Texte intégral
Le Parisien : Depuis trente ans, on ne cesse de le répéter : « l’Afrique est mal partie ». Êtes-vous, comme beaucoup, fataliste ?
Jacques Godfrain : Non seulement je ne suis pas fataliste, mais ce genre de propos me scandalise ! L’Afrique, c’est un marché et un producteur, qui est certes en émergence, mais qui progresse tous les ans avec un pouvoir d’achat croissant, dont nous devons tenir compte pour notre commerce extérieur comme pour nos investissements. Une Afrique complètement déstabilisée, avec son cortège de violences et de mouvements migratoires, aurait de très graves répercussions sur notre vie quotidienne. L’Afrique, pour nous, c’est donc capital ! Aujourd’hui, l’aide publique de la France au développement – hors multilatéral – est de 34 milliards de francs. Le chiffre d’affaires des entreprises française en Afrique subsaharienne est de 35 milliards. L’excédent commercial avec l’Afrique est supérieur à celui avec l’Amérique latine. Nous ne pouvons pas délier notre action de développement économique en Afrique de l’emploi en France. L’appui à l’Afrique n’est pas incompatible et peut même être complémentaire avec la défense de nos intérêts économiques.
Le Parisien : Cela veut-il dire que l’Afrique doit rester notre « chasse gardée », comme nous le reproche l’Américain Warren Christopher ?
Jacques Godfrain : Non, la concurrence est inévitable et même indispensable, mais que le meilleur gagne ! Si nos Airbus sont les meilleurs, autant qu’ils soient choisis ! Si nos téléphones sont les meilleurs, autant que ce soit des téléphones français… On ne doit pas avoir la moindre idée de protectionnisme, mais il faut en revanche avoir la volonté d’être les meilleurs.
Le Parisien : La France est-elle prête à un nouveau geste à l’égard des pays les plus endettés ?
Jacques Godfrain : La France a déjà fait de nombreux gestes, mais elle ne le fait pas sans contrepartie, l’effacement de la dette doit se transformer en investissement économique. Nous disons à nos amis africains : « au lieu de nous rembourser, vous allez faire une route, construire un hôpital, etc. » Nous sommes là au cœur de la coopération. Lorsqu’on efface une dette, on ne jette pas l’argent par les fenêtres, on veut que le citoyen africain le plus pauvre et le plus éloigné puisse en profiter.
Le Parisien : Quels sont les thèmes majeurs de ce sommet ?
Jacques Godfrain : Le thème général, c’est la bonne gouvernance et le développement. La bonne gestion des affaires publiques implique la maîtrise des déficits publics : les privatisations de certains services publics africains, la nécessaire réduction du nombre des fonctionnaires, la prise en compte des mesures d’accompagnement de la dévaluation du franc CFA… Aujourd’hui, la croissance de l’Afrique francophone est en moyenne de 5 à 6 %. En 1990-1991, le taux d’inflation moyen était de près de 40 % par an, aujourd’hui il est tombé à 5 %. Le second thème sera l’État de droit qui est indissociable d’une bonne santé économique.
Le Parisien : Ce sommet sera incontestablement dominé par la situation dramatique qui prévaut au Zaïre et dans la région des Grands lacs. Que peut-on en attendre concrètement ?
Jacques Godfrain : La situation au Zaïre ne fait pas partie des thèmes de la conférence, mais on peut supposer que les chefs d’État s’en entretiendront en marge du sommet. Pour en revenir au thème de l’État de droit, j’évoque aussi la gestion des élections au Zaïre. Elles sont été prévues pour juin 1997. Ce sera donc l’opportunité de rappeler à tous que l’organisation d’élections est une décision essentielle. Je crois qu’il ne faut admettre aucune dérogation.
Le Parisien : La Force multinationale d’aide humanitaire paraît bien longue à se mettre à place…
Jacques Godfrain : Les parachutages de vivres ne peuvent, bien sûr, pas remplacer le déploiement nécessaire d’une force sur le terrain mais – tant pis – commençons s’il le faut par des parachutages. L’essentiel est qu’il se passe quelque chose. La France est en tête dans cette affaire, mais quand elle se retourne, il y a bien peu de monde derrière elle.
Le Parisien : Vous étiez récemment au Mali, après l’affaire des sans-papiers de Saint-Bernard…
Jacques Godfrain : Quand un étranger est en France, en situation régulière, qu’il respecte nos lois et a un travail avec une carte de travail en bonne et due forme, non seulement il ne pose pas de problème, mais il nous rend plutôt service. Mais quand un immigré clandestin arrive ici, il est obligé de travailler clandestinement. C’est-à-dire que celui qu’il gêne le plus, c’est d’abord l’immigré régulier, puisqu’il lui prend son travail. Il le gêne aussi par l’image qu’il donne des immigrés. C’est pour mieux protéger les réguliers qu’il faut que nous les distinguions des clandestins.
Le Parisien : Que sont devenus les sans-papiers de Saint-Bernard ?
Jacques Godfrain : C’est au ministère de l’intérieur qu’il faut poser la question… Mais ce qui est important dans cette affaire, c’est que les sans-papiers ont vu que la France ne se laissait pas faire. C’est un facteur décourageant pour les autres. À ceux qui seraient tentés de venir clandestinement en France, nous disons : « ne venez plus ! » Le deuxième message, c’est : « nous serons là pour vous aider à rester chez vous et à vous développer sur place ». C’est le langage de vérité que j’ai tenu au Mali. Il y a un proverbe africain qui dit : « la vérité ne crève pas les yeux, elle ne fait que les rougir ».