge des électeurs. Tout cela parce que le capitalisme français a besoin d'un régime stable en Algérie, quel qu'il soit. Par ailleurs, les autres partis de la classe politique française soutiennent le régime en place. Un régime dont la façade démocratique n'est qu'un décor de cinéma devant une dictature militaire qui protège la corruption, l'exploitation par ce régime pourri qui enfonce la population algérienne dans la misère. Un régime corrompu par les groupes financiers, en particulier français, qui exploitent le pays par son intermédiaire.
Le gaz, le pétrole, les produits miniers ou agricoles dont le pays est riche, la population n'en voit pas les revenus.
Et si le régime entretient une police et une armée toute-puissante, ce n'est pas pour protéger la population contre les exactions des intégristes.
Le peuple algérien est aujourd'hui écartelé entre deux maux, entre deux clans qui se combattent les armes à la main et qui, considérant que le sang du peuple ne coûte rien, se servent de lui comme moyen de chantage.
Bien sûr, l'armée et la police du régime combattent ce terrorisme, mais elles sont si gangrenées qu'elles n'ont pas l'appui populaire pour l'éradiquer. Les policiers et l'armée emprisonnent, torturent et massacrent, en ne faisant qu'ajouter la haine à la haine sans se faire des alliés des classes populaires. Pour cela, il faudrait que le régime ne soit pas corrompu.
En face, les terroristes intégristes assassinent les gens du peuple à la pelle mais, plus sélectivement, ils tuent aussi des journalistes, des intellectuels et, la semaine dernière, un dirigeant syndical. Oh, pas n'importe lequel : un proche du pouvoir, un presque ministre ! C'est-à-dire quelqu'un qui cautionnait le régime.
Mais les intégristes ne veulent tolérer aucune autre expression ou idée, aucune autre morale que les leurs. En assassinant un syndicaliste, fût-il corrompu, c'est l'existence même d'une organisation des travailleurs, c'est l'existence même des syndicats qu'ils veulent empêcher. Cela donne une image du régime qu'ils veulent instaurer.
Pour le peuple algérien il n'y a qu'un seul avenir possible, que la classe ouvrière par son nombre et sa concentration dans les villes et les grandes entreprises pourrait offrir, et offrir en même temps aux habitants des villes et des villages : l'armement de la classe ouvrière de façon indépendante, à la fois du régime actuel et des égorgeurs. Car s'armer c'est d'abord s'organiser, les armes viennent après.
Évidemment, c'est bien difficile. D'ici, nous ne pouvons que regarder ce drame se nouer très près de chez nous. Mais nous pouvons au moins affirmer notre solidarité avec les travailleurs et le peuple algériens.
D'autant que nous devons penser que nous ne sommes pas à l'abri. Nous avons nos égorgeurs potentiels ici aussi. Ils n'égorgent pas encore en masse. Ils ne font qu'assassiner dans les coins, un SDF, un clochard ou un maghrébin. Mais demain, s'ils se sentent plus forts, ils s'en prendront systématiquement à tous ceux qui ne leur plaisent pas. Et alors, pour ne pas leur plaire, il faudra peu de chose.
Lutte ouvrière : 14 février 1997
Combattre le Front national, c’est vaincre le chômage en faisant payer le patronat
La majorité et le parti socialiste se rejettent la responsabilité de la conquête de la municipalité de Vitrolles par le Front national. Il y a une parcelle de vérité dans ce que chacun dit… de l'autre.
En choisissant l'ancien maire socialiste, mis en examen dans une affaire de fausses factures, dont une partie de la section locale du PS elle-même ne voulait plus, la direction du PS a facilité la tâche du Front national. Il doit bien se trouver pourtant au parti socialiste des candidats non corrompus. Mais la direction du parti socialiste a préféré prendre le risque de perdre, plutôt que d'écarter un de ses notables.
La droite est cependant mal venue de lui en faire le reproche, elle qui reprend à son compte les fumisteries démagogiques de Le Pen et dont les électeurs ont contribué tout naturellement à l'élection de Catherine Mégret au deuxième tour.
