Interviews de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à RTL le 26 novembre 1999, dans "La Croix", "La Voix du Nord" et à "Ouest-France" le 29 et au "Midi Libre" et dans "Les Dernières Nouvelles d'Alsace" du 30, sur les enjeux de la conférence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence internationale de l'OMC à Seattle (Etats-Unis) du 30 novembre au 3 décembre 1999

Média : Emission L'Invité de RTL - La Croix - La Voix du Nord - Le Midi Libre - Les Dernières Nouvelles d'Alsace - Midi libre - Ouest France - RTL

Texte intégral

RTL, le 26 novembre 1999

Q – François Huwart, secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur, présent au Sommet de l'Organisation mondiale du Commerce de Seattle qui débute donc officiellement le 29 novembre. Alors que répondez-vous aux inquiétudes sur les ravages d'une mondialisation incontrôlée, d'un moins disant social, de « malbouffe », d'uniformisation des modes de vie… Ce Sommet sera-t-il plus qu'une énième conférence sur la libre circulation des biens et des services ?

R – Très sincèrement nous l'espérons. L'Union européenne, le gouvernement français l'espèrent. Ce qui est en cause aujourd'hui, c'est précisément de savoir quel visage aura la mondialisation demain. Nous souhaitons certes, que les échanges commerciaux continuent de croître car la France qui est un pays exportateur y a intérêt, les entreprises sont bien intégrées, quatrième exportateur mondial, troisième exportateur pour les services. Il faut savoir qu'un emploi sur quatre aujourd'hui crée en France l'est à la suite d'un acte d'exportation. Donc nous y avons des intérêts offensifs, des intérêts économiques mais en même temps, notre préoccupation est de faire en sorte que désormais grâce à ce cycle qui commence, nous puissions humaniser et réguler la mondialisation.

Q – D'autant que l'atmosphère n'est pas à la fête dans l'opinion publique face à la contestation qui monte.

R – Oui, mais je crois que c'est une donnée qu'il faut prendre en compte maintenant. Cela n'est plus une affaire de spécialistes fort heureusement, c'est une bonne chose. L'opinion publique s'approprie la question de la mondialisation, cela concernera la vie quotidienne de nos concitoyens dans les années qui viennent, et il ne faut pas regretter cette appropriation et le fait que ce soit désormais un lieu de débat publique, au contraire.

Q – Mais cela va être compliqué puisqu'on a même pas réussi au siège de l'OMC à Genève à se mettre d'accord sur l'ordre du jour.

R – Ce sera compliqué en effet. Il n'y a pas aujourd'hui de déclarations ministérielles préparatoires. Ce qui montre qu'en réalité, les points de vues sont très divergents. Je voudrais tout de suite préciser pour qu'il n'y ait pas de confusion dans les esprits de nos auditeurs que Seattle, c'est le point de départ. A Seattle, nous fixons un agenda, c'est-à-dire que nous disons de quoi nous allons parler pendant trois ou quatre ans, et sur quoi nous allons négocier. Nous n'entamons pas la négociation.

Q – Mais vous dites sur quoi on va parler, nous, mais il faut bien rappeler que les Quinze ne parlent que d'une seule voix, qui est le commissaire chargé du Commerce extérieur, qui est Pascal Lamy.

R – Je crois que c'est une très bonne chose que le négociateur européen représente la position des quinze gouvernements unis parce que nous pensons d'avantage.

Q – Mais alors, qu'allez-vous y faire, puisque ce n'est pas vous qui négociez ?

R – Le principe de l'OMC, il faut le rappeler parce que je crois que c'est important, c'est 135 pays et la règle : un pays égale une voix. Les négociations ont lieu, donc nous siégerons en permanence au ministère européen pour dialoguer avec Pascal Lamy sur l'état d'avancement de la négociation. Et finalement, il faut bien savoir que l'OMC étant une organisation démocratique, ce sont les gouvernements qui entérinent et qui signent les négociations.

