Texte intégral
Assemblée nationale - 8 octobre 1996
Réponse du ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre à une question de M. Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées
Déportés revenus des camps de concentration (statut des descendants)
Q. : J'ai voulu, par ma question, appeler votre attention sur les conditions d'indemnisation des victimes du régime de Vichy, en particulier sur une lacune du droit que le travail effectué avec des associations de fils et de filles de disparus en déportation m'a conduit à constater. En effet, si la France a accordé un statut et une indemnisation aux déportés revenus des camps de concentration, elle est le seul pays d'Europe à n'avoir pas établi de statut particulier pour ceux qui, victimes des déportations raciales, ne sont pas revenus de ces camps et pour leurs descendants.
Il semblerait donc juste de décider que tout enfant qui a vécu en France au cours de la période sombre comprise entre octobre 1940 et la Libération et qui a perdu sa mère ou son père - parfois les deux - déporté juif de France aura droit à une pension équivalant à celle d'interné politique et bénéficiera des dispositions de l'article 2 du décret du 23 janvier 1974. Cela permettrait la validation par le régime général de la sécurité sociale des intéressés qui ont été l'objet de persécutions raciales de la part tant de l’État français que de l'occupant allemand.
C'est d'ailleurs le sens de la proposition de loi que, avec un certain nombre de mes collègues, j'ai déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale. Y a-t-il effectivement, selon vous, dans le droit une lacune qui crée une injustice ? Et, si oui, le gouvernement entend-il aller dans le sens d'une réparation de cette injustice ?
R. : Monsieur le député, vous abordez là une question infiniment douloureuse. Je ne puis, à cet égard, ne pas évoquer le souvenir d'une grande dame disparue voici quelques jours qui s'est penchée sur ces problèmes d'enfants cachés - car c'est le véritable problème. Je veux parler de Mme Sabine Zlatin qu'on a appelé la « grande dame d'Izieu ».
Vous avez fait référence à la proposition de loi que vous avez déposée avec vos collègues du groupe socialiste. Vous devinez certainement qu'elle se heurte à l'article 40 de la Constitution. La question que vous me posez vise, en quelque sorte, à contourner cette difficulté. Vous dites que la France est le seul pays d'Europe à n'avoir pas établi de statut particulier pour les victimes de déportations raciales non revenues et leurs descendants. C'est à demi vrai et à demi faux :
- la France a un statut pour les déportés et internés. L'article L. 286 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre prévoit l'attribution du titre de « déporté politique », l'article L. 288 celui d'« interné politique » ;
- mais cette législation est uniquement réservée aux Français, sauf accord de réciprocité ;
- les veuves de déportés ou d'internés politiques ont droit à pension. Les enfants ont la qualité de pupilles de la nation, et quelquefois une pension jusqu'à leur majorité.
Peut-on élargir — et tel est votre souhait --- cette indemnisation aux enfants de déporté ou internés d'origine juive ? Il n'existe pas, c'est vrai, de mesures spécifiques d'indemnisation en leur faveur dans la mesure où ils ont, à l'époque, échappé aux recherches et aux persécutions.
Quel est le droit positif ? Il est difficile de déterminer où ces enfants pouvaient être. Ils n'ont pas eu à subir les préjudices physiques liés à l'internement et à la déportation. Et s'ils ont connu un hébergement clandestin, une scolarité interrompue, une alimentation insuffisante ou défectueuse, de nombreux résistants et réfractaires, ainsi que leurs familles, ont connu des conditions de vie aussi précaires, et l'on ne peut dire que ces enfants aient été des internés politiques. À cet égard, ils ne peuvent recevoir de titre.
Je vous signale tout de même une exception : celle des enfants hébergés dans les maisons affiliées à l'Union générale des israélites de France (UGIF). Ces enfants reçoivent une indemnité d'invalidité. La Commission nationale des déportés et internés a estimé qu'ils risquaient alors d'être déportés et que, pour ce motif, ils pouvaient recevoir une pension.
En conclusion, l'éventualité d'une validation des quatre années par le régime général de sécurité sociale tombe dès lors que la qualité d'interné politique n'est pas reconnue aux intéressés.
Si cette mesure était adoptée, elle ferait naître de multiples demandes reconventionnelles de la part des victimes civiles et orphelins de guerre. Il paraît difficile, en un mot, difficile à l'heure actuelle d'élargir les dispositions législatives existantes. Telle est la réponse que je puis faire à la question que vous venez de poser.
Assemblée nationale - 15 octobre 1996
Réponse du ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre à la question orale de M. Guy Tessier, député des Bouches-du-Rhône
Pension militaire d'invalidité (plafonnement)
Q. : Après la guerre de 1914-1918, les cadres d'active dits « invalides de guerre » ont perçu une pension d'invalidité au taux du soldat, qu'ils soient en activité ou en retraite. De leur côté, les cadres de réserve titulaires d'une pension militaire d'invalidité la percevaient au taux de leur grade. Cette différence de traitement, ressentie comme manifestement injuste, persista sous deux républiques. En 1962, le général de Gaulle décida que la pension d'invalidité au taux du grade serait versée au bénéfice des cadres d'active accédant à la retraite.
Aujourd'hui, trente-cinq ans après, une mesure contenue dans le projet de loi de finances pour 1997 vise à plafonner à 150 % du taux du soldat les pensions militaires d'invalidité ! En clair, cela signifie une diminution de 10 à 40 % des pensions d'invalidité ! Il semblerait que 12 000 officiers et 2 200 veuves soient concernés par cette mesure.
Inutile de vous préciser, monsieur le ministre, les inquiétudes et les vives réactions d'indignation et d'incompréhension que suscite l'annonce d'une disposition considérée comme une mesquinerie dans le monde des anciens combattants. L'incompréhension est d'autant plus grande que le président de la République lui-même avait affirmé que rien ne viendrait remettre en cause les acquis des pensionnés militaires. Pensez-vous pouvoir faire retirer du projet de loi de finances cette mesure qui pénalise injustement des hommes et des femmes qui, par le passé, n'ont pas marchandé leur engagement pour la défense des intérêts de la France ? D'avance, merci pour eux ?
R. : Monsieur le député, il est possible que votre question soit prématurée car je me réservais d'étudier avec vous et avec l'ensemble de la représentation nationale la portée de cette disposition à l'occasion du débat budgétaire. Depuis que le projet de loi de finances a été déposé, le gouvernement a eu effectivement connaissance des inconvénients que pouvait présenter cette mesure et des arguments mis en avant, dont certains - que vous avez rappelés - ne manquent pas de valeur.
C'est la raison pour laquelle, en vue du débat que nous aurons sur le budget des anciens combattants, mes services étudient, avec ceux de la défense et du budget, les mesures susceptibles de concilier les exigences budgétaires et les intérêts des anciens combattants.
Le gouvernement ne méconnaît en aucune mesure les sacrifices consentis et les engagements pris par certains dans le service de la France. En tout état de cause, au moment du budget, nous réaliserons peut-être la mesure conciliatrice des intérêts qui pourraient sembler s'opposer.