L’élection municipale de Vitrolles n'a concerné qu'une petite ville et, en outre, malgré l'autosatisfaction tonitruante de Le Pen, son parti n'a pas vraiment progressé dans cette ville où, au deuxième tour des élections législatives de 1993, Bruno Mégret avait déjà obtenu 56 % des votes.
Mais c'est une maigre consolation pour tous ceux qui, à Vitrolles même, n'ont pas envie de vivre sous la férule d'une municipalité d'extrême-droite. Et au-delà, le fait qu'une fraction importante de l'électorat, y compris dans l'électorat populaire, vote pour le Front national, renforce et encourage un parti qui est l'un des pires ennemis des travailleurs.
Le Front national prétend défendre les « Français ». Mais en réalité, cc que cherche le milliardaire Le Pen, avec ses discours racistes et sa démagogie anti-immigrés, c'est diviser la classe ouvrière, dresser les travailleurs les uns contre les autres, immigrés contre français, chômeurs contre ceux qui sont encore au travail, salariés du privé contre ceux du public. Tout cela pour le plus grand profit de la bourgeoisie à laquelle il appartient lui-même.
Et si par malheur ces gens-là parvenaient au pouvoir, ce serait pour mettre au pas la classe ouvrière, lui faire accepter par la force des conditions de travail et de salaire qu'elle n'accepterait pas de plein gré.
Mais compter sur les grands partis qui se sont succédé au gouvernement pour nous défendre contre cette menace, c'est espérer que les incendiaires se transforment en pompiers.
Pourquoi le Front national a-t-il trouvé un écho grandissant, y compris dans les classes populaires parmi leurs éléments les moins conscients ?
Parce que les partis de gouvernement d’hier et d’aujourd’hui ont laissé le chômage et la pauvreté s'installer, ont laissé les patrons licencier et ont fait de l'État-patron lui-même un des principaux licencieurs. Parce, que les dirigeants politiques ont toléré la corruption et protégé les corrupteurs et les corrompus, quand ils n'étaient pas corrompus eux-mêmes. Parce que tous ces partis, de droite comme de gauche, n'ont eu d'autre politique que celle de favoriser l'enrichissement des plus riches, quitte à pousser vers la misère une fraction croissante de la population.
Le Front national en ferait autant et pire s'il était au pouvoir. Mais lorsqu'il y sera installé, il sera trop tard.
Ce ne sont pas les manœuvres électorales des partis déconsidérés qui arrêteront la montée du Front national. C'est une réaction de la classe ouvrière autour d'un programme radical visant à éradiquer le chômage et tout ce qui en découle. L’argent existe pour résorber le chômage, mais il faut le prendre sur les profits colossaux des entreprises et sur les revenus et les fortunes des riches.
C'est à nous, travailleurs, de faire payer les riches si nous ne voulons pas qu'ils nous fassent payer demain plus encore, matériellement comme moralement, par la violence des hommes de main de Le Pen.
Lutte ouvrière : 21 février 1997
À bas les lois anti-immigrés
Toutes sont liberticides pour tous !
Les intellectuels qui appellent à la désobéissance contre la loi Debré sur l'immigration sont, pour la plupart, loin des préoccupations des travailleurs, y compris de la grande majorité des travailleurs immigrés. Cependant, si leur protestation entraînait un recul du gouvernement contre toute la loi Debré, et pas seulement un de ses articles, ce serait une victoire. Cette loi vise à rendre plus difficile la vie des travailleurs immigrés et, accessoirement, à inquiéter tous ceux, Français ou immigrés, qui invitent chez eux.un étranger, parent ou ami. Après avoir été obligé de demander une autorisation pour inviter un étranger chez soi - ce n'est pas nouveau, cela date de 1982, d'un gouvernement socialiste à participation communiste - il faudrait, avec cette nouvelle loi, signaler ceux qui ne seraient pas partis à la fin du délai prévu.
Le refus d'obéir à une loi soulève un tollé à droite et une discrète désapprobation du côté des dirigeants du parti socialiste. Les hypocrites !
On ne les entend pas protester contre la désobéissance de plus en plus généralisée des patrons et de l'État-patron lui-même vis-à-vis des lois sociales, à commencer par celle du salaire minimum.