Q – Alors donc certains sont prudents sur les chances de réussite de Seattle. Quand parviendrez-vous par exemple, à sortir de l'ornière sur le dossier le plus chaud, qui est l'agriculture avec les questions soulevées par la sécurité alimentaire, les OGM et les déséquilibres Nord/Sud ?

R – C'est une vraie question. Pourquoi n'y a-t-il pas aujourd'hui de discussions conclusives à Genève ? Précisément parce que le groupe de Cairns, probablement aidé par les Américains, représente les exportateurs de céréales qui ont déjà accompli une mutation de leur agriculture que nous souhaitons pas, nous, et qui demande la suppression des subventions à l'exportation. C'est un préalable à la négociation, ils veulent des résultats préalables et rapides sur ce point, c'est totalement inacceptable, c'est une sorte de prise d'otage de l'ensemble du cycle alors que nous, nous voulons avancer sur l'ensemble des sujets nouveaux : environnement, normes sociales, sécurité alimentaire. Mais l'agriculture est un sujet difficile et je peux vous assurez que les intérêts de l'Union européenne et de la France sont fermement défendus.

Q – Ce qui veut dire que la France n'est pas prête à accepter n'importe quoi.
R – Sûrement en effet, et nous y veillerons, la France n'acceptera pas n'importe quoi.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 1999).


LA CROIX: 29 novembre 1999

Quels sont les objectifs de la France ?

François Huwart : Il s'inscrivent plus largement dans le cadre de la position de l'Union européenne. La France a contribué à ce que cette position soit solide et à ce qu'un mandat clair soit confié à Pascal Lamy, commissaire européen au commerce, qui va négocier à Seattle. Nous souhaitons obtenir l'ouverture d'un vaste ensemble de discussions – des services à l'agriculture, en passant par la concurrence, les normes sociales ou les investissements –, afin de permettre au commerce mondial de poursuivre son essor. La France est le quatrième exportateur mondial : elle a donc intérêt, en termes de croissance et d'emploi à ce que les échanges de biens et de services s'intensifient. Environ un Français sur quatre doit son travail, directement ou indirectement, aux exportations. Mais la régulation des échanges mondiaux doit concerner de nouveaux sujets – investissements, concurrence, normes sociales et sécurité alimentaire – pour s'adapter au monde actuel. Il faut donc trouver un équilibre entre une ouverture plus grande du marché mondial et une meilleure régulation, afin d'humaniser le commerce mondial.

Quel intérêt a la France à une libéralisation du commerce mondial ?

– Pour un pays exportateur comme le nôtre, l'intérêt est grand. L'objectif de notre politique est la poursuite de la croissance économique, créatrice d'emplois. Or, notre industrie, nos services et notre agriculture sont très intégrés dans le commerce mondial. Si je comprends l'inquiétude liée à la mondialisation d'une partie de l'opinion publique, il faut également comprendre que nous ne pouvons pas faire le choix du repli sur soi. Par ailleurs, l'image que l'on a souvent de l'OMC est fausse : il ne s'agit pas d'un organisme supra-national. Les gouvernements de chaque Etat-membre ont leurs représentants et les décisions sont prises par consensus. C'est donc le lieu de l'expression démocratique pour un contrôle d'une dérive excessive libérale. Il ne faut pas non plus idéaliser l'OMC, qui doit être améliorée. Par exemple, les pays en voie de développement n'ont pas toujours les moyens nécessaires pour faire valoir leurs intérêts. Il y a également des choses à revoir dans les mécanismes de sanctions de l'OMC afin, par exemple, que des producteurs ne soient pas victimes de conflits qui ne les concernent pas, comme les producteurs de foie gras dans le différend sur la banane.

Les 135 membres n'ont pas réussi, avant Seattle, à se mettre d'accord sur l'ordre du jour des prochaines négociations. La conférence peut-elle se terminer par un échec ?

