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Le Monde : La fusion des industries françaises et allemande de l’aéronautique va réduire considérablement la part de l’État dans le nouvel ensemble. Avez-vous souscrit à cette opération ?
Jean-Claude Gayssot : Il ne s’agit pas de souscrire à une opération. Regardons simplement les choses en face avec quelques rappels. Il y a deux ans, les chefs d’États et de gouvernement français, allemand et anglais avaient annoncé leur objectif : aller vers le regroupement de l’industrie aéronautique civile et militaire à l’échelle européenne. Par ailleurs, comme on le sait, Aérospatiale a été privatisée. Dans ces conditions, il est important de savoir si la constitution d’un groupe franco-allemand, devenant le premier groupe européen et le troisième mondial, constitue un handicap ou un atout pour l’avenir.
Je vous rappelle qu’il y a quelques mois le risque que nous soyons marginalisés par une fusion anglo-allemande et devenions donc minoritaires au sein d’Airbus était réel. De plus, et c’est peut-être le plus grave, le danger existait que les Allemands vendent au plus offrant, c’est-à-dire les Américains ! Nous sommes aujourd’hui dans un cas de figure différent. La part de l’État reste la même, en volume, au sein de la partie française, mais c’est vrai qu’elle est réduite en pourcentage, car l’ensemble est plus grand. Mais cela joue pour tout actionnaire, qu’il soit allemand ou français. Pour la partie française, l’actionnaire public reste déterminant, et ce alors que – personne ne l’ignore – les Allemands souhaitaient la réduction drastique de l’actionnariat d’État et sa quasi-disparition à terme : il n’en sera rien ! Comme leur volonté de mettre sur le marché une part plus importante du capital n’était un secret pour personne : il n’en a rien été !
Quoi de plus normal que de demander que les atouts de la France et les emplois soient préservés ?
Le Monde : Justement, comment envisagez-vous l’évolution future des participations de l’État et du groupe Lagardère, l’actionnaire industriel côté français ?
Jean-Claude Gayssot : Si elle doit évoluer, ça ne peut être, selon moi, que dans le bon sens. L’accord ne prévoit pas le départ de l’État français, ni pour le présent ni pour l’avenir. Au contraire, si la partie allemande devait se désengager, ou si un désaccord survenait sur une prise de position stratégique, les Français, dans les équilibres actuels, disposent d’une priorité de rachat. Il est clair pour tout le monde que Jean-Luc Lagardère, coprésident de la holding franco-allemande, représente les intérêts de toute la partie française et pas seulement de Matra Haute Technologie. D’ailleurs, à l’avenir, rien n’exclut que, le moment venu, le futur coprésident soit issu de l’actionnariat public pour représenter l’ensemble français.
Le Monde : Quel usage comptez-vous faire de cette participation dans le capital de la société aéronautique européenne ?
Jean-Claude Gayssot : Je vous avoue que mon premier souci, étant donné ma responsabilité, concerne Airbus ; mais, de manière générale, des garanties existent et doivent exister concernant les enjeux stratégiques. Par exemple, je crois indispensable de prendre sans délai la décision pour le très gros porteur A3XX. Puisque la fusion nous donne les assises financières, il n’y a plus de raison de tergiverser. L’actionnaire public français y tient beaucoup. Ce ne sont pas des paroles en l’air. J’ai, dans la période récente, veillé à ce que le nouvel avion Airbus A318 de 107 places, que nous lançons, soit équipé aussi de moteurs CFM 56 réalisés en commun par l’entreprise publique française, qui le restera, la Snecma, et General Electric, son partenaire américain.
Le Monde : Michel Duffour, au nom du Parti communiste, demande le "gel" de la fusion. Comment réagissez-vous ?
Jean-Claude Gayssot : Michel Duffour s’est exprimé pour signifier le risque majeur que les intérêts financiers à court terme ne prennent le pas sur les enjeux stratégiques, les projets industriels et l’emploi. J’ai entendu également des syndicalistes le dire. Quoi de plus normal que de se demander que les atouts de la France et les emplois soient préservés ?
« Je pense que le "droit de veto" dont on a parlé, le lancement de l’A3XX – qui nous mettra en bonne position face au concurrent américain Boeing et créera des emplois en France, où nous disposons d’un savoir-faire inégalé pour le montage, à Toulouse – constituent des premiers éléments de réponse, à confirmer. J’ajoute que la localisation du siège d’Airbus et de sa direction française doivent être également confirmées pour lever les inquiétudes. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer ces points de vue. Je rappelle, en outre, que dans la déclaration du gouvernement français il est spécifié, je cite, que "les modalités de l’opération seront mises au point, et le projet soumis aux instances compétentes, après consultation des représentants des salariés". Evidemment ce n’est pas simple. La seule logique des intérêts financiers peut prendre le pas sur tout le reste. Vous vous en doutez bien que j’ai déjà souligné ce risque. Il est capital de l’éviter.
Le Monde : A quoi sert la manifestation du PCF dès lors que votre parti estime "votable" la seconde loi sur les 35 heures ?
Jean-Claude Gayssot : Cette manifestation ne concerne pas que les 35 heures. C’est une manifestation pour l’emploi, pour le plein emploi, contre la précarité, pour la transformation des emplois-jeunes en emplois stables et pour des droits nouveaux. Nous sommes, Marie-Georges Buffet, Michelle Demessine et moi-même, de tout cœur avec l’initiative de Robert Hue et la manifestation. Cette manifestation exprime le refus de laisser les choses se poursuivre en l’état, dont l’affaire Michelin est le révélateur. Elle est et sera, de toute manière, utile pour les 35 heures, car les négociations ne s’arrêtent pas avec le vote de la seconde loi. Quand je vois comment une partie du patronat se mobilise, quand on connaît la pression des dogmes du libéralisme, je me dis que rien n’est plus utile que l’intervention des forces vives, progressistes, de notre pays. »