Quand une loi est mauvaise, la population peut imposer qu'elle soit changée. Il n'y a pas besoin d'élections pour cela. Les femmes qui, à l'époque, ont publiquement affirmé avoir désobéi à la loi interdisant l'avortement, ont entraîné le mouvement qui a obligé un gouvernement pourtant de droite, à supprimer cette loi inique. Il peut en être de même pour toutes les lois dirigées contre les droits des masses populaires.
Les ténors de la droite affirment que les protestations risquent de faire le jeu du Front national. Venant de gens qui reprennent à leur compte la démagogie réactionnaire de Le Pen, c'est du cynisme. Les différents gouvernements de droite - mais aussi ceux de gauche - ont fait se succéder, depuis des années, lois sur lois concernant l'immigration, un peu plus répressives chaque fois, accréditant ainsi cette escroquerie morale et intellectuelle chère au Front national que le chômage est dû à l'immigration !
Les gouvernements qui se relaient depuis le début de la crise économique ont tous contribué à aggraver le chômage. Ils ont tous laissé les patrons licencier en leur facilitant la tâche. Ils ont tous consacré l'argent de l'État à aider le patronat à faire du profit privé, en sacrifiant les services publics et en supprimant des emplois utiles dans les hôpitaux, à la SNCF, dans les transports urbains, dans l'enseignement. Et on ne va tout de même pas prétendre que ce sont des immigrés qui ont pris ces places !
Tous ces gouvernements, socialistes plus communistes, socialistes seuls, ou de droite ont tous leur responsabilité dans la montée de la pauvreté, dans la baisse du niveau de vie, dans la dégradation des quartiers populaires, dans le désespoir de la jeunesse.
Alors, cela les arrange tous d'affirmer ouvertement ou de laisser entendre hypocritement que tout cela est lié à l'immigration, faisant ainsi de l'immigration un problème, voire le problème principal pour dégager la responsabilité de la bourgeoisie et de son système économique.
Mais c'est là un mensonge grossier dont les travailleurs sont déjà victimes. Car, en introduisant la division dans leurs rangs, il les affaiblit pour le plus grand profit du patronat. Et c'est un mensonge qui facilite la tâche pour Le Pen.
Pour le Front national, la démagogie anti-immigrés ou la haine de l'étranger n'est qu'un moyen pour parvenir au pouvoir. Mais, une fois au pouvoir, son but sera de mettre au pas les travailleurs, français comme immigrés, de leur enlever les moyens de se défendre afin qu'ils acceptent des conditions de travail et de salaire plus dramatiques encore qu'aujourd'hui.
Pour mettre un coup d'arrêt à tout cela, il faut s'attaquer aux causes, à cette montée catastrophique de la pauvreté qui pousse la fraction la moins consciente des classes populaires à noire se venger de la classe politique corrompue en se jetant dans les bras du milliardaire Le Pen.
Pour résorber le chômage, ce n’est pas aux plus pauvres - immigrés ou pas - qu'il faut s'en prendre, mais aux riches. Il faut interdire les licenciements dans toutes les entreprises qui font des profits. Il faut interdire les licenciements dans les services publics, licenciements réels ou déguisés par la sous-traitance. Et pour cela, il faut obliger le patronat et ses larbins au gouvernement, à puiser dans les profits colossaux des entreprises, dans les fortunes des riches, de quoi résorber le chômage et augmenter le niveau de vie des classes populaires.
Ce n'est pas dans les choix politiques de ceux qui ont engagé la lutte contre la loi Debré, et pourtant ils le pourraient.
S'ils font reculer le gouvernement sur le terrain qu'ils ont choisi, tant mieux ! Mais cela ne diminuera ni l'insécurité pour les travailleurs étrangers, ni le problème du chômage, ni celui de la montée du Front national.
Si les intellectuels se sentent particulièrement visés par l'extrême-droite, ils ont raison. Mais ce n'est pas avec de simples extincteurs qu'on l'empêchera de brûler les livres ou de s'en prendre aux libertés.