– J'ai déjà évoqué cette possibilité avec Charlene Barshefsky à Washington. La situation à la veille de Seattle n'est pas normale : elle indique un blocage. Les Etats-Unis n'ont pas forcément pris la mesure de leurs responsabilités. L'Union européenne est décidée à ne pas négocier sur un agenda trop réduit, comme le veulent les Etats-Unis, à savoir sur l'agriculture et les services. Le mandat de Pascal Lamy est clair et ferme. Nous ne souhaitons pas un échec, mais cette hypothèse n'est pas à exclure. Pour autant, personne n'a intérêt à un échec : ni les Etats-Unis, qui accueillent la conférence, ni l'Union européenne, comme je l'ai expliqué, ni les pays en voie de développement. Certes, ils n'ont pas retiré tous les avantages qu'ils escomptaient du cycle précédent. Mais, sans nouvelles négociations, ils resteraient sur cette insatisfaction.

Contrairement aux précédentes négociations, qui s'étaient déroulées, sauf pour l'agriculture, dans un relatif anonymat, celles-ci ont suscité une mobilisation sans précédent de la société civile. Des centaines d'ONG sont présentes à Seattle. Réussiront-elles à peser ?

— C'est une bonne chose que la société civile prenne part aux débats. Car ce qui se discutera à l'OMC aura un impact sur la vie quotidienne des citoyens. Le travail d'un gouvernement est de prendre en compte ce que son opinion publique dit. Mais, si l'expression sur place est légitime, son impact sur la position des Etats ne devrait pas être important. Je crois beaucoup plus à la concertation en amont. C'est ce que nous avons fait : nous avons rencontré les syndicats, les associations de consommateurs, etc. La volonté européenne, sous l'impulsion de la France, de lier commerce mondial et normes sociales, est ainsi largement le fruit des concertations entre le gouvernement français et les organisations syndicales. Ce qui est sûr, c'est que rien n'est pire que la politique de la chaise vide, car alors, nous serions sans influence sur le commerce mondial, et donc sur son impact concernant la vie quotidienne des citoyens. Nous allons à Seattle pour dire : nous voulons un système multilatéral équitable pour un monde multipolaire, qui respecte l'identité des pays, leur culture et leur mode de vie. Pour un essor du commerce mondial, favorable à la croissance et à l'emploi, et pour la défense de nos modèles européens, tel que notre modèle agricole.


La Voix du Nord – Lundi 29 novembre 1999

– Comment la France s'est-elle préparée à cette rencontre ?

« Il y a eu un travail de préparation important au niveau européen. J'ai ressenti ainsi les effets de l'intégration européenne et une forte communauté de points de vue. Certes, il y a eu de brèves divergences d'appréciation sur le paragraphe qui concerne les normes sociales mais nous avons trouvé très rapidement un consensus.
Au plan intérieur, nous avons préparé cette conférence avec le souci d'une large concertation, avec, d'une part, le Parlement, et, d'autre part, la société civile. Cette large concertation a permis de dégager des positions claires, car nous avons joué la transparence. C'était la volonté du Premier ministre, pour qu'il y ait une véritable appropriation du sujet par l'opinion publique. »

– Néanmoins, quelle peut être la crédibilité du négociateur quand on sait que les Quinze ne sont pas d'accord entre eux, notamment pour la sécurité alimentaire ?

« Il y a eu des désaccords temporaires et très particuliers en Europe. Au moins entre la France et l'Angleterre ! Mais je pense que cette question va prochainement trouver une solution. Au-delà de ce dossier ponctuel, il n'y a pas de désaccord majeur en Europe. Par exemple, pour le différend sur le boeuf aux hormones avec les USA, l'Europe a été unie et crédible. »

– Quels sont les objectifs de la France ?

« Nous avons un double objectif. Tout d'abord défendre la situation de la France, quatrième exportateur et troisième investisseur mondial. Plus d'un emploi sur cinq créé en France l'est grâce à l'exportation.
Mais, ensuite, nous voulons faire valoir un souci de régulation de la mondialisation. On pourrait aussi dire d'humanisation de la mondialisation. L'OMC, c'est déjà de la régulation. Nous voulons la compléter sur plusieurs points : l'investissement, la concurrence, les marchés publics bien sûr, mais aussi discuter sur de nouveaux sujet tels que l'environnement, les normes sociales, la sécurité alimentaire. »

– Le textile accuse souvent l'OMC et plus généralement la mondialisation d'être à l'origine des délocalisations. Comment remédier à cela ?

