Déclaration de M. Ernest-Antoine Seillière, président du CNPF, sur la rénovation de la négociation sociale et du paritarisme et la modernisation du CNPF, Paris le 16 décembre 1997, publiée dans "La revue des entreprises" de décembre 1997.

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Circonstance : Réunion de l'Assemblée générale du CNPF à Paris le 16 décembre 1997 et élection de M. Ernest-Antoine Seillière à la présidence en remplacement de M. J. Gandois

Média : CNPF La Revue des entreprises - La Revue des entreprises

Texte intégral


« Merci, chers amis entrepreneurs, de m’avoir accordé votre confiance. Son ampleur même me donne les moyens, en complète harmonie avec vous, d’exprimer vos positions et avant tout, celle des entreprises de terrain. Je n’ai cessé pendant la campagne de les rencontrer, de les entendre. Ce sont elles, avant tout, qui inspireront mon action et mes propos. J’attache une importance capitale à ce que le CNPF nouveau, que nous construirons ensemble pour aborder le XXIe siècle, soit leur maison. »

Je souhaite tout d’abord saluer mes prédécesseurs ; François Ceyrac, grand ami de ma famille. Yvon Gattaz qui m’introduisit au CNPF pour y préparer, au Zénith, un grand show sur le thème jeunesse et entreprise. François Perigot, qui me prit pour second à la commission économique et avec lequel je me réjouis de continuer à faire équipe puisqu’il vient d’être nommé à la tête de CNPF International. Jean Gandois, enfin, qui me confia l’organisation du cinquantenaire. Jean, j’ai appuyé votre action, vous le savez et j’ai profondément regretté que vos efforts sincères et généreux pour convaincre le gouvernement de ne pas s’engager dans la voie d’une loi pour les 35 heures, n’aient pas été couronnés de succès. Cela vous a conduit, à notre regret à tous, à vous démettre de votre responsabilité. Jean, l’Assemblée vous nomme président d’honneur du CNPF et rend ainsi hommage à votre action !

« Trois piliers, une femme, un jeune »

Avant de présenter quelques idées sur l’action que nous allons mener ensemble, je demande à l’Assemblée de confirmer par acclamation le mandat du conseil exécutif qui a eu l’élégance de le mettre en jeu lors de la démission de Jean Gandois. Je lui demande aussi de bien vouloir élire les cinq personnalités que, conformément aux statuts, j’ai la liberté de choisir. Trois d’entre eux vous sont connus :

Bernard Calvet : il quitte le conseil exécutif où il représentait l’Union française des industries pétrolières mais y rentre aussitôt pour devenir vice-président délégué. J’ai souhaité instituer cette fonction nouvelle afin de nous partager le travail, pour être plus efficaces, et me permettre aussi de rester pleinement chef d’entreprise à la tête du groupe dont j’ai la responsabilité.

Pierre Bellon : il m’a semblé impensable de devenir président du CNPF sans que mon compagnon de route depuis dix ans soit à mes côtés. Son engagement, son expérience, son habileté, sa connaissance profonde, affective, des entreprises de terrain le désignaient à l’évidence pour être mon conseiller pour l’ensemble des actions à mener avec et pour elles.

Denis Gautier-Sauvagnac : le talentueux et énergique délégué général de l’Union des industries métallurgiques et minières nous apportera son précieux concours dans le domaine social.

Vous ne connaissez pas les deux autres. L’un et l’autre sont des entrepreneurs de terrain, à la tête d’entreprises qui me paraissent tout à fait emblématiques :

Simone Rosko a fondé et développé (sans diplômes ni argent) Roskoplast SA à Pau, spécialiste de l’emballage plastique souple de luxe. Elle emploie 50 personnes et réalise 35 millions de francs de chiffre d’affaires. Nous la connaissons par l’Association pour le progrès du management.

