Interview de M. Brice Lalonde, président de Génération écologie, à RMC le 28 novembre 1996, sur le conflit des routiers et la réglementation des transports routiers, en Europe, la parité monétaire franco - deutsche mark et la politique gouvernementale.

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P. Lapousterle : La négociation sur le conflit des routiers n’a pas encore abouti. Le ministre, M. Pons, parle de succès et dit qu’il ne comprendrait pas que les routes soient encore barrées. Les syndicats se déclarent, eux, insatisfaits. Pensez-vous que les accords conclus sont convenables ? Qu’il faudrait que ce mouvement s’arrête ?

B. Lalonde : C’est bien certain que le mouvement doit s’arrêter. On approche de Noël, l’économie française commence à se bloquer, il n’y a plus d’essence, on va donc vers une situation de plus en plus dramatique. En même temps, comme défenseur de l’environnement, je crois que nous devons défendre les chauffeurs routiers. Et si nous devons défendre les chauffeurs routiers, c’est aussi parce que nous devons lutter contre le « tout camion ». Alors, c’est quand même curieux comme position. Eh oui ! Parce que, précisément en ce moment, l’envahissement, de plus en plus, de tous les transports par tous les camions qui viennent de tous les pays du monde et qui sont en train de prendre des parts de marché au train, au transport fluvial, au transport maritime, tout ça c’est pour quoi ? C’est parce qu’on ne paye pas les chauffeurs routiers. C’est parce que les prix du transport routier sont scandaleusement bas. Ils descendent d’année en année. Ils sont descendus de 20 % à peu près en 20 ans.

Pourquoi est-ce que le transport routier est si peu cher ? C’est parce que l’on en est à la semaine de 60 heures, alors vous vous rendez compte ! Non seulement on ne paie pas les chauffeurs routiers, non seulement on ne respecte pas les lois sociales, mais on ne respecte pas les lois du tout. Le transport routier est un domaine où la piraterie s’est développée de manière considérable ces dernières années. Disons le mot : piraterie. C’est-à-dire que vous avez, tout simplement, dans tous les rapports, une augmentation des infractions à la vitesse, une augmentation des infractions à la surcharge, une augmentation des infractions au bricolage du mouchard – surtout sur les camions étrangers. Il y a une augmentation, d’année en année, des infractions : infraction à la limitation de vitesse, etc. Si on continue comme ça, on étrangle tous les modes de transport et puis on est dans des situations dramatiques, avec des accidents de plus en plus graves. Une durée du travail moindre pour les chauffeurs routiers, c’est aussi des conditions de sécurité bien meilleures pour l’ensemble des usagers de la route.

P. Lapousterle : Quand les entreprises patronales de transport routier disent qu’elles n’ont pas les moyens d’accepter les demandes des chauffeurs routiers, ont-elles raison ?

B. Lalonde : Est-ce qu’un jour, on va dire la vérité ? La vérité c’est que vous avez, en France, à peu près 35 000 entreprises de transport. Sur ces 35 000 entreprises de transport, vous en avez 60 % ou 70 % qui ont moins de six salariés et qui sont presque sous la ligne de flottaison, qui sont coincées entre l’augmentation des charges, l’augmentation du gasoil, la concurrence et, surtout, la pression des chargeurs. Parce que ceux qui font la loi dans le domaine des transports et du transport routier, ce ne sont pas les transporteurs eux-mêmes mais ce sont les chargeurs, ce sont les clients. Et, de plus en plus, les clients, les chargeurs ce sont des grosses boîtes, ce sont des grandes surfaces, ce sont même les producteurs qui commencent à s’équiper eux-mêmes ; et les transporteurs routiers qui travaillent pour autrui sont de plus en plus supplantés par les producteurs qui ont leurs propres camions, les grandes surfaces qui ont leurs propres camions et la concurrence étrangère, avec des camions considérables, des flottes ultramodernes – la flotte néerlandaise, par exemple.

Vous avez donc des grandes sociétés de transport qui s’en sortent, mais les petites, de moins en moins. Le risque que nous avons devant nous – mais c’est aussi parce qu’on ne nous dit pas la vérité – c’est que, comme en Allemagne, vous aurez le risque d’avoir 9 000 entreprises qui disparaissent tout simplement à cause du respect de la réglementation. Mais en même temps, il faut bien se rendre compte qu’en France, on a un problème. Le problème est le suivant : il n’y a pas de politique des transports. Alors, quelle est la politique des transports ? Qu’est-ce que l’on veut dans les vingt prochaines années ? Nous n’avons pas de politique des transports en France.