« L'OMC n'est pas à mettre en cause de ce point de vue là. C'est au contraire un organe de régulation par essence. Mais pour réduire les effets pervers de la mondialisation, nous souhaitons des règles plus transparentes avec l'intégration progressive des normes sociales fondamentales régulant le jeu de la concurrence. Plus généralement, dans le cadre de ce cycle large de négociations, nous voulons accroître l'accès aux marchés étrangers pour nos entreprises. »

– Les pays en voie de développement membres de l'OMC ne risquent-ils pas d'être de simples spectateurs ?

« Il y a deux réponses à leur apporter. La première est une réponse de conviction sur les normes sociales. Il faut en effet que nous leur expliquions qu'il ne s'agit pas là pour nous d'un protectionnisme déguisé. Ils nous répondent que leurs normes sociales sont au niveau de leur développement économique. Nous leur disons que le développement des normes sociales a été le résultat d'un combat mené pour les droits sociaux. Je crois que c'est aussi dans l'intérêt de leurs peuples et dans l'intérêt des droits fondamentaux de l'homme.
D'autre part, il faut que nous soyons capables de mieux les intégrer à l'OMC en leur donnant les moyens de participer pleinement. L'objectif de l'Union européenne est d'arriver, à la fin de ce cycle de négociations, à une situation qui permette aux pays les plus pauvres d'introduire sur le marché presque tous leurs produits. Désormais, les pays en voie de développement sont là et veulent que leur avis soit pris en compte. A Seattle, le dialogue transatlantique existera mais à trois, avec les PVD. »

– Etes-vous favorable à un intégration de la Chine après l'accord avec les Américains ?

« Compte tenu de l'importance du commerce extérieur et du marché intérieur de la Chine, on doit considérer que son adhésion sera un progrès dans l'organisation mondiale du commerce. Mais le dialogue entre la Chine et les Etats-Unis doit se poursuivre avec l'Europe. »

 

Ouest-France – 29 novembre 1999

Le risque d'un échec reste-t-il prédominant à la veille du sommet de Seattle ?

La situation est actuellement préoccupante. Les points de vue sont très éloignés. On ne peut toujours pas écarter l'hypothèse d'un non lancement du cycle de négociations prévu. On n'a pas de document de travail portant.

Y a-t-il des marges de manoeuvre pour éviter le blocage ?

Nous ne souhaitons pas faire preuve de souplesse, notamment sur le sujet agricole central. Nous sommes dans les clous des accords de Marrakech. Pas la peine d'aller plus vite que la musique.

Le sommet pourrait-il se conclure sur un agenda a minima consacré à l'agriculture et aux services ?

Ce n'est pas la peine de lancer un nouveau cycle de négociations si c'est seulement pour reparler de ce dont on avait parlé au final des discussions du Gatt à Marrakech. La France a des intérêts offensifs à Seattle. Pour elle, il est clair que ce cycle doit intégrer des sujets nouveaux : l'environnement, la sécurité alimentaire, la concurrence, les investissements, les marchés publics.

Les opinions publiques sont aussi très anti-OMC comme on l'a vu à Paris samedi ?

C'est la démocratie. Auparavant ce qui se passait c'est que les discussions étaient confidentielles. Aujourd'hui il y a un vrai débat public. Tant mieux. Cela n'enlève rien à la légitimité du gouvernement à négocier. Cela la nourrit. En fait il faut ni idéaliser l'OMC, ni la diaboliser. C'est le lieu qui va bien pour améliorer la mondialisation et faire en sorte qu'elle soit plus respectueuse des peuples, des identités régionales. Si on proteste contre le fait que les multinationales ont un rôle excessif c'est bien à l'OMC qu'on peut encadrer les choses. Je pense que l'opposition à l'OMC serait plus justifiée si la démonstration était faite qu'elle ne remplit pas son rôle.