Jérôme Giacomini. 30 ans, a délaissé les grandes carrières de l’établishment au sortir de Polytechnique pour fonder en 1994 son entreprise, Aérophile. Cette entreprise de tourisme élève en ballon, pour des excursions au-dessus de grands sites dans une nacelle de 30 personnes et à 150 mètres d’altitude, des visiteurs émerveillés. Elle compte aujourd’hui 15 emplois et se développe à l’exportation. Avez-vous songé qu’une entreprise de ce type par département équivaudrait à l’implantation de Toyota à Valenciennes ? Saluons en Jérôme Giacomoni le premier entrepreneur de 30 ans à accéder au conseil exécutif du CNPF…

Par ailleurs le conseil exécutif vient à ma demande, de confirmer tous les présidents de commission dans leurs fonctions. Je les en félicite et compte sur leur engagement. Sans pouvoir les citer tous, je mentionne Denis Kessler dont vous savez la fougue et le talent qu’il met, à la tête de la commission économique, au service de la liberté d’entreprise, et Georges Jollès qui a accepté de prendre la succession de Dider Pineau-Valencienne à la tête de la commission sociale.

Enfin, Francis Mer a demandé à passer la main pour la Commission internationale. Guy de Panafieu, très expérimenté pour avoir notamment tenu longtemps la commission des affaires européennes, lui succède.

Voilà l’équipe avec laquelle nous allons conduire une ample action de rénovation.

« Que s’évanouissent ces faux-semblants et qu’apparaisse le projet moderne qui sera la nôtre ! »

Lors de ma campagne, j’ai adopté un style que certains ont jugé nouveau. J’ai dit sans détour ce que pense l’immense majorité des entrepreneurs. Cela a surpris mais je sais que nombre d’entre vous en ont été heureux et comme soulagés. Chemin faisant, on m’a évidemment prêté bien à tort de sombres desseins politiques dérivés du judo, ou des intentions vengeresses, dans le style du Crapouillot des années trente. Que s’évanouissent aujourd’hui ces faux semblants cependant que se dispersent les odeurs de poudre, et qu’apparaissent en pleine lumière le projet moderne, rénovateur qui sera le nôtre dans quatre domaine, qui seront nourris et précisés rapidement.

Notre pays tranche dans le monde par son scepticisme. Saturé de règlements, accablé de fiscalité et de charges, rompu d’assistanat, il décourage sa jeunesse, en la rendant méfiante à l’égard d’un monde qui a fait sienne, partout, la règle du jeu entrepreneuriale. Qui se sent l’extrême et l’urgente nécessité d’un sursaut ?

Sans doute le ressentons-nous plus que les autres, nous les entrepreneurs sur lesquels pèse la charge de créer la richesse nationale en compétition avec le monde. Et puisque nous le ressentons, eh bien, nous proposerons la manière concrète de sortir notre pays, dans notre domaine de compétence, de l’ornière. Il ne s’agira pas, rassurez-vous d’un programme politique mais de la vision économique et sociale que nous proposerons à l’opinion pour le XXIe siècle et qui inspirera, nous l’espérons, les politiques de droite ou de gauche dès lors qu’ils doutent profondément de la possibilité de restaurer le plein emploi dans le cadre des règles du jeu économique et social qui nous sont imposées actuellement. Il appartient aux entrepreneurs d’être cette force de proposition.

Un effort d’imagination aussi risqué que négatif vient d’être fait par le gouvernement avec le projet de loi des 35 heures. Nous savons qu’il n’est pas susceptible de créer de l’emploi et que bien au contraire, telle qu’elle est conçue, la réduction du temps de travail généralisée, datée et autoritaire affaiblirait nos entreprises et notre pays. Nous y sommes radicalement opposés. Nous définirons notre propre projet. Il sera fondé bien sûr sur la liberté dès lors qu’aujourd’hui pour l’entrepreneur, en France, tout ce qui n’est pas interdit est en train de devenir obligatoire.

« Un dialogue social décentralisé, adapté, concret, vivant »

Le modèle français est en partie archaïque. Centralisée, jacobine, la négociation nationale globale sous l’autorité interventionniste de la puissance publique, impatiente de substituer sa propre règle autoritaire à celle trop souvent péniblement esquissée par les partenaires sociaux au sommet, dans un climat à la fois trop politique et trop médiatisé, est un modèle aujourd’hui récusé dans les entreprises.