P. Lapousterle : La solution, c’est quoi ?

B. Lalonde : La solution, c’est une politique des transports qui tienne notamment compte de l’Europe. Vous savez que le 1er juillet 1998, on va libérer le cabotage, c’est-à-dire que n’importe quel transporteur de tous les pays de l’Union européenne pourra, entre Paris et Lyon par exemple...

P. Lapousterle : … ouvrir sa boutique.

B. Lalonde : Absolument. Répondre à un client de cet endroit et repartir – parce que les camions repartent souvent à vide. Un tiers de la pollution, c’est des camions qui sont à vide. C’est une situation qui est intenable. Donc, il faut une politique des transports et il faut plus d’Europe. Il ne faut pas moins d’Europe, il faut plus d’Europe parce que, en principe, la politique des transports c’était, avec la politique agricole, les premières priorités européennes du traité de Rome. On n’a rien fait depuis, en réalité. Et pourquoi est-ce qu’il faut plus d’Europe ? Tout simplement parce qu’aux Pays-Bas, les camions font 50 tonnes ; au Royaume-Uni, ils font un peu moins, 38 tonnes, quelque chose comme ça ; en France, on est à 44. Donc ce n’est absolument pas harmonisé, il n’y a pas le même droit social. Les entreprises ont signé un contrat de progrès. C’était quand même une avancée remarquable.

P. Lapousterle : Il y a deux ans, oui.

B. Lalonde : Exactement. Ce contrat de progrès pose difficulté.

P. Lapousterle : Il n’est pas appliqué.

B. Lalonde : Il n’est pas appliqué et il faudrait évidemment l’étendre à toute l’Europe, autrement la concurrence n’est pas possible. Il faut plus d’Europe – et pas moins d’Europe – et il faut une Europe sociale. C’est là qu’on voit nettement qu’il faut une Europe sociale, et puis il faut une politique européenne des transports. Est-ce que l’on veut que ce soit le “tout camion” dans les prochaines années. Vous savez quelles sont les prévisions de transport ? Augmentation de 50 % du transport de marchandises dans les prochaines années. Alors ça, c’est quoi ? Ce sont des camions supplémentaires de 50 tonnes qui vont débouler à toute vitesse à travers la France, les Alpes. C’est invraisemblable !

P. Lapousterle : À propos d’Europe, vous ne parlez pas que d’écologie. Vous avez probablement suivi le débat hier, à l’Assemblée nationale. Est-ce que l’ancien Président Giscard d’Estaing a eu raison ?

B. Lalonde : Oui, bien sûr. Évidemment qu’il a eu raison. Tout le monde sait – enfin devrait savoir – que la difficulté a commencé avec la réunification de l’Allemagne. Il a fallu financer la réunification. Le chancelier Kohl a décidé que le deutschemark s’étendrait à toute l’Allemagne, que les ex-Allemands de l’Est auraient autant d’argent en deutschemark qu’ils en avaient dans leur monnaie et, par conséquent, tout ceci a coûté extrêmement cher. Pour financer la réunification, il a fallu augmenter le taux d’intérêt en Allemagne parce qu’il y avait des risques d’inflation et comme tout le monde est accroché au mark, évidemment, du coup, le franc a monté. Donc, il a eu raison de dire cela. Alors, maintenant comment on fait ? Ça, c’est sans doute au gouvernement et au président de la République… Mais on a toujours raison d’ouvrir un débat pour dire : on n’est pas ficelé, on n’est pas coincé. On n’est jamais coincé. Il y a toujours plusieurs politiques possibles.

P. Lapousterle : À propos de gouvernement, on entend dire que vous pourriez appartenir au prochain gouvernement s’il était remanié ?

B. Lalonde : Alors vous entendez des bruits ; c’est bien !

P. Lapousterle : Est-ce que vous accepteriez, si la proposition vous en était faite ?

B. Lalonde : Pour l’instant, la proposition ne m’est pas faite.

P. Lapousterle : Mais si on vous sollicitait, vous seriez intéressé ?

B. Lalonde : Pour être très franc, moi, j’ai aimé le Chirac du premier tour. Celui qui cassait la baraque, celui qui était révolté contre le système politique, celui qu’on donnait perdant, celui qui était trahi par ses amis. J’ai admiré la volonté de l’homme, l’homme qui voulait changer les choses. Ah ! s’il veut changer les choses, on peut discuter.