Le happening de José Bové n'est-il pas un peu gênant pour les politiques ?

José Bové n'est pas un problème. Il pose beaucoup de bonnes questions mais n'apporte pas toutes les bonnes réponses. Et il n'est pas seul. Sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) par exemple, on voit bien que l'opinion américaine et les agriculteurs américains commencent à s'en préoccuper, en termes de santé publique.

L'Europe est isolée sur le point de grippage central que constitue l'agriculture ? Embêtant non ?

Il y a tout de même des pays comme le Japon et la Corée qui sont plutôt d'accord avec nous. Mais c'est vrai que le groupe de Cairns (Brésil, Canada, Australie, etc.) est très agressif et met comme préalable le règlement du dossier agricole avec la suppression de toutes les subventions. Nous répondons fermement qu'il n'est pas question de prendre le cycle en otage sur une question. Et qu'il est hors de question d'adhérer à leur conception de l'agriculture, excessivement intensive, peu respectueuse de l'environnement. Par ailleurs s'il faut assumer un procès en protectionnisme nous disons chiche. Mettons tout sur la table. On verra bien alors que les Etats-Unis aident au moins grand nombre d'agriculteurs (deux millions) avec plus d'argent (60 milliards de dollars). Alors que nous aidons 7 millions d'agriculteurs avec 40 milliards de dollars.

Mais comment faire partage notre point de vue ?

Nos conceptions agricoles peuvent être partagées par beaucoup d'agriculteurs du monde, en particulier sur les objectifs de qualité. Si demain les pays en voie de développement veulent exporter leur produits agricoles, nul doute qu'ils devront prendre en compte la question de la qualité.

Comment expliquer aux Français l'intérêt de l'OMC ?

Dans le contexte d'une mondialisation incontournable, un pays qui est le quatrième exportateur mondial et dont pratiquement un emploi sur quatre dépend de l'exportation, ne peut pas se replier sur lui-même. Au moment où l'on se plaint du poids que fait peser l'économie financière sur les politiques démocratiques, l'OMC est une réponse mondiale de régulation, d'humanisation. Il n'y a pas d'autre solution. Nous progresserons à partir du moment où nous aurons fait la démonstration que l'OMC a fait la preuve de son rôle de régulation.

Quel serait l'impact français européen d'un échec ?

D'abord ce serait l'échec des Etats-Unis le pays organisateur. Mais en substance l'OMC continuera d'exister. Ce n'est pas pour autant que nous n'exporterons plus.


Midi Libre – Mardi 30 novembre 1999.

ML : la mondialisation est-elle synonyme d'américanisation, manque de diversité et malbouffe ?

François Huwart : La mondialisation prend de l'ampleur. Il est normal que les gens s'inquiètent et qu'il y ait débat public. Mais l'OMC, conçue pour la réguler, est le bon endroit pour lutter contre l'unilatéralisme. Il ne faut pas diaboliser l'OMC. C'est là que nous pouvons apporter la réponse démocratique à une économie mondiale où l'on critique le poids excessif des multinationales. Si l'on veut un monde multipolaire qui respecte les identités régionales, il nous faut à la fois des règles claires qui régulent et protègent les conditions du commerce mondial. Et il faut qu'à l'OMC on puisse prendre en compte l'environnement, la sécurité alimentaire ou les normes sociales : c'est le lieu où l'on peut humaniser la mondialisation.

La France est-elle en phase avec ses partenaires européens ?

F.H. : C'est la première fois que l'Union aborde une telle négociation mondiale sur une position clairement unie et avec un mandat très clair à son négociateur, Pascal Lamy.

Ne faudra-t-il pas transiger sur l'agriculture ?