L’extrême diversité des métiers – 600 syndicats professionnels regroupés dans 87 fédérations ! – et celle encore plus vaste des entreprises doit nous orienter vers un dialogue social décentralisé, concret, vivant, adapté dans les entreprises et bien entendu quand elles le souhaitent, le décident et le peuvent, dans les branches. C’est là que nous souhaitons voir s’intensifier et se développer l’indispensable dialogue social dont les entrepreneurs savent mieux que quiconque la nécessité et l’utilité.

« Un paritarisme rénové »

Toutes ces dernières semaines, j’ai souligné l’importance du paritarisme dans la construction sociale à la française et précisé qu’il n’était pas dans notre intention de condamner à l’emporte-pièce ce système. En revanche, j’ai traduit sans fard le sentiment que les entrepreneurs ne pouvaient plus accepter, quelle qu’en soit la raison, un accroissement de leurs charges imposé dans un cadre paritaire, que celui-ci soit vrai, ou faux, c’est-à-dire dominé en réalité par la puissance publique.

Nous aurons à prendre nos responsabilités dans ce domaine afin de ne plus nous trouver associés ou cautionnant des décisions que nous désapprouverions et qui menaceraient l’équilibre des entreprises et donc l’emploi. Nous définirons le paritarisme rénové auquel nous aspirons.

« Un CNPF modernisé »

Le CNPF, né au lendemain de la guerre, a fait du bon travail pendant les Trente Glorieuses. Il a activement participé à la mise en place d’un système d’institutions et de relations sociales qui a reconstruit et développé notre économie nationale. En revanche, durant ce qu’un auteur vient d’intituler les Vingt Piteuses, le conservatisme d’une société bloquée, faisant alterner au rythme de l’économie mixte des moments d’ouverture et des moments de repli, a imposé à tous une réalité économique et sociale dégradée : un chômage record, un affaiblissement de nos structures financières, de grande crispations sociales paralysantes, l’affaiblissement des structures de dialogue et de l’autorité de l’État, compensé par un torrent réglementaire.

Il est temps pour le CNPF de prendre l’initiative de sa propre modernisation. Il nous faut construire le CNPF modèle XXIe siècle : clarifier et moderniser ses missions, adapter l’institution en recherchant une représentativité plus forte, en associant mieux les entreprises de terrain et les grandes entreprises.

« Rendez-vous dans deux ans »

Voilà donc du pain sur la planche. Je sens de l’enthousiasme, de la volonté, et de l’unité autour de ces projets. Je sens surtout la détermination de tous à ne pas laisser s’amenuiser, suprême danger pour notre pays l’esprit d’entreprise. Cet esprit qui, par une alchimie où interviennent ensemble audace, créativité, aventure, autonomie, accomplissement de soi, altruisme, responsabilité, réussite, risque, conduit les plus dynamiques d’entre les Français, à décider d’embauche pour un projet d’entreprise et, ce faisant, à assurer l’emploi et la croissance.

Or il y a danger. De nombreux jeunes, hélas, ne croient plus à la France pour bâtir leur entreprise. Les étrangers choisissent de développer ailleurs en Europe (j’excepte Toyota, et je m’en réjouis) leurs investissements directs.

Nos entrepreneurs de terrains hésitent à investir. Au moment où nous entrons dans l’Europe, économiquement intégrée de l’euro, prenons garde que la France ne voit s’affadir l’esprit d’entreprise sur son territoire. Ce serait notre déclin. Il nous appartiendra de veiller sans relâche à ce que nos gouvernants et l’opinion aient cette réalité en tête, alors qu’ils semblent ne s’en pas soucier suffisamment.

Je nous donne rendez-vous en décembre 1999, pour apprécier ensemble si les orientations que je viens de définir ont été réellement mises en œuvre, si je leur ai été fidèle, si vous m’avez soutenu. Vous pouvez compte sur mon énergique engagement.

Vive les entrepreneurs et, puisqu’il s’agit à la foi de nous et d’elle vive la France !