Lutte ouvrière : 28 février 1997
Michelin veut supprimer 1 500 emplois
C’est les capitalistes comme lui qu’il faut faire payer
Mille cinq cents suppressions de postes d'un seul coup ! C'est ce qu'a annoncé Michelin le 21 février. L’entreprise va très bien, mais la compétitivité nécessiterait, paraît-il, une amélioration de la productivité. En d'autres termes, les travailleurs qui resteront devront faire le travail de ceux qui vont partir !
Voilà comment se conduit le patronat de droit divin, ce François Michelin, héritier de la dynastie clermontoise du caoutchouc qui a bâti sa fortune sur le dos des travailleurs de Clermont-Ferrand et aussi, dans un passé pas si lointain, sur le dos de dizaines de milliers d'esclaves dans ses plantations d'Indochine.
C'est cela le capital, c'est sans cœur et sans entrailles. Que mille cinq cents familles crèvent, qu'une ville comme Clermont-Ferrand meure étouffée, qu'importe, mais que pas un centime de profit à venir n'échappe à la famille Michelin !
Et nous, les travailleurs, nous devrions supporter cela indéfiniment ?
Le sénateur-maire socialiste de Clermont-Ferrand, Roger Quilliot, ne sait que pleurer parce que François Michelin lui avait promis que l'effectif clermontois ne descendrait pas au-des-sous de 18 000 salariés. Mais Quilliot savait très bien ce que valent les promesses de Michelin : de 30 000 salariés dans les années 1980, les effectifs à Clermont sont passés à moins de 15 000 et Ils vont donc diminuer encore.
Est-ce par la Corée ou les « pays émergents » à bas salaires que Michelin est concurrencé ? Non ! C'est par les États-Unis et par le Japon. C'est-à-dire que les travailleurs de Clermont-Ferrand devront payer par la misère, comme ceux de Bridgestone au Japon ou de Goodyear aux USA, la guerre entre capitalistes.
Et puis, pour parler de l'actualité, est-ce que ce sont les immigrés qui sont la cause de ces réductions successives d'effectifs à Clermont-Ferrand ? Evidemment non ! Cela, c'est la démagogie du gouvernement et du Front national.
Les vrais responsables, ce sont la famille Michelin et les autres actionnaires, et c'est le capitalisme. Oh, dans les jours qui viennent, les travailleurs de Michelin vont être promenés par des curés, des députés, des maires de la région. Mais rien ne sera imposé à la famille Michelin, sauf un « plan social » qui n'empêchera pas le chômage de s'accroître dans une ville qui a vu 15 000 emplois disparaître en moins de 15 ans dans la seule usine Michelin. Suppressions qui se sont ajoutées à des millions de postes en moins dans tout le pays. N'y a-t-il pas de quoi voir rouge ?
Et ne comptons pas sur les élections pour changer cela. Les gens qui se sont succédés au pouvoir depuis 15 ans, nous les avons vus à l'œuvre et ceux qui, par inconscience, croiraient punir les gens au pouvoir en votant pour le Front national ne feraient que donner encore plus de pouvoir aux requins comme Michelin.
La solution ? Fouiller dans les caisses de la famille Michelin et des autres pour maintenir les emplois. S'il faut augmenter la productivité, qu'ils investissent en machines qui économisent le travail humain et les travailleurs feront moins d'heures, en partageant le produit des progrès techniques réalisés. Pourquoi faudrait-il que ce soient toujours les travailleurs qui paient pour les incohérences du système capitaliste ?
Il faut rendre public tous les comptes des sociétés comme Michelin. Rendre accessible au contrôle de la population les comptes en banque de leurs actionnaires et de leurs prête-noms. Il faut vérifier où, à qui et par quels canaux va leur argent. Et l'on verrait qu'il y a là de quoi maintenir non seulement les milliers d'emplois à Clermont-Ferrand, mais aussi des millions dans le pays, en partageant le travail et les profits.
Et il faut réquisitionner sans indemnités les entreprises qui osent licencier quand elles font des profits.
Pour Michelin ce ne serait que justice, car les générations de travailleurs qui ont sué des profits pour la famille Michelin ont payé mille fois la valeur de l'entreprise. Ce serait aussi le moyen d'arracher à ces gens-là le pouvoir économique de ruiner un pays.