F.H. : Nous refusons la démarche du groupe de Cairns qui veut pré-négocier la question agricole et obtenir des résultats avant d'avancer sur les autres sujets : c'est une prise d'otage anormale ! Nous ne voulons pas que l'agriculture soit banalisée et traitée comme les autres produits industriels. L'agriculture n'est pas qu'un enjeu de commerce, c'est aussi une conception de modèle de développement, d'équilibre villes-campagnes. La PAC va dans le sens de la multifonctionnalité et sa mise en cause est anormale sachant que les Etats-Unis, avec 60 millions de dollars aident plus leurs 2 millions d'agriculteurs plus que l'Union avec 40 milliards pour ses 7 millions de paysans. Que chacun balaie devant sa porte !

Et les pays en voie de développement ?

F.H. : L'Union européenne veut une meilleure prise en compte de leurs aspirations. Nous voulons un cycle large et équilibré : si nous avions un cycle étroit, réduit à l'accès au marché et aux services, les pays en voie de développement n'y retrouveraient pas leur compte. Certes comme ces pays disent « nous ne voulons pas parler de tels ou tels sujets » on pourrait croire qu'ils sont dans le sillage des Etats-Unis qui traînent les pieds sur les normes sociales ou l'environnement. A Seattle, nous ne sommes pas en train de négocier sur des sujets mais sur un agenda pour savoir de quoi nous allons parler. L'essentiel se passera après. Nous ne souhaitons pas l'échec de Seattle mais nous ne pouvons pas exclure un non-lancement du cycle.
L'OMC reste une institution jeune : il faudrait en réformer l'instance arbitrale pour régler les différends et arrêter de prendre en otage des gens qui n'ont rien à voir avec le sujet, comme les producteurs de roquefort.


Les Dernières Nouvelles d'Alsace – 30 novembre 1999

– Avec quelle méthode la France aborde-t-elle le sommet de Seattle ?

– L'intérêt de la France, c'est d'avoir un cycle large avec de nombreux sujets parce que nous pensons qu'il faut introduire à l'OMC davantage de régulation de la mondialisation. Nous ne voulons pas en rester à ce qui a été discuté à Marrakech et nous voulons ajouter les sujets de l'investissement, de la concurrence, des marchés publics, de l'environnement – avec notamment les questions de la sécurité alimentaire –, et les normes sociales.

– Les ministres français affirment qu'ils ne craignent pas la mondialisation. Quels sont vos arguments ?

– La France préconise davantage de règles, mais elle a un intérêt économique fort à la poursuite de l'ouverture commerciale car son économie est très bien intégrée à la mondialisation. Pour elle, c'est un enjeu de croissance : un emploi sur cinq est « créé » par l'exportation !

– Sur l'agriculture, qu'allez-vous défendre ?

– L'attachement au modèle agricole européen et notamment à la multifonctionnalité qui prend en compte l'aménagement du territoire. Il s'agit de protéger l'équilibre de la société entre zones urbaines et zones rurales.

Des convergences avec José Bové

– Des conceptions défendues par José Bové peuvent-elles être écoutées et relayées notamment par les représentants de la France ?

– Nous ne sommes pas frileux. Ça ne met nullement en cause la légitimité du gouvernement et il y a un certain nombre de préoccupations de M. Bové qui recoupent les nôtres. Sur la volonté de faire passer la France d'une agriculture de qualité plus respectueuse de l'environnement, nous avons des convergences. Mais dans un monde où bien des pays n'ont pas à manger à leur faim, le thème de l'autosuffisance alimentaire est trop court… Il y a aussi l'urgence !

– L'une des grandes peurs des Français, c'est d'être instrumentalisés par une sorte d'économie mondiale qui aurait sa propre mécanique. Une approche morale de la mondialisation est-elle concevable ?

– Bien sûr. L'OMC peut nous permettre de répondre à cette mondialisation incontrôlée qui se traduit précisément par l'ultralibéralisme et la loi du plus fort. On ne peut pas craindre à juste titre que les multinationales mettent la planète en coupe réglée et refuser de participer à une organisation internationale où les opinions publiques peuvent faire entendre leur légitimité et défendre leurs modèles de sociétés à travers les représentants de leurs gouvernements. A l'unilatéralisme, nous souhaitons substituer un ordre multipolaire où le commerce serait un facteur de progrès.