Interview de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, dans "L'Express" du 11 novembre 1999, sur la démocratisation de l'accès au théâtre, notamment par l'apprentissage du jeune public à la fréquentation et la tarification.

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Média : Emission Forum RMC L'Express - L'Express

Texte intégral

Q - Pourquoi démocratiser le théâtre ?

- « Le théâtre est un art très particulier : d'une part, il est, dans notre société audiovisuelle, l'un des derniers endroits où l'on se trouve en contact avec la présence physique de l'acteur ; d'autre part, il offre un lieu de réflexion et d'interrogation sur l'homme et la cité. Il bouscule. Peu de gens, pourtant, passent la porte des théâtres. »

Q - Comment comptez-vous démocratiser le théâtre ?

- « L'accès au théâtre doit se faire dès l'école. En tant qu'ancien maire de Strasbourg, j'ai constaté que la pratique amateur dans les lycées et les collèges permet de « dédramatiser » les textes et de désacraliser le jeu. Cela a amené beaucoup de jeunes à fréquenter d'abord le TJP (Théâtre Jeune Public), puis le Maillon, puis le TNS »

Q - Qu'attendez-vous des théâtres ?

- « La charte des missions de service public que j'ai promulguée à mon arrivée au ministère de la Culture, et qui constitue désormais le fondement éthique des relations entre l'État et les professionnels du spectacle, prône une démarche active vers le public à travers les médiateurs et l'action culturelle. Je pense qu'il ne suffit pas de remplir une salle, il faut construire un public. Et ne pas craindre de prendre des risques avant-gardistes qui, s'ils attirent peu de spectateurs, ont un impact positif qui n'est pas lié au nombre. »

Q - N'est-ce pas ce que font déjà les théâtres ?

- « Si c'était le cas, croyez-vous que j'engagerais cette action ? Certes, tous les établissements se sont donnés des équipes de communication, diffusent un journal, organisent des conférences de presse et des opérations de promotion. Mais il ne s'agit pas de cela. »

Q - L'action de Stanislas Nordey au TGP de Saint-Denis correspond-elle à la démocratisation telle que vous la souhaitez ?

- « Avec son équipe, Nordey a engagé un travail positif qui place le public au centre d'un projet quotidien dans une ville qui connaît des problèmes que doivent affronter la plupart des villes de banlieue. J'ai soutenu ce projet, mais je n'ai jamais demandé la sur-programmation et la systématisation auxquelles il s'est livré et qui l'ont conduit à annoncer 10 millions de déficit. Au contraire, j'ai averti Nordey des dangers qu'il courait. Il me paraît nécessaire d'adapter une action artistique à la mesure des moyens accordés. Croire que la responsabilité artistique à l'égard du public peut aller sans la responsabilité à l'égard des fonds publics est faux : quand on veut faire un « théâtre citoyen », il faut que cette volonté s'applique sur l'ensemble, du projet. »

Q - En ce qui concerne les modalités de la démocratisation, il vous est reproché de vouloir faire du socioculturel.

- « Je ne demande pas aux directeurs de théâtre de faire du social ; je leur demande de s'occuper de tout le public. Le passage du prix des places à 50 francs le jeudi, dans les théâtres nationaux, est primordial pour cela. Quand on a peu de moyens, il est important de pouvoir acheter son billet au même prix que les autres. Je trouve que la catégorisation des tarifs (jeunes, vieux, chômeurs, etc.) n'est pas une bonne réponse au problème. Le tarif unique, le jeudi, s'adresse à une population qui ne va pas au théâtre et pour qui, selon les enquêtes sur les pratiques culturelles, « aller au théâtre, c'est cher, compliqué et il faut s'y prendre à l'avance ». C'est à cet obstacle psychologique que je m'attaque. »

Q - Le taux de remplissage d'une salle est-il un indice de démocratisation ?

- « Je ne méprise pas le succès populaire, mais, quand il y a financement public, il doit y avoir un projet artistique fort, ce qui comporte une part de risque. Je souhaite encourager la promotion des textes contemporains : il est essentiel que les gens puissent apprécier l'apport des artistes en temps réel et que les auteurs aient la possibilité de voir leurs textes montés de leur vivant. »